L’écrivaine palestinienne Rania Hammad se confie à Algeriepatriotique
Militante, l’écrivaine Rania Hammad l’est depuis son tout jeune âge, et les nombreuses distinctions reçues ne lui ont jamais fait oublier sa Palestine et lorsqu’en marge de l’imposante manifestation d’hier à Rome, on lui demande de répondre aux questions d’Algeriepatriotique, elle nous dit : «Votre peuple est dans mon cœur et tous nos militants ont à son égard une admiration sans bornes !».
Algeriepatriotique : En Algérie, on ne vous connaît pas assez…
Rania Hammad : Alors, c’est une bonne occasion pour me présenter, je suis écrivaine, une militante, mais surtout membre de la communauté palestinienne de Rome. Comme tous les Palestiniens, je suis active dans ma communauté mais je crois que parler de mes écrits et de mes livres en ce moment tragique est pour le moins inapproprié.
Cela dit, je lutte depuis des décennies pour le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Notre peuple exige depuis 73 ans justice et dignité et exige la liberté et la fin de l’occupation militaire des Territoires palestiniens occupés de la Cisjordanie avec Jérusalem-Est comme capitale et Gaza.
Or qu’avons-nous obtenu durant toutes ces années ? La confiscation continue de nos terres en Cisjordanie, la construction de colonies illégales habitées par des colons et avec un système d’apartheid qui privilégie les juifs et discrimine les Palestiniens, nous empêchant de circuler entre nos villages, avec des routes à l’usage exclusif des colons et des lieux de blocus dispersés sur tout le territoire pour contrôler tout mouvement de Palestiniens sur leur propre territoire.
Et à Gaza nous avons une prison à ciel ouvert parce que, lors des élections de 2006, le choix politique des Gazaouis n’a pas été apprécié, il a été donc décidé d’isoler une ville, de l’assiéger, de l’affamer et tous les deux ans elle est attaquée et bombardée, tuant des victimes civiles innocentes.
Après tant d’années d’humiliation, croyez-vous encore en une paix entre les deux peuples ?
Une paix juste exige la fin de l’occupation et le démantèlement du système raciste mis en place par Israël, un Etat palestinien indépendant avec une continuité territoriale et géographique et avec Jérusalem-Est la capitale des Palestiniens, tel que consacré dans le droit international et les résolutions de l’ONU, le droit de retour des réfugiés palestiniens sur leur terre, également ce droit inscrit dans la légalité et réaffirmé dans la résolution 194 de l’ONU, ainsi que la reconnaissance par Israël et la communauté internationale de la grande injustice historique perpétrée contre le peuple palestinien, la Nakba, la catastrophe, l’expulsion de notre propre terre avec la naissance et la fondation de l’Etat d’Israël.
Ce n’est qu’avec la reconnaissance de l’histoire et la légitimité du récit palestinien qu’il sera possible de penser à la réconciliation et de construire la paix ensemble. Mais nous en sommes très loin, la Nakba continue et dure depuis 73 ans, et nous le voyons ces jours-ci avec les événements dans le quartier arabe palestinien de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est où Israël a planifié la confiscation des maisons palestiniennes et se justifie en arguant que c’est une question de propriété contestée, alors qu’en réalité c’est l’application de lois discriminatoires créées ad hoc afin d’exproprier les Palestiniens et de les expulser de leur ville, pour mieux judaïser la ville de Jérusalem et procéder au nettoyage ethnique qui a commencé en 1947-48.
Et bien qu’Israël fasse actuellement l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, ce régime commet aujourd’hui de nouveaux crimes contre la population civile de Gaza.
Israël exerce une discrimination à l’encontre de tous les Palestiniens et dans toutes les régions du pays, dans les territoires palestiniens occupés et sur son propre territoire.
A travers cette manifestation, vous comptiez alerter l’opinion publique italienne ?
Ce sit-in visait à remettre les pendules à l’heure et à rappeler les faits qui, comme vous le savez, sont têtus. Nous voulions éclairer les citoyens italiens qui nous manifestent leur sympathie sur la cause qui a déclenché les événements récents, de la confiscation illégale des terres palestiniennes, le nettoyage ethnique, les violations des droits de l’Homme, l’occupation militaire, la judaïsation de la ville de Jérusalem et de réclamer nos droits à Jérusalem, une ville que le président américain Donald Trump a déclarée unilatéralement être la capitale éternelle d’Israël comme si elle lui appartenait, alors que du point de vue du droit international, c’est une ville divisée entre l’Ouest israélien et l’Est palestinien, et donc en fait elle reste, au regard du droit, occupée illégalement.
Le sit-in visait également à sensibiliser la classe politique italienne, lui signifier que les Italiens dans leur immense majorité nous soutiennent et reconnaissent nos droits sacro-saints et condamnent de plus en plus les crimes perpétrés par Israël en Cisjordanie, à Jérusalem, à Gaza et aussi à l’intérieur des frontières de l’Etat d’Israël où les citoyens arabo-israéliens, donc les Palestiniens, sont victimes de discrimination et sont ciblés, arrêtés, lynchés et tués par des Israéliens qui attaquent leurs maisons et leurs magasins en Israël.
Nous voulions appeler à la fin de la violence contre les Palestiniens, tous les Palestiniens, où qu’ils se trouvent, car cette politique d’anéantissement de notre peuple est criminelle et génocidaire.
Quel jugement portez-vous sur la position officielle italienne ?
Malheureusement, depuis une vingtaine d’années, la gauche et la droite ne sont pas si différentes l’une de l’autre, surtout en ce qui concerne la Palestine et Israël. La légalité internationale n’a plus d’importance, seuls les intérêts comptent, et nous l’avons vu clairement lors de la manifestation pro-israélienne du ghetto de Rome, qui a vu Matteo Salvini aux côtés des dirigeants du Parti démocrate de gauche soutenir et défendre l’indéfendable, les abus et les violations des droits de l’Homme.
Ils ont oublié l’histoire de ce pays, riche en grands dirigeants, je pense à Bettino Craxi, Giulio Andreotti, Aldo Moro et d’autres encore et leurs positions en faveur de la paix, la solution des deux Etats et leur rôle au sein de la communauté européenne. Ils ont oublié qu’en 1980, en tant que pays courageux et juste, l’Italie a condamné la politique israélienne d’annexion, a soutenu la création d’un Etat palestinien indépendant et a défendu les droits des Palestiniens à Jérusalem pour parvenir à une paix juste, avec la Déclaration de Venise, qui fut voulue et obtenue avec grande conviction par ce grand pays !
Avez-vous été surprise par la normalisation de certains Etats arabes avec l’entité sioniste ?
Ces normalisations des relations avec Israël ne sont rien de plus qu’un renforcement des pires aspects du statu quo régional pro-israélien. Les pays qui ont normalisé, après des années de duperies, ont décidé de faire tomber le masque, ce qui prouve qu’Israël a réussi aisément à les faire plier.
L’Europe a abandonné son rôle de médiateur «neutre» et trahi ses principes de démocratie et de respect de la légalité et du droit international ; de même, des pays comme les Emirats arabes unis ou le Maroc sont plus préoccupés par leurs intérêts commerciaux et par la stabilité de leur pays que par des principes aussi gênants pour eux que justice et légalité internationale.
Mais malgré toutes ces trahisons, nous sommes debout et nous comptons sur ces millions de justes du monde entier qui nous soutiennent et qui nous disent aujourd’hui que nous sommes dans notre bon droit et qu’ils marcheront désormais à nos côtés jusqu’au jour du triomphe de notre cause, juste et légitime.
Interview réalisée à Rome par Mourad Rouighi
Comment (7)