Interview–Soufiane Djilali : «Des résidus du GIA sont implantés en Europe»
Algeriepatriotique : Votre parti vient de rendre public un communiqué dans lequel ses membres déclarent saisir la justice contre ceux qui s’adonnent à des propos xénophobes et racistes à l’égard de nos compatriotes. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Soufiane Djilali : Zoheir Rouis, qui est vice-président de Jil Jadid, a publié un communiqué en tant que président de l’association Jil Jadid Europe (association agréée en France) pour attirer l’attention des autorités françaises et, plus généralement, de la classe politique française sur les dépassements inadmissibles de certains propos mettant en cause autant les Algériens que l’islam.
Je comprends parfaitement et je respecte, par ailleurs, les choix politiques des uns et des autres. Je ne m’immisce en aucun cas dans les questions internes de la France. Ce qui nous gêne, en tant que Jil Jadid, avec notre représentation en Europe, c’est cet acharnement contre une communauté émigrée qui est devenue le bouc-émissaire sur lequel se défausse la classe politique française pour ne pas avoir à assumer la situation compliquée de son pays.
Bien sûr que les banlieues françaises sont devenues difficiles et posent problème quant à leur gestion. Nous sommes d’accord que l’islamisme politique djihadiste a pratiqué le terrorisme et, à ce titre, est un danger public. A ce sujet, je rappelle que beaucoup d’hommes politiques français s’attaquaient à l’Algérie et agitaient le «qui tue qui» en mettant à mal l’armée algérienne lorsqu’elle combattait le terrorisme et, aujourd’hui, ils sont les premiers à se plaindre de ce phénomène.
A ce propos, des résidus du terrorisme en Algérie se sont implantés en Europe et s’inscrivent dans des agendas de Daech et de mercenariat sans vergogne. Depuis Londres, Paris ou Genève, ils utilisent en toute impunité chaînes de télévision, médias sociaux, argent et réseaux pour tenter de créer de nouveau le chaos dans leur propre pays. Malgré cela, personne ne s’en offusque, ni ne s’en émeut. Et encore, je ne veux pas entrer dans l’historique de la création et de la manipulation de cet islamisme par les puissances mondiales dans un objectif géopolitique. Un boomerang revient souvent vers son lanceur.
Ce double emploi du terrorisme et des droits de l’Homme a entraîné la destruction des pays musulmans d’abord. Par contre, amalgamer l’islam avec les dérives de l’islamisme est un pas qu’il ne faut absolument pas franchir. Cela est fondamentalement faux, injuste et dangereux.
Le thème du grand remplacement du peuple français est un fantasme absurde. S’il y a des vagues de migration des pays arabes vers l’Europe, il faut que cette dernière s’interroge sur les politiques qu’elle mène vis-à-vis de ces peuples. Et si, d’un autre côté, l’islam prend de la vigueur en Occident, c’est dû d’abord, et avant tout, à l’effondrement des valeurs spirituelles et civilisationnelles de ce dernier devant la déferlante des nouvelles idéologies mondialistes et transhumanistes. Le monde occidental a accouché d’une civilisation matérialiste et individualiste qui stimule les instincts et les désirs et qui a mis les Occidentaux dans un vide spirituel qui est autrement plus dangereux. C’est en faisant leur introspection que l’Occident, en général, et la France, en particulier, pourraient remédier à leur malaise et non pas en accusant les Algériens et les musulmans de tous les maux alors qu’ils ne sont en réalité pour rien dans cette affaire.
Bien sûr, je comprends, par ailleurs, les difficultés financières et économiques qui favorisent la montée du populo-nationalisme. Les effets de la mondialisation entraînent le resserrement de l’offre d’emplois, tout comme l’appauvrissement de pans entiers des populations les plus fragiles et dont les Gilets jaunes ont en été la manifestation la plus visible. Comme toujours, dans les moments de crise, les plus faibles et ceux que l’on considère comme étrangers à la société deviennent la source de tous les maux. Ce qui est choquant, c’est non seulement la montée de l’ostracisme et de la xénophobie mais les dérives racistes et islamophobes. Certains candidats aux présidentielles n’hésitent pas à faire l’amalgame entre islam et islamisme politique, s’attaquent à la dignité de leurs concitoyens en exigeant d’eux qu’ils changent de nom et en confondant la pratique religieuse la plus pacifique avec le terrorisme. En fait, il est exigé des Français d’origine algérienne et les Algériens résidant en France de se renier, de cacher leur conviction religieuse et de se défaire de leur identité. C’est cela la démocratie, la liberté de conscience et les droits de l’Homme ?
Ces discours n’augurent rien de bon. Pour des raisons historiques et politiques, la société française a accueilli des communautés immigrées qui ont été, en retour, loyales et productives. Une grande partie des Maghrébins a adopté les us et coutumes de leur pays d’accueil et vivent leur identité et leur spiritualité en toute quiétude. Les discours de haine peuvent, au contraire, troubler les esprits et porter préjudice au processus d’intégration. Le populisme peut devenir une source de conflits à l’intérieur de la société française mais aussi entre la France et le Maghreb. Personne n’y a intérêt.
Vous avez appelé, dans votre communiqué, les organisations de défense de la diaspora algérienne et des avocats membres du parti pour agir face à «ces dérives sectaires» comme vous les qualifiez. Comment ces organisations que vous citez peuvent-elles faire face aux médias dominants qui servent de tremplin à l’extrême-droite ?
Nous n’avons pas la prétention de faire face aux médias dominants. En tant que Jil Jadid, nous n’avons aucun levier politique significatif pour changer les choses dans l’immédiat. Cependant, les Algériens, et plus largement les musulmans de France, devraient se donner la peine de s’organiser dans le cadre de la loi et défendre leur dignité et leurs intérêts légitimes. Les Algériens et les Français d’origine algérienne sont l’une des communautés les plus importantes en France, pourtant les plus fragiles et les moins organisées. Leur présence en France étant irréversible pour la très grande majorité d’entre eux, je pense qu’ils devraient être au centre d’une relation algéro-française sereine, apaisée et bénéfique en termes politique, économique et humain. Je sais qu’il y a beaucoup d’obstacles pour y arriver : l’histoire, la politique et les lobbies en France qui veulent faire barrage à cette coopération. C’est un défi à relever car tout le monde y gagnerait.
Il est reproché aux musulmans de France leur division. Quel est votre avis ?
Une communauté divisée est faible et le contraire est vrai. La faiblesse de la communauté entraîne sa division. Jil Jadid Europe œuvre depuis plusieurs années à regrouper les Algériens, qu’ils soient de passage en France et plus généralement en Europe, ou même qu’ils aient fait le choix d’y résider définitivement avec, cependant, un intérêt maintenu pour leur pays d’origine. Cette association est ouverte également à ceux qui portent la double nationalité. Notre objectif est de garder un lien avec notre communauté, l’aider à s’organiser et à défendre ses intérêts moraux et, enfin, lui permettre, lorsque les conditions s’y prêtent, de contribuer au développement de l’Algérie. Je peux vous dire qu’actuellement nous regroupons plusieurs dizaines de militants de grande qualité, des scientifiques, des chefs d’entreprise, des cadres. Nous avons même des militants qui sont des élus locaux en France. Pour nous, comme à chaque fois, il ne faut pas se suffire d’un constat (ici la division et la faiblesse de notre communauté) mais toujours tenter d’apporter les réponses pour améliorer la situation. C’est ce que nous faisons avec Jil Jadid Europe.
«Les musulmans avec Zemmour», un collectif qui soutient le candidat raciste à la présidentielle française a répondu à votre communiqué. Qui est ce collectif ? Que lui répondez-vous ?
Nous ne connaissions pas ce collectif qui, comme lors de toute campagne électorale, il a dû se constituer selon la stratégie du candidat lui-même. Il a une existence médiatique peut-être mais aucune consistance humaine significative. Le fait que ce collectif soit utilisé pour nous répondre révèle que notre message est arrivé à destination.
En tout cas, en cas de dépassement raciste ou d’atteinte à la dignité de nos coreligionnaires, nous n’hésiterons pas, sur conseils de nos avocats, à porter l’affaire devant les tribunaux.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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