La guerre en Ukraine annonce un nouvel ordre mondial incontournable
Une contribution de Youcef Benzatat – Pendant que les faiseurs de «vérité de secours», hypocrites de profession, qui meublent les plateaux télé mainstream de l’empire, pour les nuls, pour asséner leur propagande sous forme d’antithèse sournoise à celle victimaire et guerrière, officielle en vigueur, se torturent à limiter les origines du conflit russo-ukrainien à ceci ou cela, sans jamais remonter à sa véritable source, qui est leur volonté de domination et d’assujettissement du reste du monde depuis toujours, les médias fric de chez nous, entendre le reste du monde, prêts à brader leurs nations à vil prix, se contentent de piocher leurs sentences analytiques dans les agences laboratoires de l’empire ayant pignon sur rue, en les liftant à une hauteur de crédulité fantasmée de l’entendement de leurs peuples, pour que cela ne puisse froisser leurs clientèles, pour mieux jouer leur rôle de supplétifs dociles d’un empire en perte de contrôle sur ses dérives fascisantes.
En effet, on peut remonter l’origine de chaque conflit qui oppose l’empire occidental à un quelconque adversaire se situant à sa périphérie, selon la devise de Samir Amin, aux tout premiers instants de son avènement. Soit au premier corps expéditionnaire de l’empire occidental qui remonte en vérité à l’antiquité, lorsque dix mille mercenaires grecs, en majorité spartiates, furent engagés par Cyrus le Jeune pour donner l’assaut à la Perse, dans une volonté de domination du monde connu à cette époque. Cet épisode, gravé pour les temps futurs par Xénophon dans sa célèbre œuvre, L’Anabase, Anábasis, qui signifie, en grec ancien, l’ascension, la marche vers le haut, est toujours enseigné aujourd’hui avec une grande fierté et admiration dans les universités occidentales et constitue une source de motivation incontournable pour les élites à leur adhésion au projet d’extension infinie de l’empire. La Grèce étant considérée comme le noyau central et le point de départ de l’aventure de l’empire occidental.
En France, ce fut le célèbre philosophe de gauche Alain Badiou, qui l’actualisa au goût du jour, à la fin du XXe siècle, dans un séminaire donné à l’université parisienne de Jussieu, à l’occasion de la chute du Mur de Berlin et la dissolution de l’empire soviétique, traduits comme un triomphe de l’empire occidental qui, sans tarder, se déchaîna en prenant d’assaut l’Irak, fidèle à sa devise de «marche vers le haut». Le Palestinien Edward Saïd avait montré dans son œuvre monumentale, L’Orientalisme, comment les philosophes, y compris des Lumières, et les écrivains occidentaux, d’«obédience» humaniste, des cinq cents dernières années, généralement, avaient scellé leur allégeance au serment de Xénophon, L’Anabase. Ne voyant dans les génocides, l’esclavage, la dépossession des terres des peuples de l’Orient, entendu comme le reste du monde par Edward Saïd, par opposition à l’Occident judéo-chrétien, que comme une nécessité pour civiliser les peuples sauvages, en passant sous silence la cupidité comme motivation principale de leurs expéditions destructrices et meurtrières.
La formation des empires coloniaux qui, en résultat, constitués d’une multitude de centres de commandement, France, Angleterre, Espagne, Portugal, Belgique, etc., avaient été forcés de se redéployer en un empire néocolonial unique sous la bannière de l’OTAN d’Europe et d’Amérique, après que leurs contradictions internes aient atteint leur paroxysme en débouchant sur le stade suprême de l’impérialisme qu’est le fascisme avec la guerre dévastatrice qui s’ensuivit, conjugués à la pression de la devise de Kateb Yacine, «Nedjma ou le couteau». Contrairement à la propagande assénée par les faiseurs de vérités de secours, dont le contenu consiste à propager l’idée que l’OTAN aurait été mise en place pour défendre l’empire occidental de toute agression venant de l’Union soviétique, alors, qu’en vérité, c’est l’OTAN qui n’en finit pas d’encercler et de vouloir étouffer la Russie pour l’affaiblir et réduire son peuple à la devise de Frantz Fanon, Les Damnées de la terre, pour désigner tous ceux qui sont dominés et asservis par l’empire occidental. Comme il le fait partout ailleurs contre le reste du monde. La dernière offensive en date de l’empire occidental contre le reste du monde remonte à ce qu’il appelle le plan du GMO (Grand Moyen-Orient).
Contrairement à la propagande de l’empire occidental, pour manipuler les masses désabusées, sous couvert d’un plan d’aide aux peuples de la région pour les débarrasser de la dictature au profit de régimes démocratiques, le plan du GMO est une offensive de recolonisation qui vise à la domination d’une région plus vaste encore que ce qui est convenu d’appeler le Moyen-Orient. Tous les Etats qui ceinturent les puissances de la région, y compris l’Afrique, y sont inclus. Ce sont les puissances régionales émancipées de la tutelle impérialiste qui sont l’objet de cet encerclement. Notamment l’Inde, la Chine et la Russie. Une vaste région du globe qui va jusqu’en Ukraine. Il s’agit en fait d’une reconfiguration du conflit Est-Ouest, en passant de l’opposition du monde communiste au monde libéral à une nouvelle forme d’opposition entre bloc ultralibéral et totalitaire contre le reste du monde qui lutte pour sa souveraineté économico-politique. Les principaux acteurs de cette nouvelle forme de totalitarisme, dont le centre de commandement se trouve entre l’OTAN et l’état-major de l’armée américaine, exercent un chantage permanent sur les Etats «faibles» pour en faire des alliés potentiels.
Dans la région du Moyen-Orient à proprement parler, au-delà de l’Etat sioniste d’Israël, qui est partie intégrante de cette nouvelle forme de totalitarisme, s’y sont associés la Turquie islamiste d’Erdogan, les monarchies arabes, dont l’Arabie Saoudite, les Emirats du Golfe et enfin le royaume du Maroc. Chacun des alliés à la puissance impérialiste américaine aux manœuvres vise des dividendes appropriés à ses intérêts. L’entité sioniste, après avoir annulé les Accords d’Oslo, vise à atteindre son objectif du grand Israël en achevant la colonisation totale de la Palestine et du Golan syrien et enterrer définitivement la question du retour des réfugiés palestiniens. La Turquie islamiste ne vise pas moins son intégration à l’Europe et à faire taire la revendication du PKK kurde. Le Maroc, de son côté, vise, lui aussi, un soutien pour l’enterrement de la revendication du peuple sahraoui pour son autodétermination. Les monarchies du Golfe et à leur tête l’Arabie Saoudite, dans une propension démesurée et anachronique, visent au statut d’empire régional, vassal, par l’exportation massive de leur idéologie wahhabite à coups de financement des mouvements islamistes des différents pays de la région jusqu’à l’Afrique continentale. La stratégie du plan du GMO consiste en la refondation géopolitique et territoriale de la région pour répondre à l’objectif visé.
Jusqu’à l’intervention de la Russie en Syrie, cette stratégie consistait à renverser les dictatures pour ensuite semer le chaos par djihadistes interposés, que l’empire, assisté des monarchies alliées arabes, finançait et surarmait en abondance. Il fallait parvenir à démembrer les Etats en petits territoires pour empêcher toute puissance locale d’émerger et instaurer des régimes croupions, facilement maniables et perméables à la corruption, en servant tout autant les intérêts d’Israël, des monarchies arabes et d’être entièrement dépendants de la cause impérialiste, dépourvus de souveraineté, sous la forme d’une recolonisation. Les Etats ayant déjà fait les frais de cette stratégie sont aujourd’hui au stade de décomposition, tels que l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen, sans nommer les nombreux Etats d’Afrique subsaharienne qui sont en train de subir, eux aussi, les affres des groupes djihadistes. Pour tous ces Etats, toute solution qui se présente pour une transition pacifique dans l’unité nationale est systématiquement sabotée par l’empire et ses alliés. La Tunisie ne connaît qu’un calme relatif et un semblant de transition démocratique, tout en restant très vulnérable.
L’Algérie et l’Iran, qui ont joué jusque-là un rôle de ralentisseurs à la fulgurance de cette stratégie, continuent à résister sous une pression étouffante venant de toutes parts. L’embargo et la menace d’agression permanente auxquels était soumis l’Iran sous prétexte de sa violation du moratoire sur la prolifération des armes non conventionnelles, la manipulation de l’islam politique subversif et des séparatistes berbéristes pour semer le chaos en Algérie, se sont avérés insuffisantes à l’empire pour déstabiliser ces deux Etats. Il lui a fallu monter de toutes pièces une stratégie de chute significative du prix des hydrocarbures avec ses alliés du Golfe, dont l’économie de ces deux Etats est tributaire, pour pouvoir les affaiblir, en même temps que d’affaiblir la Russie en tant qu’obstacle à leur visée hégémonique. En effet, la situation est devenue explosive et les tensions exacerbées à cause de cette chute des prix des hydrocarbures, du moins en Algérie, et cela au moment où la crise politique était à son paroxysme du fait de la vacance du pouvoir. C’est à ce moment crucial où tout semblait s’effondrer et que la stratégie de l’empire allait toucher à son objectif, au moment où les derniers bastions qui lui résistent allaient s’écrouler, au moment où les djihadistes étaient parvenus à la porte de Damas, qui auraient menacé directement l’Iran et le Liban, que Vladimir Poutine décide d’entrer en action.
L’interprétation de cette intervention de la Russie en Syrie contre l’Etat islamique, sous le seul prisme du soutien au régime de Bachar El-Assad par les médias de l’empire, malgré sa justesse, puisque s’attaquant à la plus grande organisation terroriste dans le monde, ne pouvait dissimuler son impact qui a résonné comme un coup de tonnerre au cœur de l’empire et dans les chancelleries de ses alliés israéliens, turques et celles des monarchies du Golfe. D’autant que cette initiative de la Russie sera suivie par une volonté d’armement intensif de l’Algérie et de l’Iran simultanément. La Russie ne s’est pas arrêtée à la Syrie et a étendu son intervention à la Lybie, au Mali et à la Centrafrique, pour se solder en un véritable plan anti-GMO.
Si l’intervention de la Russie en Syrie avait sonné le début de l’échec du plan diabolique du GMO, son intervention en Ukraine, le 24 février de cette année, en imposant la guerre à l’empire occidental de front, en la portant jusque dans son poste avancé, cela pourrait déboucher sur le début de la fin de la domination de l’empire sur le reste du monde. Car, désormais, l’Occident doit compter avec la puissance militaire de la Russie et de ses alliés, qui sont déterminés à le défier à calmer ses ardeurs et normaliser sa relation avec le droit international, en respectant la souveraineté des Etats qui constituent le reste du monde et en se conformant aux résolutions des Nations unies dans le cadre d’un nouvel ordre mondial dont il n’est plus le maître. Comme cela pourrait déboucher sur une déflagration généralisée aux conséquences tragiques sur la paix dans le monde, pouvant aller jusqu’à menacer la survie de l’humanité. L’empire occidental étant arrivé à saturation de ses contradictions, dont le comportement s’apparente de plus en plus à une posture fascisante, notamment par les trahisons économiques entre ses membres, comme cela s’était produit avec la situation coloniale avec l’arsenal nucléaire en moins.
Gageons pour que la prophétie d’Hannah Arendt ne puisse se réaliser, pour qui le fascisme ne peut vivre que par une idée de mouvement qui se reproduit sans cesse et qui s’accélère indéfiniment, au point que dans l’histoire du fascisme plus la guerre risque d’être perdue par les fascistes plus son exaspération et son accélération s’intensifient, et que la raison pragmatique des uns et des autres protagonistes du conflit, qu’ils soient partie prenante ou simples faiseurs d’opinion barricadés dans des armures de soldats de l’apocalypse, prenne le dessus sur le nihilisme ambiant.
Y. B.
Comment (39)