Ne soyons pas naïfs !
Par Karim B. – Le handicap de la langue aidant, nos médias se réfèrent exclusivement aux agences, chaînes de télévision et sites français et arabes du Golfe. Or, dans la guerre qui se déroule en Ukraine, la propagande prend allégrement le dessus sur l’information. Par-delà les positions légitimes des uns et des autres sur ce conflit, ses causes et ses conséquences, notre rôle de journalistes appelle une analyse approfondie et mesurée des événements qui secouent cette partie du monde et qui, de par leurs enjeux colossaux et leurs ondes de choc, impacteront l’ensemble de la planète.
L’Algérie, qui occupe une place de premier rang au sein du club fermé des pays exportateurs de gaz, subira, à n’en point douter, des pressions qui viendront s’ajouter à celles que lui font endurer, certes de façon indirecte, les puissances occidentales auxquelles elle oppose une politique aux antipodes de l’interventionnisme qu’elles adoptent comme doctrine, en semant le désordre partout dans le monde. L’Europe, qui se voit privée de cette énergie qu’elle obtenait auprès de la Russie et qui la rend précaire, cherchera à combler ce besoin en se tournant vers le Qatar, la Norvège et, évidemment, le voisin du sud de la Méditerranée qui assure déjà une partie de la demande espagnole, italienne et française.
Que faire ? Augmenter la production et rendre ainsi obsolète un des moyens de dissuasion russe dans sa guerre avec l’Otan et provoquer la colère de l’allié stratégique historique de l’Algérie depuis la Guerre de libération nationale jusqu’à ce jour ? Ne pas répondre aux sollicitations des partenaires européens, notamment l’Italie et l’Espagne, qui entretiennent avec l’Algérie des relations amicales stables et à qui notre pays sait gré de n’avoir pas participé à l’isolement instigué durant les années 1990, suite au détournement par les services secrets français de l’Airbus d’Air France en décembre 1994 ? Dilemme.
Chaque mot, chaque déclaration, chaque décision dans la situation actuelle doit être pesé et repesé. Le métier de journaliste requiert la plus grande vigilance et un professionnalisme sans faille pour éviter de répéter, tels des cacatoès, ce que les principaux belligérants servent à l’opinion internationale comme des vérités, chaque camp accusant l’autre de propager des mensonges alors que la réalité du terrain est tout autre.
En France comme aux Etats-Unis, quelques voix de la raison commencent à se faire entendre. L’ancien ministre des Affaires étrangères sous Chirac au moment de la Seconde Guerre du Golfe, Dominique De Villepin, qui a déserté les plateaux de télévision français au regard du niveau des débats qui a crashé ces dernières années, a rappelé au «vautour» Bernard-Henri Lévy, à juste titre, sa «posture [confortable] de plateau de télévision» tout en envoyant les Ukrainiens au casse-pipe. A Washington, c’est le sénateur Bernie Sanders qui a énuméré le nombre incalculable d’interventions militaires américaines de par le monde et qui se sont toutes achevées par des catastrophes.
Des briefings de notre ministre des Affaires étrangères ou d’un de ses conseillers au profit des journalistes rompus aux questions internationales sont une exigence de l’heure. Autrement, l’opinion publique nationale continuera d’être roulée dans la farine par une machine médiatique mondiale si bien huilée qu’elle est capable de faire avaler le plus gros mensonge aux plus sceptiques. Cet art de la mythomanie contrôlée, les industriels de la persuasion par la désinformation l’ont appris chez les «fabricants du consentement», comme les a baptisés Noam Chomsky.
K. B.
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