Interview–Zekri : «Pour une insurrection intellectuelle contre l’extrême-droite !»
Algeriepatriotique : Vous avez poussé un coup de gueule au Conseil national des imams en fustigeant les adeptes de la division au sein de la communauté musulmane de France. Pourquoi tous ces clivages ?
Abdallah Zekri : Nous sommes face à des attaques racistes et islamophobes qui iront crescendo au fur et mesure que l’échéance présidentielle approche. A cette récupération politicienne du sujet de l’immigration, stigmatisée, montrée du doigt, accusé de tous les maux, au lieu d’opposer des voix concordantes qui vont toutes dans le sens de la défense de l’islam que nous épousons, celui du juste milieu et de la tolérance, on s’offre en spectacle devant ces millions de Français que nous représentons et qui se font étriller chaque jour que Dieu fait dans les médias, sans que nous puissions être ce bouclier qui les prémunit des complots qui s’ourdissent dans les laboratoires capitonnées de l’extrême-droite et, depuis un certain temps, de la droite également.
Vous parlez d’une campagne qui ira en s’amplifiant. Que voulez-vous dire par-là ?
Il est à craindre, en effet, que la campagne pour la présidentielle de 2022 trouve dans la flagellation des musulmans une sorte de courte-échelle qui, espèrent les candidats à l’Elysée, leur permettra de gagner des voix sur le dos de millions de Français et de binationaux qui seront ainsi accusés d’être la cause de toutes les crises que vit la France et dont les facteurs sont pourtant nombreux et ne concernent en rien cette frange de la société qui en est, à vrai dire, la première victime.
Eric Zemmour compte faire d’un meeting qu’il tiendra au Zénith le baroud d’honneur d’une campagne pour la présidence de la République extrêmement violente contre l’immigration. Quelles sont ses chances, selon vous ?
Eric Zemmour réveille les démons de la haine sous le prétexte spécieux que la France serait menacée par ce que ses partisans fanatisés appellent le «grand remplacement». Cet énergumène a réussi à introduire en contrebande des concepts dangereux qu’il instille insidieusement dans la société française pour atteindre son but, celui de parvenir au pouvoir aux fins de régler un vieux contentieux historique avec l’Algérie d’où il est originaire. Ce genre de personnes a la rancœur et la vengeance chevillées au corps et leur présence dans le paysage politique et médiatique français représente une sérieuse menace sur la cohésion sociale dans le pays. Zemmour est jaloux de faire l’agrément de l’extrême-droite et d’une bonne partie de Français qui croient faussement que leurs malheurs viennent des musulmans et des immigrés. Or, il n’y a rien de plus éloigné de la vérité que ces enfumages grotesques qui balaient d’un revers de main l’apport de cette catégorie de Français ou de résidents qui ont concouru aux Trente glorieuses et avaient été accueillis en France lorsque celle-ci avait besoin de leurs bras. Ces derniers ont accepté leur sort, vivant dans des conditions sociales inhumaines, mais faisant preuve de patience et de résilience face à ce qu’ils avaient enduré.
Comment les musulmans de France peuvent-ils se défendre face à cette montée du racisme et de l’islamophobie ?
Partout où il y a xénophobie, haine et racisme, il ne peut y avoir osmose entre les différentes composantes de la société. Cela implique que l’intégration tant chantée par les gouvernements successifs depuis les années 1960, c’est-à-dire au lendemain des indépendances des anciennes colonies françaises, que ce soit au Maghreb, en Afrique ou en Asie, puisse devenir effective à travers un certain nombre de mesures que le président en exercice et candidat à sa propre succession devrait entreprendre de façon concrète s’il venait à être réélu. L’immigration à laquelle la France faisait appel hier était peu cultivée. Celle d’aujourd’hui a fait les grandes universités et occupe des postes stratégiques dans les grands groupes industriels, dans l’enseignement, dans la santé, dans la recherche, etc. Mais très insuffisamment dans les postes de responsabilité politique. Il faut que la prochaine étape soit celle de l’admission de cette catégorie de Français dans les rouages de l’Etat, une admission qui, cela s’entend, ne doit pas être une sorte d’ascenseur social factice, mais un véritable levier de cohésion qui permettra, à terme, d’en finir avec la France à deux vitesses, celle des quartiers intramuros privilégiés et celle des banlieues livrées à elles-mêmes.
Emmanuel Macron a-t-il des chances d’être reconduit ?
Les estimations et les suppositions, à quelques encablures de l’échéance de 2022, ne peuvent être fondées que sur le constat fait sur le terrain. Certes, la situation en France n’est pas reluisante, notamment à cause de la crise sanitaire dont on voit qu’elle est loin d’être derrière nous, mais cela nous pousse à souhaiter que les zélateurs des extrémismes, quels qu’ils soient, ne parviennent pas à être, un jour, légitimés par les urnes pour exécuter des politiques qui seront fatales pour la France, mais aussi pour l’ensemble des pays de la région, que ce soit en Europe ou au Maghreb.
Pour répondre à votre question, oui, Emmanuel Macron part favori dans cette course à la présidentielle. Tous les sondages le donnent vainqueur au second tour. C’est, de toute façon, ce que je souhaite personnellement. Je me dois de rappeler que la droite, incarnée par les Républicains, a plongé tête baissée dans la scélératesse, si bien qu’Eric Ciotti a été jusqu’à dire qu’il préférait voir Eric Zemmour être élu qu’Emmanuel Macron rempiler. Cette attitude immorale est d’un égocentrisme absolu. La position de son rival aux primaires de droite, Michel Barnier, n’est pas moins horripilante, sachant le soutien que nous avons apporté à ce parti par le passé pour, justement, juguler la menace extrémiste. Ces deux candidats, avec leur camarade Xavier Bertrand, s’adonnent à qui mieux mieux à un braconnage politique aussi turpide que révoltant.
Comment l’extrême-droite arrive-t-elle à convaincre de la justesse de ses positions radicales ?
Les discours de l’extrême-droite, à laquelle s’est ralliée la droite, tournent toujours à la terreur de l’étranger, à l’enfermement sur soi. Ils n’offrent pas des pistes de réflexion, des vérités, de la lucidité, mais des grossièretés politiques, de la provocation, de la caricature qui renvoie, à vrai dire, à leur propre image. Avec la puissance que lui offre un certain paysage médiatique, parfois par maladresse, elle donne l’impression d’avancer à grands pas vers le sacre final, mais l’expérience nous a montré qu’à chaque fois qu’elle mettait un pied sur les marches de l’Elysée, les électeurs sortaient de leur léthargie pour leur barrer la route en donnant leur voix au rival qui était soit de gauche, soit de droite. Cela prouve aussi, malheureusement, que les Français sont mis devant un fait accompli et qu’ils ne sont appelés à la rescousse que pour éloigner le spectre du Rassemblement national sans que leur sauvetage de la démocratie soit couronné par des mesures qui atténuent autant que faire se peut leurs difficultés du quotidien.
Eric Zemmour, en tout cas, se voit déjà président, en déclarant que la France, c’est-à-dire lui, «n’a pas dit son dernier mot»…
Les électeurs, je l’espère, ne sombreront pas éternellement à son indigence et ne se feront pas indéfiniment flouer par ses arguties auxquelles ils cesseront bien de prêter l’oreille dès qu’ils auront compris à quel point il est capable de les berner avec sa bagatelle. J’appelle, quant à moi, à une insurrection intellectuelle contre cet imposteur et contre les identitaires qui ne proposent comme horizon aux Français que le mépris des uns envers les autres.
Propos recueillis par Mohamed K.
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