Quand Hassan II bombardait le Rif avec l’aide de conseillers militaires français
Par Kamel M. – Un des tout-premiers pilotes de l’armée de l’air marocaine rappelait, dans un entretien à Al-Jazeera, comment les avions des FAR (Forces armées royales) naissantes avaient bombardé les populations du Rif à la fin des années 1950 sur ordre du prince héritier Hassan II et avec l’aide des conseillers militaires français qui avaient mis sur pied l’armée de l’air marocaine. «Les pilotes français n’ont cependant pas participé aux raids aériens», précisait l’ancien pilote qui expliquait qu’il a été détaché comme pilote particulier d’un ancien général influent à l’époque.
Ce crime contre l’humanité commis par la monarchie alaouite à l’encontre des Rifains, avec la complicité de la France, a été raconté par l’historien Nabil Mouline dans une étude parue en décembre 2016 et intitulée «Le soulèvement du Rif reconsidéré». Ce chargé de recherches au Centre Jacques-Berque a notamment écrit : «Les gens du Nord ont autrefois connu la violence du prince héritier, il vaudrait mieux pour eux qu’ils ne connaissent pas celle du roi. C’est ainsi que Hassan II s’adresse aux habitants du nord-ouest du Maroc (et à travers eux à l’ensemble de la population) en réaction aux émeutes populaires de 1984. Adoptant alors un ton grave et méprisant, le monarque rappelle à ses sujets qu’il est capable de tout pour conserver le pouvoir. Pour leur rafraîchir la mémoire, il n’hésite pas à faire une allusion brève, mais ô combien symbolique, à la répression féroce qu’il a menée contre ces mêmes régions vingt-cinq ans auparavant.»
«Le choix rhétorique du souverain n’est pas anodin, relève-t-il, renvoyant, consciemment ou inconsciemment, à l’un des épisodes les plus importants et les moins connus de l’histoire du Maroc contemporain : le soulèvement du Rif (1958-1959). Evénement dramatique s’il en est, ce soulèvement cristallise à lui seul toutes les tensions, les contradictions et les luttes sociopolitiques qui ont caractérisé l’espace marocain au lendemain de l’indépendance. Lever le voile sur ce conflit permettra non seulement de mieux connaître cette partie floue de l’histoire du Maroc, mais également de jeter une nouvelle lumière sur la genèse du système Hassan II.»
L’auteur rappelle que «les hommes du prince Hassan et d’Oufkir se montrent impitoyables avec la population innocente : rackets, arrestations arbitraires, viols et exécutions. Par exemple, le village de Beni Hadifa, un des principaux foyers du soulèvement, est détruit et les quatre cents habitants qui s’y trouvent sont massacrés. Au total, plusieurs milliers de victimes sont à déplorer. Les séquelles psychologiques, sociales, politiques et économiques sont, elles, infiniment plus importantes».
«Après plusieurs mois d’opérations de nettoyage, pour reprendre le jargon militaire, Mohammed V entame une tournée triomphale dans le Rif en juin 1959 pour donner à voir son pouvoir et clore la dernière harka», souligne Nabil Mouline. «Il réussit en quelques mois à déjouer tous les pronostics et à s’imposer comme le maître du pays en monopolisant les forces armées et la bureaucratie et en affaiblissant durablement toutes les oppositions», poursuit-il. «Cette ascension vers le pouvoir absolu a été facilitée par la bienveillance de la France», note l’historien, selon lequel «le Rif a sans doute été l’une des principales victimes d’un grand jeu de pouvoir pour contrôler l’Etat, pour être l’Etat».
K. M.
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