L’imame Kahina Bahloul : «Il est urgent de nous réapproprier notre religion !»
Par Abdelkader S. – L’islamologue Kahina Bahloul appelle à «renouer avec la libre pensée philosophique et mystique» et à un «islam spirituel» dans son ouvrage paru aux éditons Albin Michel, Mon islam, ma liberté. «Le principal défi de nos vies est d’intégrer dans notre conscience et dans nos actes, quotidiens ou plus exceptionnels, l’idée que la Création entière est un projet d’amour», écrit la première imame, selon laquelle «l’islam, partout dans le monde, vit depuis plusieurs décennies une crise très profonde qui a dernièrement atteint son paroxysme à travers l’action terroriste violente». «Le point de départ de ces troubles se situe dans les pays musulmans eux-mêmes, en Algérie, en Iran, en Afghanistan, en Egypte, en Syrie, etc., où nulle part ailleurs le fanatisme religieux n’a fait autant de victimes», explique-t-elle.
La théologienne franco-algérienne, qui souligne que «la foi ne s’hérite pas, mais s’acquiert et s’embrasse de plein gré, par un assentiment profond du cœur», revient sur sa vie en Algérie durant la décennie noire, où elle dit avoir partagé avec les Algériens «un quotidien rythmé par la terreur des attentats islamistes». «Tout ce désastre et ces massacres ont été commis aux cris d’Allah Akbar et contre des musulmans», regrette-t-elle, en expliquant qu’elle a «eu envie» de partager avec ses coreligionnaires son expérience et sa vision d’un islam progressiste et libéral, l’islam des Lumières.
«Or, fait-elle remarquer, aussi bien sur les bancs de l’université que dans le milieu associatif, j’ai rencontré beaucoup de musulmans qui s’étaient engagés dans la même démarche», concluant à la «nécessité de vivre cette vision réformiste, de l’incarner». «C’est pourquoi, affirme-t-elle, nous avons décidé de créer un lieu de culte qui nous ressemble, une mosquée libérale où les femmes et les hommes sont accueillis à égale dignité, dans la même salle de prière et où le prêche est tenu alternativement par une imame et un imam. Un lieu pour mettre en œuvre cette égalité ontologique entre les femmes et les hommes.»
Pour la religieuse, qui rejette «l’injonction faite aux femmes de se voiler entièrement» car cela est un «élément constitutif d’une idéologie obscurantiste, mortifère et totalitaire fondée sur la domination masculine», «l’existence d’une mosquée libérale permet d’aller plus loin que l’indispensable travail de relecture des textes». Cette existence, poursuit-elle, «pose un acte symbolique fort, signifiant notre volonté de nous réapproprier notre religion après en avoir été dépossédés plusieurs décennies durant par les idéologies intégristes et fondamentalistes».
Kahina Bahloul rejoint le penseur algérien Saïd Djabelkhir dans ce qu’elle considère être une nécessité «d’affirmer que la diversité des lectures existe, et a toujours existé, et de donner un enseignement religieux éclairé par des références religieuses mettant en avant la raison et la sagesse». Au lieu du «paradigme prenant en considération les défis de l’époque contemporaine afin que les jeunes générations puissent y trouver des réponses à leurs interrogations» qui doit être mis en avant, Djabelkhir a, au contraire, été condamné par un tribunal à trois ans de prison ferme. «Nous réapproprier notre religion, voilà l’urgence !» relève la courageuse imame.
A. S.
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