Opération militaire russe sur le territoire ukrainien : ce début de quelque chose
Une contribution de Nacer Achour(*) – Tout avait commencé avec l’ingérence des Etats-Unis en Ukraine, notamment et l’orchestration secrète du renversement du président ukrainien, Viktor Ianoukovytch en 2014. La Suisse officielle vient de se joindre au club très ouvert des pays hostiles à Poutine, en émettant, elle aussi, nonobstant sa «neutralité constitutionnelle», des sanctions à l’encontre de la Russie dont l’armée sur le terrain continue à enregistrer des avancées non négligeables. Aux dernières nouvelles, elle serait parvenue à s’emparer complètement de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, après Marioupol et Melitopol.
Que les choses soient claires : nous n’applaudissons pas la guerre et nous déplorons les souffrances de la population ukrainienne ainsi que les pertes en vies humaines que cette guerre engendre et continuera à engendrer des deux côtés.
De quoi s’agit-il en fait ? Guy Mettan qui «jette un pavé dans la mare nauséabonde de la désinformation par nos médias» pour reprendre les propos de Reto Olgiati, assène un certain nombre de vérités qui ne peuvent que déranger une certaine opinion conformiste, gavée à longueur de journée par un discours, une pensée, une «vérité unique». Ecoutons-le : «Pour la grande majorité du public et des médias intoxiqués par des décennies de propagande antirusse et pour les experts de plateaux qui ont oublié toute culture stratégique, la cause de cette guerre est entendue : Poutine est fou. C’est un grand malade, un paranoïaque isolé dans son Kremlin, un criminel de guerre, un satrape vendu aux oligarques, un mégalomane cynique qui rêve de rétablir l’empire des Tsars, une réincarnation d’Ivan le Terrible, un dictateur déséquilibré et capricieux qui a attaqué sans raison une nation innocente dirigée par un président démocrate et courageux soutenu par de vertueux Européens. Le cadre ainsi posé – les Grands Méchants d’un côté, les Gentils de l’autre –, le narratif de la guerre peut se déployer : les Russes ont bombardé Babi Yar et une centrale nucléaire, massacrent les civils, un génocide est en cours tandis que les Ukrainiens résistent héroïquement.»
Aux yeux de cette opinion, la cause est donc entendue et Poutine mériterait la mort. Un certain «néocon» aurait même suggéré la chose à l’endroit de Saddam Hossein accusé d’héberger des membres d’Al-Qaïda, de préparer des armes de destruction massive pour attaquer le «pays de la liberté» et d’être probablement derrière les attentats du World Trade Center dont les deux tours jumelles ont été intégralement détruites le 11 septembre 2001. L’inévitable allait donc se produire et l’Irak fut à nouveau attaqué.
Or, selon Thierry Meyssan, journaliste d’investigation et spécialiste de la question, il ne s’agissait ni plus ni moins que de l’application scrupuleuse de la doctrine de l’amiral Cebrowski qui «divisa le monde en deux : les Etats globalisés et tous les autres». «Ces derniers, ajoute l’auteur de Sous nos yeux, sont condamnés à n’être que des réservoirs de richesses naturelles et de main-d’œuvre et la mission du Pentagone post-11 septembre n’est plus de gagner des guerres mais de priver les régions non globalisées de structures étatiques et d’y installer le chaos».
Mais avant de revenir à notre sujet qui préoccupe et divise l’opinion publique, je voudrais avoir une pensée très profonde et particulière à ces trois jeunes Palestiniens, à peine sortis de l’adolescence, qui viennent de tomber en martyrs sous les balles assassines des forces de l’occupation israéliennes, et je ne parle pas du tout ici des trois jeunes Palestiniens tués mardi 8 février 2022 par l’armée israélienne à Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, et des autres, avant et après cette date.
Les Palestiniens sont condamnés à mettre leurs différends et leurs divergences politiques et idéologiques de côté et s’unir autour d’un seul objectif : libérer toute la Palestine de l’occupation. La cause palestinienne étant une cause juste, le sort qui sera immanquablement réservé à l’occupation est forcément le même sort que celui qui a été réservé à l’apartheid en Afrique du Sud. C’est juste une question de temps.
Revenons à présent à l’opération militaire russe qui se déroule sur le territoire ukrainien. Dans une interview qu’elle avait donnée à France Soir, l’imminente juriste et professeur invitée à l’université d’Etat de Moscou, Karine Béchet-Golovko, affirme que celle-ci «n’est pas dirigée contre l’Ukraine», avant d’ajouter que «l’Ukraine est occupée, non par la Russie, mais par l’OTAN».
Alors que pour l’ensemble des médias mainstream et l’opinion occidentale en général, Vladimir Poutine n’est qu’un potentat, un fou qui constitue un danger pour l’humanité, des journalistes, des intellectuels, d’anciens officiers occidentaux s’insurgent et n’hésitent pas à nous faire entendre un autre son de cloche et à condamner les horribles bombardements de la région du Donbass par le gouvernement d’extrême droite, anti-russe, installé à Kiev. Ils expriment leur inquiétude quant au financement par les Etats-Unis et d’autres pays européens de groupes d’extrême droite, néonazis et anti-ethniques, responsables de la plupart des violences de ces huit dernières années.
Pour le colonel Douglas McGregor, cité par Michael Whitney dans une contribution à Mondialisation.ca, sous le titre de «L’homme qui a vendu l’Ukraine», Vladimir Poutine est «en train de remplir la promesse qu’il a faite en 2007 à la Conférence sur la sécurité de Munich», à savoir : empêcher l’expansion de l’OTAN en Ukraine et en Géorgie en particulier…. Poutine aurait même affirmé à cette occasion : «Nous considérons ces pays comme des chevaux de Troie de la puissance militaire de l’OTAN et de l’influence des Etats-Unis…»
Poussant plus loin son analyse, Michael Whitney ajoute que «Washington veut attirer la Russie dans une guerre pour pouvoir diaboliser davantage Poutine, isoler la Russie, lancer une opération de contre-insurrection contre l’armée russe et imposer des sanctions économiques sévères qui infligeront un maximum de dommages à l’économie russe. C’est en deux mots la stratégie de Washington, et Zelenski aide Washington à atteindre ses objectifs. Il se fait l’outil de Washington. Il sacrifie son propre pays pour faire avancer les intérêts des Etats-Unis».
Il apparaît très clairement que cette guerre qui continue de faire des victimes des deux côtés parmi les populations civiles ukrainiennes, celles du Donbass y compris, et dans les rangs de l’armée russe et qui pourrait évoluer vers un conflit mondial, a été imposée à la Russie, voire voulue, et le principal gagnant dans l’affaire jusqu’ici reste, bien entendu, les Etats-Unis d’Amérique qui continuent à tirer les ficelles, croyant pouvoir ajouter impunément l’Ukraine à leurs palmarès.
En effet, et comme l’a si bien rappelé le brillant analyste, voici une courte liste de pays victimes de l’arrogance de l’Oncle Sam : la Yougoslavie, l’Afghanistan, la Libye, l’Irak, (par deux fois), la Syrie, pays auxquels il faudrait rajouter le Yémen, le Liban par procuration… sans parler des pays qui continuent à lui résister. Nous pourrions citer sans risque de nous tromper le Vietnam, le Panama, Cuba, le Venezuela, la Serbie (par deux fois aussi) et le Soudan.
Poutine avait-il vraiment le choix quand on sait que le but stratégique des Etats-Unis consistait à s’emparer de l’Ukraine et démembrer la Russie pour briser sa puissance en Europe et l’empêcher de se joindre à l’Allemagne ?
L’UE est, force est de le constater, décidément prise au piège, du moins ceux des pays engagés avec l’OTAN. J’imagine le désarroi dans lequel les dirigeants politiques de ces Etats sont, à subir ainsi le diktat des maîtres du moment, sachant tout au fond d’eux-mêmes que cette guerre est perdue d’avance et que leurs pays n’ont strictement rien à gagner à persister à durcir leurs positions et à voter des sanctions contre la Russie dont ils continuent pourtant à acheter le gaz, le pétrole ainsi que d’autres matières indispensables pour leur industrie.
Cependant, même si le monde, décidément, va mal, l’Histoire, quant à elle, continue à s’écrire. Même si le monde, décidément, va mal, il faudrait rester optimiste ; il bouge, il est donc vivant. Ici et là, les peuples opprimés continuent à faire entendre leur voix et à résister à l’ordre établi : des alliances se tissent, des solidarités s’affichent publiquement, la peur est en train de changer de camp.
La Garde républicaine iranienne, les résistants palestiniens, le Hizbollah libanais, les Houthis au Yémen font trembler l’entité sioniste et ses vassaux de Riyad, Doha et Dubaï. Sans oublier l’Algérie, ce partenaire et ami du géant chinois et de l’Ours polaire russe, qui continue à résister à sa manière et à aider la résistance du peuple sahraoui qui lutte pour l’autodétermination du Sahara Occidental, punissant, au passage, le voisin de l’Ouest pour avoir fait installer à ses frontières l’entité sioniste et de vouloir introduire le loup dans la bergerie.
A. A.
(*) Ecrivain
(Essonne, France)
1- Journaliste, homme politique, président de la Chambre de commerce Suisse-Russie
2- 1530-1584, grand prince de Moscou et Tsar de Russie.
3- Le massacre de Babi Yar est le plus grand massacre de la Shoah ukrainienne par balles mené par les Einsatzgruppen en URSS : 33 771 juifs furent assassinés par les nazis et leurs collaborateurs locaux…
4- Extrait du livre Sous nos yeux.
5- Colonel de l’armée américaine à la retraite et fonctionnaire du gouvernement, auteur, consultant et commentateur de télévision (Wikipédia).
6- Analyste géopolitique et social renommé qui vit dans l’Etat de Washington.
7- Zbigniew Brezinski, le plus influent conseiller des présidents américains pendant trente ans. In Le Grand Echiquier 1997 (dixit Guy Mettan).
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