Les conséquences géostratégiques planétaires de la guerre en Ukraine
Une contribution d’Ali Akika – Avant de cerner ces conséquences sur les terrains politique, économique et géostratégique, un mot sur le champ de la Pensée stratégique américaine. Celle-ci se révèle quelque peu inefficace à travers la guerre et ses pièges en Ukraine avec sa cohorte de ridicule et d’imbécile désinformation. On découvre ainsi l’ampleur des limites de la vision des Américains victimes de leur propre arrogance. Jusqu’ici la stratégie américaine consistait à isoler la Chine par tous les moyens (1).
L’isolement de la Chine fera pschitt
Avec la guerre en Ukraine, les Etats-Unis ont réalisé l’exploit de raffermir les relations sino-russes et de mettre en difficulté l’Europe qui pense à construire une défense autonome. Comment se manifeste-t-elle cette pensée sur le terrain politique et militaire ? J’avais fait ici état de l’inquiétude de Macron et Scholz qui avaient sollicité un entretien vidéo-conférence avec le président chinois. Ensuite, c’est le cerveau du Conseil de sécurité nationale américain qui a rencontré à Rome un haut dirigeant chinois. Ces deux événements sans résultat ont poussé le président américain à quémander une conversation téléphonique pour menacer, selon les «experts», Xi Jinping.
La Chine, sollicitée de toutes parts, et messieurs les experts nous apprennent que la Chine doit sortir de son ambiguïté. Evitons de donner la moindre crédibilité à ces «experts» et voyons pourquoi la Chine ne va pas bouger d’un iota en laissant ces «experts» ronger un os qui nourrit leurs fantasmes. La Chine populaire depuis son occupation anglo-saxonne et sa révolution subit les assauts des Etats-Unis. Aujourd’hui, elle est dans leur ligne de mire et les incite à l’encercler et l’isoler comme ils le font actuellement avec la Russie. Hier, alors que la Chine était faible, elle n’a jamais courbé l’échine et on voudrait aujourd’hui, rayonnante, l’amener à Canossa. La Chine comme tout pays qui se respecte défend ses intérêts, en comptant sur elle-même, et fait des alliances qui préservent ses dits intérêts et ne peut écouter un pays qui veut la neutraliser pour assoir sa domination sur le monde.
L’histoire, la géographie, les échanges économiques font de la Russie un partenaire préférable aux Etats-Unis dont l’obsession est de les diviser hier comme de nos jours. L’explication est simple, ce sont deux pays dont l’immensité, les ressources du sous-sol et surtout un impressionnant niveau technologique menacent la suprématie américaine. Les Chinois ne sont pas stupides au point de s’éloigner d’un tel pays voisin. Quant aux gadgets qui fascinent les zazous et autres bobos, la Chine en a à revendre avec sa 5G, Tik Tok, etc.
Conférence sur le nucléaire iranien
Ce n’est pas la presse dominante qui va faire l’éloge de deux pays, l’un en guerre, la Russie, l’autre sous embargo partiel ou total depuis la chute du Shah d’Iran. Ces deux pays viennent de réaliser un coup tactique remarquable face aux Etats-Unis à la conférence de Vienne. On sait que les Américains sont pressés de signer l’accord nucléaire avec l’Iran au grand désespoir d’Israël. Les Américains ne s’attendaient pas à une pareille sortie de la part de la Russie. La guerre en Ukraine étant passé par là, les Russes ont manœuvré avec le cavalier du jeu d’échecs pour sauter des obstacles et se faufiler au milieu du propre jeu américain. Les Russes ont en effet refusé de signer l’accord de Vienne en tant que membres de la délégation qui cautionne lesdites négociations.
Ils ont exigé que les Américains s’engagent en signant noir sur blanc que le commerce entre la Russie et l’Iran ne sera pas concerné par les sanctions éventuelles prises à l’encontre des deux pays. Ainsi, la Russie et l’Iran qui subissent les sanctions que l’on sait vont commercer tranquillement entre eux sous le regard amusé du monde qui n’amusera certainement pas Israël. Ce dernier, déjà désespéré de voir l’Iran retrouver ses milliards de dollars gelés dans les banques, vient d’apprendre que les Gardiens de la Révolution ne seront plus sur la liste des terroristes.
Les fissures des murs des Emirats arabes unis et de l’Arabie Saoudite
Les Emirats, après l’euphorie des accords d’Abraham, ont fini par faire face à la dure réalité des relations internationales. En rejoignant le camp de l’Occident et en le laissant installer des bases militaires dont le seul but est de neutraliser l’Iran, ils se rendent compte qu’ils ont joué le mauvais cheval. Cette fédération d’émirats pouvait vendre son pétrole et le transformer en casino et autres sites touristiques, ça aurait laisser de marbre leur voisin iranien. Sauf que leurs émirs ont cédé aux pressions anglo-américaines qui lorgnaient le pétrole/gaz qui serait menacé par la proximité de l’Iran. Mais le temps qui est passé, et voyant la grande Amérique prendre le large en direction du Pacifique, l’Oncle Sam Trump les rassura. Il leur proposa un marché de dupes, reconnaître Israël contre la vente des F35, avions dernier cri de l’arsenal américain. Une fois les accords dits d’Abraham signés, Israël mit son veto à la vente des F35. Première alerte.
La seconde alerte fut leur certitude que des accords nucléaires avec l’Iran à Vienne seraient signés. «Nos» émirs comprirent alors qu’un accord avec les Américains était potentiellement fragile qui ne les protégera pas de leur voisin iranien. Ils avaient bien vu les Etats-Unis négocier avec l’Iran, au grand désespoir d’Israël. Vint ensuite la débâcle en Afghanistan où les Américains abandonnèrent l’armée afghane à la merci des Talibans. Le verre déborda quand Biden déclara qu’il n’interviendrait pas en Ukraine, laissant l’Europe bouche-bée. C’en est trop pour les Emirats qui envoyèrent un signe à l’Iran en refusant de soutenir les Etats-Unis au Conseil de sécurité. Et, cerise sur le gâteau, le président syrien, qui n’est jamais sorti de son pays depuis belle lurette, a été reçu en grande pompe par l’émir des Emirats arabes unis.
Quant à l’Arabie Saoudite, engluée au Yémen et sous les flèches des Etats-Unis «officiellement» choqués par l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, elle supportait mal les critiques américaines. En vérité, ce sont les pressions des Etats-Unis pour infléchir leur politique pétrolière qui expliquent la crise entre leurs relations. En effet, la Russie, pays pétrolier coordonnant sa politique avec l’Arabie, et la Chine, gros acheteur de pétrole mais payable en dollars par le biais du banquier du monde, énervent les Américains. Quelle est la réponse de l’Arabie Saoudite à l’Oncle Sam ? Elle accepte dorénavant de vendre son pétrole en acceptant le yuan chinois comme devise convertible et a invité le président chinois à se rendre en Arabie. Vendre du pétrole sans passer par le dollar est un crime de lèse-majesté qui met en danger l’un des piliers de l’économie américaine.
Les Etats-Unis n’interviennent pas en Ukraine directement pour des raisons que l’on sait mais sont capables d’entrer dans le lard, comme on dit en langage fleuri, quiconque menacerait la domination du dieu dollar. Outre la protection de son pétrole, l’Arabie envoie des signaux à la Russie et à l’Iran, tous deux intéressés par l’affaiblissement des Américains dans ce Moyen-Orient. Dans ce Moyen-Orient, les surprises ne manquent pas. En effet, on voit s’agiter deux Etats pour sauver leur politique brinquebalante parce que gênée par la Russie. Ces deux Etats sont la Turquie et Israël qui ont renoué leurs relations par la visible visite de Herzog, président israélien à Istanbul.
La Turquie et Israël
Ces deux Etats s’agitent pour jouer les go-between, les médiateurs entre la Russie et l’Ukraine. Avec l’Ukraine, ils ont de bonnes relations. La Turquie vend des drones et Israël par le biais d’une population ukrainienne de confession juive. La Turquie et Israël sont idéologiquement, politiquement et économiquement du côté des Etats-Unis. Il est difficile pour ne pas dire impensable qu’ils contrarient les Etats-Unis dans leurs bras de fer avec la Russie. En vérité, le rapprochement Israël-Turquie ne date pas d’aujourd’hui. Il a ses origines dans leur cupidité et leur nature de prédateurs cherchant à s’approprier des zones pétrolières en Méditerranée orientale. Les Turcs font déjà des recherches dans la zone grecque et Israël se démène avec l’appui très fort et cynique des Etats-Unis pour voler carrément quelques centaines de kilomètres de la zone du Liban. N’était-ce le Hezbollah avec ses missiles et roquettes pointés sur la zone, Israël aurait déjà volé le pétrole. Le pétrole/gaz est donc le trésor qui a rapproché la Turquie et Israël.
Mais ce pétrole, il faut le transporter et le vendre. Alors, nos prédateurs veulent évacuer «leurs pétroles» et celui des pays du Golfe par des pipe-lines et gazoduc en traversant la Turquie pour approvisionner l’Europe. Ce projet était déjà dans les tuyaux pour remplacer le pétrole et le gaz russes traversant l’Ukraine. Avec la guerre actuelle, ledit projet est encore plus rentable en devenant élément stratégique permettant de se passer du pétrole/gaz russes. Des spécialistes prévoient que l’éventuel arrêt du pétrole et du gaz russes par embargo ou par refus de la Russie de vendre à cette Europe qui lui fait guerre, combiné avec l’absence de gazoduc Méditerranée/Turquie, va asphyxier l’Europe. Voilà pourquoi Israël et Turquie mettent leurs œufs dans le même panier de mariage avec l’appui des dollars du Golfe.
En conclusion, on le voit, les conséquences de la guerre en Ukraine ne font que commencer et réservent encore des surprises. Des pays comme la Chine, l’Inde, par l’importance de leurs populations et leurs potentiels économiques, sont sollicitées de prendre partie par les Etats-Unis et l’Europe. Des surprises peuvent venir d’ailleurs, de pays producteurs de cette matière première qui ne cesse d’être victime des gloutonnes industries prêtes à tout pour conserver «leur» bien-être, quitte à mettre à feu et à sang le monde… comme l’humanité en a fait la terrible expérience par deux fois, le siècle dernier.
A. A.
1- La politique d’isolement de la Russie durant la guerre froide avec le sinistre cordon sanitaire et celle d’aujourd’hui contre de la Chine dont on veut mettre en échec sa Route de soie pour l’empêcher de commercer. Un exemple, les Etats-Unis ont obligé Israël à refuser le port de Haïfa de faire partie de la Route de la soie. Sans compter le boycott de la 5G, etc.
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