Air Algérie : ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
Une contribution de Nouredine Bouderba – En 2020, la pandémie de Covid-19 a réduit de 60% le nombre de passagers des compagnies aériennes sur le plan mondial. Au total, ces dernières ont subi, durant cet exercice, des pertes qui se sont élevées à plus de 370 milliards de dollars. Elles ont toutes joué leur survie.
Certaines ont disparu, à l’exemple de la compagnie régionale anglaise Flybe, Trans State Airlines, la filiale régionale du géant américain Delta Airlines, la compagnie hongkongaise Dragon Air ou encore la compagnie low-cost thaïlandaise NokScoot. Les sud-africaines South African Airways et Comair, ainsi que les branches autrichienne et française de Level (IAG) n’ont pu survivre elles aussi. En tout, l’International Air Transport Association a recensé plus d’une quarantaine de faillites en 2020.
Seul le soutien des Etats a permis aux compagnies aériennes de survivre
Si toutes les compagnies aériennes ont été touchées, leurs chances de résister à la pandémie n’ont pas été égales. Beaucoup n’ont dû leur survie que grâce aux aides publiques de leurs Etat respectifs.
Aux Etats-Unis, les pertes des principales compagnies aériennes, en 2020, se sont élevées à plus de de 34 milliards de dollars. Mais ces compagnies n’ont pas été emportées par la crise grâce aux dizaines de milliards d’aides octroyées par le gouvernement. En 2021, ces dernières continuent de «consommer» entre 12 à 30 millions de dollars d’aides par jour.
Les compagnies aériennes européennes ont été, aussi, touchées de plein fouet par la crise. Mais ces dernières qui ont traversé une situation financière plus que critique ont été sauvées grâce au soutien des pouvoirs publics.
En Italie, Alitalia a bénéficié de cinq aides successives depuis mars 2020 pour un montant global de 350 millions d’euros à titre d’indemnisation par l’Etat italien pour les dommages subis à la date du 30 avril 2021 à cause du Covid-19.
En Allemagne, Lufthansa avait affiché, en 2020, une perte nette de 6,7 milliards d’euros. Le gouvernement allemand lui avait alors versé 9 milliards d’euros, en échange d’une prise de participation de 20% dans le capital groupe. On est en présence d’une nationalisation partielle (le contraire d’une privatisation comme le réclament les libéraux algériens pour Air Algérie).
En France, à la fin avril 2021, l’Etat français a pris une mesure d’aide allant jusqu’à 4 milliards d’euros afin de recapitaliser Air France qui a perdu 7,1 milliards d’euros en 2020. Avant cette date, Air France-KLM a déjà bénéficié d’aides publiques massives : plus de 10 milliards d’euros, dont 7 milliards de prêts directs ou garantis par l’Etat français. Il est intéressant de noter que cette mesure a été accompagnée par certaines conditions imposées au management parmi lesquelles une limitation stricte de la rémunération des membres des staffs de direction, y compris une interdiction du versement de bonus.
Enfin, est-il nécessaire de préciser qu’Air France n’est pas une entreprise publique et que l’Etat français n’y détient qu’une participation de 14,3% dans le capital de cette dernière et que ces aides sont octroyées au vu de la place de cette compagnie dans l’économie française.
Les compagnies aériennes se redéploient
En premier lieu, il est évident que les compagnies aériennes internationales se feront un grand plaisir d’accaparer les lignes et la clientèle des entreprises dissoutes ou affaiblies qui n’ont reçu aucune aide de leur Etat.
En second lieu, il est intéressant de savoir que l’Organisation de l’aviation civile internationale a noté, dans un récent rapport, que les vols intérieurs ont logiquement mieux résisté au Covid-19 que les vols internationaux, notamment en Chine et en Russie, où le nombre de passagers est déjà revenu aux niveaux d’avant la pandémie. En 2020, la chute du nombre de passagers n’a atteint «que» 50% sur les vols intérieurs contre 74% sur les vols internationaux.
De leur côté, les compagnies américaines se trouvent, aussi, nettement avantagées par rapport à leurs homologues européennes grâce à un marché domestique bien plus vaste. En moyenne, les moyen et long courriers internationaux représentent moins d’un quart du chiffre d’affaires des compagnies américaines contre la moitié pour les compagnies française par exemple.
Quelle issue pour Air Algérie ?
A l’instar des autres compagnies aériennes, Air Algérie a subi de plein fouet l’impact de la pandémie de Covid-19. De 17 millions en 2019, le nombre des voyageurs transportés par la compagnie ont chuté à 1,5 million en 2020 engendrant un manque à gagner de l’ordre de 40 milliards de dinars, soit l’équivalent d’environ 250 millions d’euros.
De prime abord, il y a lieu de déplorer les voix de hyènes qui profitent de la crise et demandent de jeter le bébé avec l’eau de bain en exigeant la privatisation du transport aérien faisant mine d’oublier l’épisode calamiteux de Khalifa Airways.
L’impératif soutien de l’Etat
Le soutien de l’Etat à Air Algérie, à l’instar des aides dont ont bénéficié les autres compagnies aériennes internationales, est une exigence vitale au vu de son poids et son atout indiscutables sur l’échiquier économique national. Mais ce soutien, à lui seul, sans un plan de redressement urgent qui inclut, entre autres, le blocage de tout recrutement, une restructuration des activités, la fermeture d’au moins la moitié des agences à l’étranger, le redéploiement des lignes non rentables avec le renforcement des lignes intérieures et enfin le blocage des recrutements.
Pas d’issue sans plan de redressement
Air Algérie doit rationaliser sa gestion. Ses organes de gestion, notamment son conseil d’administration, doivent être réhabilités dans leurs attributions et leurs membres mis devant leurs responsabilités et obligations. Toute interférence bureaucratique ayant pour effet d’accroître sans contrepartie ses dépenses doit être légalement bannie.
Il est impératif de mettre fin aux recrutements des enfants de la nomenklatura et au clientélisme dans les recrutements et les cadeaux de billets gratuits. Les recrutements doivent être bloqués et aucun départ ne doit être remplacé sans l’aval express du conseil d’administration saisi par un rapport circonstancié justifiant ce recrutement.
Sur les quelques 48 agences qui opèrent à l’étranger, au moins la moitié d’entre elles peuvent, et doivent, être fermées, en sous-traitant leurs activités actuelles. Les agences maintenues doivent, elles aussi, impérativement maintenir un niveau d’emploi qui correspond au niveau d’activité réel et non pas à la puissance des pressions de la nomenklatura.
Les vols internationaux non rentables (commercialement et/ou économiquement) doivent être redéployés et les appareils affectés aux lignes intérieures qui doivent être renforcées.
Il faut revoir la stratégie d’Air Algérie qui doit, avec l’accompagnement de l’Etat, donner plus d’importance aux vols domestiques qui doivent peser davantage dans les activités et le chiffre d’affaires d’Air Algérie.
N. B.
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