Contribution – Le terrorisme islamiste a laissé place à l’islamisme terrorisant
Une contribution de Khider Mesloub – Si la religion n’est qu’apparence, reflétée sous la forme d’un assemblage de rites ostentatoires, d’interdictions théologiques, d’obligations vestimentaires, en un mot ne se révèle que par son extériorité, alors la religion n’a aucune intériorité. Elle est une coquille vide. Il est coutumier de lire et d’entendre que le terrorisme islamiste a été vaincu en Algérie. Il faut néanmoins nuancer cette assertion. Certes, le terrorisme islamiste a été militairement anéanti mais il a survécu idéologiquement sous une autre forme encore plus sournoise et cruelle. Il a laissé place à l’islamisme terrorisant. A l’islam rigoriste. A l’islam intégriste. A la bigoterie généralisée.
Ainsi, si le terrorisme islamiste a été défait, l’islamisme terrorisant lui a succédé. Aujourd’hui, nul besoin d’armes, de bombes, de conquête du pouvoir par l’action armée pour imposer la charia en Algérie. Nul besoin de force pour terroriser religieusement l’Algérien. Pour soumettre théocratiquement l’Algérien. Nul besoin de coercition étatique pour museler la pensée algérienne. Pour verrouiller l’esprit algérien. Cadenasser la politique algérienne. Démolir la culture algérienne. Pour néantiser la personnalité algérienne. Pour anéantir la psychologie algérienne. Annihiler l’imagination débordante algérienne. Crétiniser l’humour algérien. Déprimer l’humeur algérienne. Dépraver l’honneur algérien. Pour déviriliser l’Algérien. Pour abêtir l’intelligence algérienne. Corroder «l’algérianité» de l’Algérie. Orientaliser l’Algérie. Dénaturer l’Algérie. Violer les traditions algériennes. Transformer les Lumineux algériens en Algériens illuminés.
L’islamisme terrorisant, bien intégré par la majorité des Algériens, s’en acquitte de manière efficiente. Le terrorisme islamiste a, certes, perdu la bataille, mais l’islamisme terrorisant a gagné la guerre. Et cette victoire religieuse sur les esprits est autrement plus prestigieuse et glorieuse que l’aurait été une victoire militaire islamique.
Jadis, le terrorisme islamiste par les armes s’était aliéné la majorité de la population. De nos jours, la majorité de la population s’est alignée par la foi sur l’islamisme terrorisant. Chaque Algérien pratique l’islamisme terrorisant, après avoir éclipsé le terrorisme islamiste. Tout musulman algérien s’érige aujourd’hui en procureur ou en supplétif de la police des mœurs musulmanes pour traquer tout comportement incompatible avec l’orthodoxie islamiste contemporaine dominante. Même à l’étranger, il se conduit de façon inquisitoriale pour imposer son mode de vie islamiste.
On prétend que l’islam sunnite ne comporte pas de clergé, à l’instar de l’Eglise chrétienne. On se trompe. En vérité, de nos jours, chaque Algérien s’est improvisé «curé» salafiste : n’hésitant pas à édicter ses propres principes islamistes, à se muer en confesseur des âmes «égarées», à prescrire sa grille de lecture subjective «musulmanesque», à pourchasser les manquements à ses pratiques érigées en normes, à promulguer des fatwas «musulmaniaques» contre les agissements considérés comme blasphématoires à ses yeux enténébrés d’obscurantisme, à s’ériger en docteur ès «sciences islamiques».
L’islam politique est devenu la politique de l’islam. Entre politisation de l’islam et islamisation de la politique, la raison a perdu son entendement et la foi son discernement. Et l’Algérien, son âme. L’Algérie, son identité.
Aujourd’hui, tout est déterminé par et pour l’islam. En dehors de la doctrine religieuse islamique consacrée par le Livre Saint, partagée par l’ensemble des Algériens, aucune autre forme de pensée n’a droit au chapitre. Elle a envahi toute la société. De sorte que cet islamisme terrorisant est parvenu à éradiquer toutes les différences au sein de la société algérienne, à uniformiser la pensée à force de propagation de cette pensée dictatoriale tentaculaire, moyennant un endoctrinement islamiste totalitaire inculqué dès l’école élémentaire salafisée, épaulée par la cellule familiale, métamorphosée en cellule carcérale de la liberté de penser.
La tolérance légendaire de nos compatriotes a été bannie des cœurs, desséchés par ces nouveaux zélateurs algériens convertis à la nouvelle foi musulmane morbidement exhibitionniste. Naguère riche par sa pluralité ethnique et religieuse – que sont Français, Européens, juifs et autres communautés devenus ? –, par sa diversité culturelle, son hétérogénéité politique, l’Algérie s’est réduite à sa plus insignifiante et rétrograde expression, symbolisée par l’islamisme, cet islam terrorisant. En effet, l’islamisme se caractérise par un islam terrorisant qui fait exploser tous les cadres de pensée rationnelle, éclater les structures culturelles nationales, sauter le canevas discursif universel, anéantir les fonctions et facultés cognitives.
Ce rétrécissement régressif de la vision intellectuelle et culturelle des Algériens a favorisé l’apparition d’une forme autistique de l’existence. L’Algérien, nouvelle version coranique salafisée, est tourné, non pas vers lui-même – c’eût été un narcissisme salutaire, une thérapie psychologique salvatrice –, mais vers sa religion – ou LA version religieuse salafiste importée de l’Orient décadent, Orient devenu désormais le lupanar politique du sionisme. Il ne vit que par et pour sa (nouvelle) religion. Il est musulman avant d’être Algérien. Il sacrifierait plus volontiers sa vie pour cet islam-là que pour l’Algérie. Il aliénerait sans scrupule toute sa millénaire culture – ou plutôt cultures, car l’Algérie a toujours été riche par sa diversité culturelle – pour sa religion. Quitte à perdre son âme. Que lui importe l’identité culturelle algérienne pourvue pourtant de nobles traditions. Dans le cœur de chaque Algérien, la pulsation féconde et bigarrée culturelle a cédé devant la palpitation poussive et monolithique cultuelle. Le corps ne vibre qu’au son du muezzin. Les échos de nos sublimes coutumes ne résonnent plus dans le cœur des Algériens. Les valeurs morales millénaires se sont transmuées en valeurs marchandes avalisées et bénies par le nouvel islam mercantile estampillé wahhabite. L’islam innocent d’antan s’est immolé au feu du capitalisme incendiaire et génocidaire des cultures locales et nationales.
Pour preuve, au lieu de consacrer les deniers publics pour la sauvegarde de nos riches patrimoines laissés à l’abandon à travers tout le pays, ou pour la construction d’universités, de bibliothèques, d’hôpitaux, de gymnases, de logements sociaux décents, le kleptomane régime bouteflikien l’a dilapidé dans l’édification dispendieuse d’une mosquée construite à la gloire du prétendant Pharaon algérien résolu à embaumer l’Algérie dans le souvenir de son règne momifié, magnifié, glorifié, déifié, le défunt Bouteflika – qui aura été déchu en 2019 sans avoir été sacré dans cette «basilique musulmane» des temps modernes.
De fait, comme dans le cas de l’autisme, marqué par des comportements restreints et répétitifs, la vie de l’Algérien aujourd’hui se réduit en l’accomplissement des immuables rites quotidiens qu’aucune volonté humaine ne doit troubler, ni modifier et, encore moins, enrayer. Bien au contraire, tout Algérien, quelles que soient ses convictions, doit se plier au modèle islamiste salafiste dominant. La diversité a plié bagage. Elle s’est effacée devant l’uniformité, la conformité, l’unicité, la morosité religieuse.
Le ciel bleu azur de l’Algérie s’est recouvert d’un ténébreux brouillard religieux, obscurcissant l’horizon intellectuel et culturel d’une moyenâgeuse uniformisation de la pensée unique (inique). L’étroitesse de la pensée s’est ouvert un grand boulevard dans lequel affluent et déferlent à grande vitesse les plus rétrogrades idées archaïques soufflant du désert d’Arabie.
La vacuité existentielle irrigue toutes les artères algériennes embouteillées par un peuple arborant l’ennui sur sa face tourmentée par le vide spirituel. On associe indûment spiritualité et religion. Or, aucune religion ne renferme quelque spiritualité. La spiritualité est ontologiquement inhérente à la personnalité, absolument pas liée à l’entité religieuse. La spiritualité est consubstantiellement reliée au Moi, chevillée à l’âme personnelle. La spiritualité, on l’a ou on ne l’a pas. Tout comme l’empathie, cette capacité de ressentir les émotions, les sentiments, les expériences d’une autre personne ou de se mettre à sa place. La spiritualité ne s’apprend pas à l’école, ni dans les lieux de culte, ni dans les livres profanes ni le Livre Saint. Elle se loge naturellement dans le cœur d’un être empli instinctivement d’humanité. Elle ne peut jamais élire domicile chez des êtres dépourvus de cœur, quoique adeptes d’une religion. A plus forte raison, la spiritualité ne peut trouver hospitalité dans le salafisme, fondé sur la brutalité, la férocité, la bestialité, l’inhumanité.
La religion n’est pas vectrice de spiritualité. Elle n’est pas synonyme de vertu. La preuve par l’Algérie en proie à un climat de violences permanent, en dépit de la profession de foi islamique de ses habitants. Les Algériens, pourtant musulmans, font preuve d’une terrifiante agressivité dans leurs relations sociales. L’esprit belliqueux gouverne leur existence et domine leur tempérament tempétueux. L’islamisation outrancière de la société a généré une hystérisation des comportements, une propagation virale de la violence qui a culminé dans les années 1990, la terrible décennie noire durant laquelle l’islam dévoyé, symbolisé par le vert, avait pris les couleurs rouge sang.
L’esprit religieux fanatique est toujours agité, excité, enflammé, angoissé, déchaîné. Il n’aspire au repos, à la quiétude, à la sérénité qu’une fois trépassé, une fois dans l’au-delà. Sa vie terrestre n’est qu’une guerre permanente contre lui-même et surtout contre les autres esprits réfractaires, insubordonnés, séditieux, épris de liberté. Le fanatique religieux pourchasse tous ses penchants naturels terrestres pour se conformer aux recommandations fantasmées célestes. Il n’est jamais en accord avec sa conscience toujours suspicieuse, soupçonneuse, éternellement despotique. Tout comme il dompte sa conscience tourmentée pour demeurer fidèle aux exigences de son créateur, il voudrait soumettre toutes les consciences au même sort autocratique.
Ainsi, emmailloté dans ses langes religieux enfantins et infantiles, l’Algérien refuse de s’élever à l’âge adulte de la pensée, de la rationalité, de la raison raisonnante, raisonnable, moderne et universelle. Il ne tolère pas la diversité d’opinions. La multiplicité culturelle. La pluralité religieuse. La liberté de conscience. La conscience libérée, délibérante, délirante. La critique religieuse. La satire irréligieuse, irrévérencieuse. Le débat politique. La critique radicale. La controverse philosophique. La relégation de la religion dans la sphère privée, donc la dénationalisation de la religion – la sécularisation. L’égalité sexuelle. Il ne tolère pas la tolérance. Surtout, il ne se tolère pas lui-même, étant en conflit avec sa personnalité fragmentée, son moi clivé, en dissension avec son identité déculturée, en guerre permanente contre sa vie qu’il refuse de bâtir de ses mains dans la paix, préférant remettre son sort à la fatalité, à son créateur, à sa rentière nation bâtie sur ses provisions pétrolières provisoires sur fond d’un désert industriel productif.
Ainsi, toute la vie de l’Algérien tourne autour de sa religion. Religion qui tire sa raison d’être d’un lointain passé depuis longtemps révolu.
Paradoxalement, cette fixation obsessionnelle sur cette période pourtant révolue et désuète de l’islam primitif et primaire de la genèse, réputée mythiquement comme glorieuse, n’est pas sans rappeler les premiers moments de vie de l’enfant accroché aux flancs de sa mère dans une relation fusionnelle et symbiotique. Cette période de l’enfance marquée par un amour exclusif et possessif manifesté par l’enfant à l’égard de sa mère. L’individuation est traumatique pour cet enfant longtemps couvé par sa mère. Le sevrage lui est difficile, douloureux, angoissant. Toute l’existence de l’enfant tourne autour de sa personne. Le moi règne en maître. La pensée magique domine son univers. La pensée magique se définit comme une forme de pensée qui s’attribue ou attribue à autrui le pouvoir de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle. Ce type de pensée se manifeste principalement au cours de l’enfance et est, à l’âge adulte, appréhendé par la médecine comme un symptôme d’immaturité ou de déséquilibre psychologique. La pensée magique est souvent associée au mysticisme, à la religion. Elle était très répandue dans les premières sociétés humaines primitives, sous la forme de l’animisme.
L’enfant vit dans sa bulle. Il ne peut concevoir d’autres univers que le sien. Il perçoit le monde adulte comme un univers menaçant. C’est aussi l’âge d’opposition. Opposition à tout ce qui contrecarre son principe de plaisir. Le principe de réalité est ignoré, méconnu. La réalité doit s’effacer devant l’imagination infantile. Aucune logique ne peut venir à bout de cette pensée magique.
Pour l’enfant, son univers puéril n’a pas de début ni de fin. C’est l’éternité de l’esprit enfantin, l’infinitude de l’enfance. C’est par le prisme de la pensée magique qu’il appréhende l’existence. Son univers puéril est peuplé de fantômes. Sa personnalité est envahie par la peur irrationnelle. Sa pensée est dominée par l’animisme. Sa notion du bien et du mal est très subjective, limitative, réductrice.
Tout comme l’a magistralement analysé et développé le célèbre psychiatre algérien Khaled Benmiloud dans son ouvrage La Raison paramagique, traitant des fondements du sous-développement des pays du tiers-monde, la raison prélogique domine encore la pensée de ces populations par ailleurs imprégnées de religiosité, à l’instar de l’Algérie.
Somme toute, tout comme l’enfant réfractaire à tout processus d’individuation, cette prise de conscience d’être distinct et différent de sa mère, d’être un individu doté d’une personnalité entière capable d’évolution et de maturation accomplies par soi-même en dehors du giron maternel, l’Algérien, par sa mue régressive islamiste, éprouve également le même traumatisme à l’idée de s’affranchir de certaines de ses croyances surannées, pourtant inopérantes et inadaptées à notre époque hautement scientifique et technologique.
La régression est ce mouvement psychique de repli, retour de l’individu à ces premières phases dépassées de sa croissance, son stade infantile, opérée sous l’effet de frustrations, régression adoptée comme mécanisme défensif contre les tensions intolérables – en l’espèce, pour l’islamiste, la modernité. La régression est couplée à celle de fixation obsessionnelle – observance fanatiquement littérale de l’islam – à l’un des stades du développement de l’individu – à la genèse de cette période de l’islam fantasmé. La régression se caractérise également par des sentiments d’infériorité vis-à-vis de soi-même – complexe d’infériorité due au sous-développement économique –, de là résulte ces manifestations d’agressivité et de violence contre les autres et soi-même – cette politique islamiste destructrice et suicidaire.
Pareillement, avec son investissement régressif de la religion, appliquée de manière pathologique, l’islamiste s’enferme-t-il dans une forme de psychose religieuse, cette perte du sens de la réalité où la pensée ne s’embarrasse pas des cadres logiques ni de logique encadrée par l’Etat civil, républicain, démocratique – il ne prête foi qu’à la charia et ne se plie que devant sa oumma fantasmée, l’Etat islamique. De là découle son rejet instinctif de tout mode de vie incompatible avec sa vision théologique islamiste régressive. Son refus radical de tout autre mode de pensée, de paradigme réflexif, de modèle de vie. De là provient sa propension fanatique à refuser toute innovation, à rejeter toute évolution. Corrélativement, son inclination à plier tout Algérien à son mode de pensée primaire et d’existence archaïque, même au prix du terrorisme religieux, autrement dit l’islamisme terrorisant.
De même, tout comme l’enfant tyran qui exerce une domination sur ses parents et d’autres personnes de son entourage par une opposition pathologique systématique où la hiérarchie familiale est inversée, opérée au moyen de «mini coups d’Etat», l’islamiste, en conflit permanent contre l’ensemble de la société et l’autorité gouvernementale, s’acharne-t-il tyranniquement à imposer son mode de vie obscurantiste à toute la population terrorisée, à régenter le monde même au prix de dégâts collatéraux sanglants, du sacrifice d’une partie de l’humanité.
Son intolérance à la modernité sociétale suscite chez lui contrariété, hostilité, agressivité, rébellion, qui peut virer à la violence physique, voire terroriste, pour imposer son modèle de vie archaïque, son univers infantile régi par des normes sociales rétrogrades, peuplé d’utopies paradisiaques fantasmées.
Pour lui, au dogme tranchant : hors de l’islam, point de salut. Son salut est au bout de la lame du couteau tranchante.
K. M.
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