Les tables rondes du Marocain Bourita rangées au grenier des souvenirs

Nasser Bourita. D. R.

Une contribution d’Ali Akika – A peine entamée, la tournée de l’envoyé de l’ONU Staffan de Mistura a eu son lot de mensonges ridicules. Les victimes de ces mensonges sont des enfants sahraouis que des esprits quelque peu débridés les ont transformés en soldats. Cette «littérature», qui insulte les mots, trahit ceux-là mêmes qui veulent s’en servir comme arme. Car les mots sont subversifs quand ils sont créateurs de sens et non de simples pattes de mouches de bafouilles d’écrivaillon…

Avec la tournée de Staffan de Mistura, la presse marocaine s’est déchaînée, ô surprise ! contre l’AFP pour avoir «déformé» les propos du secrétaire général de l’ONU. Ce dernier n’a fait que constater les réalités du terrain. Celles-ci échappent aux seuls propagandistes marocains, aveugles comme on le sait désormais. J’avais dans de précédents articles noté, et non inventé, les nouvelles donnes politiques après les cris de «victoire» de «notre» Makhzen à la suite de la résolution 2602 du Conseil de sécurité. Ces nouvelles donnes apparaissent clairement avec les déclarations faites par le Polisario et l’Algérie après leurs rencontres respectives avec De Mistura.

Ce sont ces déclarations qui ont déclenché en vérité la fureur de l’agence de presse officielle du Maroc (MAP). Cette agence y a vu, à juste titre, des liens entre la déclaration du secrétaire général de l’ONU et la position du Polisario (base de la négociation, indépendance totale et lutte armée concomitante durant la négociation). Voyons les raisons (indépendance et lutte armée) à l’origine de l’hystérie de la presse marocaine qui voit ses tables rondes éjectées et destinées à prendre place dans un grenier.

Le Polisario lors de sa rencontre avec De Mistura lui a fait part qu’il ne discutera à l’ONU que de l’indépendance totale de son pays. Quant à l’Algérie, elle réitéra sa position au lendemain du vote de la résolution 2602, à savoir sa non-participation aux tables rondes. Ces deux décisions expliquent la fureur du Makhzen et les déclarations de Guterres et du ministre espagnol des Affaires étrangères ont encore participé à la profondeur de l’angoisse du Makhzen…

Intéressons-nous aux réalités du terrain dont la dynamique va montrer que le Maroc a épuisé son stock de mensonges et va devoir faire face au baroud des Sahraouis (1). Le Polisario vient donc d’annoncer que la négociation sous l’auspice de l’ONU aura pour sujet unique de discussion l’indépendance totale de son pays. Son négociateur à l’ONU a ajouté que la guerre, qui a repris le 13 novembre 2020, a fait entrer le conflit dans une nouvelle phase. De Mistura va faire son rapport au secrétaire général de l’ONU, lequel le soumettra au Conseil de sécurité. Ce dernier prendra connaissance des deux propositions frontalement contradictoires, indépendance pour le Polisario, autonomie pour le Maroc. Les «amis» du roi membres du Conseil de sécurité apprendront qu’en l’absence de l’Algérie les tables rondes devront changer de forme géométrique. Elles seront carrées car le Polisario n’a point besoin d’autres témoins pour présenter son projet d’indépendance totale. Ainsi, il en sera fini des faux fuyants et des petites ruses qui ont permis à la monarchie de gagner du temps. Le Polisario l’a dit clairement, la négociation se déroulera sous le parapluie du droit international et des résolutions de l’ONU et de l’Union africaine, résolutions acceptées par les deux parties.

Le Conseil de sécurité et le Maroc sont ainsi prévenus. Le peuple sahraoui renoue avec les fondements politiques et militaires des luttes de libération, négocier et combattre. Les Algériens et les Vietnamiens l’ont fait et ont obtenu des résultats par la seule voie que comprend un colonisateur. Car il faut rappeler au Makhzen et à ses amis du Conseil de sécurité que pendant leurs bavardages, le peuple sahraoui subit la domination avec son cortège de souffrances. La reprise de la lutte armée va non seulement perturber leur propre sommeil mais va aussi redistribuer les cartes géostratégiques dans la région. Car la géostratégie a ses raisons qui ne font aucunement attention aux délires de ceux qui croient encore à leur mission civilisatrice, mission qui naît (n’est) vérité dans des esprits voraces et prédateurs. Que dit la géopolitique de la région nord-africaine et de l’Afrique sahélienne ? Qu’un pays, le Maroc qui a la prétention de coloniser un pays voisin n’a pas à l’évidence les moyens de sa politique. Parce que le peuple sahraoui mène une lutte depuis 1975. Parce que le Maroc a déjà agressé et menacé par le passé d’autres voisins, en l’occurrence la Mauritanie et l’Algérie.

Et, comble de stupidité, une monarchie archaïque et désuète accuse l’Algérie d’être son véritable ennemi, tout en mendiant sa présence d’observateur à ses fumeuses et guignolesques tables rondes. Tous ces éléments du dossier historique et de géopolitique ne sont pas ignorés de ses «amis» du Conseil de sécurité. Sauf que le temps s’est écoulé depuis 1975 et que lesdits amis vont devoir revoir leur copie car de nouvelles donnes politiques et géostratégiques ont surgi dans la région (2). Libye, Mali, Niger, Burkina Faso, un sous-continent plus grand que l’Europe, n’est plus une zone où des armées qui ont saccagé la Libye vont ramener la paix dans la région en forçant les peuples à se jeter dans le giron de l’Occident. D’autres puissances extra-africaines sont d’ores et déjà sur place mais surtout un pays africain, l’Algérie qui a son mot à dire.

Le Maroc qui a introduit un loup aux frontières de l’Algérie doit inquiéter beaucoup de pays occidentaux. Ils sont bien conscients que la présence de ce loup risque de transformer cette région en un nouveau Moyen-Orient. Une région où ils sont en train d’être chassés à cause de leur obstination à fermer les yeux sur ce loup vorace dans ses appétits et peu regardant sur le droit du peuple agressé de Palestine. Tout ça à cause de leur vision du monde qui prône le mariage de l’eau et le feu, à faire cohabiter l’opprimé et l’oppresseur, à vouloir rester ami avec «des Arabes» qui les laissent siphonner leur pétrole pour que des féodaux moyenâgeux puissent castrer leur peuple en toute tranquillité…

Que peut faire le Maroc dans ce vaste sous-continent et dans la situation actuelle ? Pas grand-chose quand on le voit embourber à Sakiet El Hamra et au Rio d’El Oro ! Son armée se cache derrière un mur de sable après avoir signé un cessez-le feu et reconnu le droit à l’autodétermination d’un peuple de quelque 350 000 habitants !

Ce sont ces réalités, fruits de l’histoire, bousculées par la géopolitique introduite aussi par la légitime lutte armée sahraouie, tous ces paramètres imposent peu à peu une nouvelle dynamique. Un nouveau scénario est en train de s’écrire à propos du Sahara Occidental hors Conseil de sécurité. Celui-ci va recevoir un rapport de son envoyé De Mistura. L’honorable Conseil de sécurité devra, et finira par, choisir entre le théâtre triste des tables rondes joué uniquement par une monarchie à bout de souffle. Le Conseil de sécurité est devant donc un choix, celui qui préserve le droit international et la paix ou bien celui de la guerre dans une région qui n’a pas à aller grossir les rangs des tragédies. Entre un peuple qui n’a que trop patienté en dépit de la répression sur son propre territoire, un peuple qui connaît la guerre et l’exil, le Conseil de sécurité ne peut pas donner son appui à un roi qui se permet de menacer des pays qui ne partagent pas ses chimères.

«En revanche, à ceux qui affichent des positions floues ou ambivalentes, nous déclarons que le Maroc n’engagera avec eux aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain.» Cet extrait du discours du monarque marocain le 6 novembre 2021 résume parfaitement la nature d’une lubie héritée d’un «droit divin» qui n’a plus court dans le monde d’aujourd’hui. Le Conseil de sécurité a tout intérêt à dire la messe pour sauver les meubles de son protégé. S’il préfère le laisser attendre Godot de Becket (3), grand bien lui fasse. Les peuples, y compris celui du Maroc, vivent dans une région qui n’est pas avare de lumière. Ses immenses déserts sont plus propices aux légendes de Majnoun Leïla et aux fêtes des fantasias qu’à la noirceur de la vie qui transpire dans la pièce En attendant Godot du célèbre écrivain irlandais.

A. A.

1- A la bonne heure, le Makhzen qui pérore que le calme règne le long du mur de sable a laissé passer une information dans les médias marocains qui se vantent que l’armée marocaine a contrecarré une attaque du Polisario qui aurait perdu quatre combattants.

2- Voir la déclaration de Guterres, «il faut en finir avec cette guerre qui a trop duré et il invite les parties à la solution politique». Guterres ne fait que constater la réalité du terrain avec ses deux acteurs. Ce n’est pas par hasard qu’il cite le Sahel où le feu brûle et où les risques de confrontation le préoccupent. Ce n’est pas non plus un hasard que la rencontre de l’Américain Blinken et du ministre espagnol des Affaires étrangères Manuel Albares est passée inaperçue dans les médias marocains. Certains d’entre eux ont même nié que le problème sahraoui a été l’objet d’échange entre les deux pays.

3- Samuel Becket est Irlandais, écrivain, poète, dramaturge, fut lauréat du prix Nobel de la littérature en 1969.