La défaite des petits soldats de la désinformation de la guerre en Ukraine

La ville de Lougansk est aux mains des Russes. D. R.

Une contribution d’Ali Akika – L’atmosphère a changé dans les plateaux de télé où la belle «musique des victoires» de l’OTAN versus Ukraine a laissé la place au chant funèbre des illusions perdues. La prise de la région de Lougansk par l’armée russe a refroidi les ardeurs des «experts» qui croyaient que la vraie guerre ressemblait aux jeux vidéo. Dans mon article du 15 mai, j’ai noté ceci : «Le 13 mai 2022, l’Américain Lloyd Austin, patron du Pentagone, téléphone à son collègue russe et lui demande de décréter un cessez-le feu immédiat.» et «que s’est-il passé entre sa première déclaration d’affaiblir la Russie et, un mois plus tard, quémander un arrêt des combats».

Ce 20 mai, c’est le chef de l’état-major américain qui a parlé au téléphone à son collègue russe. J’avais signalé que la demande de cessez-le-feu de l’Américain Llyod Austin était le signe d’une inquiétude relative à l’encerclement des troupes d’élite de l’armée ukrainienne, sans doute encadrée et formée par les troupes spéciales américaines. Cette information a été zappée par la presse «noble», occupée à vomir sur l’armée russe gangrénée par la «barbarie» et ses généraux tirés comme des lapins par les vaillants soldats made in Etats-Unis. La seconde information, le coup de fil entre les chefs des armées qui se font la guerre a été à peine mentionnée sans le moindre commentaire. Evidemment que la conversation de ces deux chefs militaires ne portait pas sur leur santé personnelle mais sur les moyens d’éviter éventuellement l’humiliation aux soldats américains qui seraient pris dans la nasse des Russes, des soldats donc étrangers qui ne peuvent bénéficier du statut de prisonniers de guerre.

Pour ceux qui suivent l’actualité de la guerre en Ukraine et qui ne s’abreuvent pas uniquement à la source des informations triturées pour leur donner un goût qui sied au palais des benêts, ces observateurs donc avaient remarqué des choses pas très claires. Les réalités du terrain étaient noyées par la «débâcle des méchants» sous les torrents de la «bravoure» et de la «compétence», bref des faits d’armes des nouveaux supermen du XXIe siècle. La reddition de centaines de militaires ukrainiens se dirigeant vers leurs adversaires pour une fouille et vérification d’identité, devient chez nos «experts» une évacuation. Respectons ces prisonniers mais honte à ces flibustiers de l’information. Passons sur les illusions de ces aventuriers de la guerre derrière les portes capitonnées des médias et passons à l’actualité en train de dessiner des tournants dans les relations internationales…

Qu’est-ce qui fait peur à cet Occident pour que la Suisse et la Suède renoncent à leur neutralité ? Le titre et la posture de ces pays étaient, aux yeux du monde, la plus belle marque d’intelligence de l’histoire. Petits pays mais grands peuples qui avaient guerroyé courageusement et conquis l’estime de leurs adversaires à qui ils imposèrent un statut de neutralité qu’ils vont abandonner en ces jours de guerre en Ukraine. L’Europe qui a délaissé la géographie pour prendre le nom d’Occident, berceau et sanctuaire de la civilisation avec un grand «C», que lui arrive-t-il ? Ce ne sont point ses terres fertiles, ni ses industries pointues servies par une armée d’agronomes et d’ingénieurs qui seraient la cause de leur peur et de leurs angoisses ? La cause est ailleurs ? Elle est dans le langage qui échappe de certaines bouches et que le bon docteur Sigmund Freud appelle lapsus.

Ainsi, un matin sur une chaîne faisant couler son habituel robinet de l’info-intox, son journaliste gratifia son public en publiant un discours d’un revenant, ex-président des Etats-Unis qui condamnait la Russie pour avoir envahi l’Irak. Il s’agit de Georges Bush qui se reprend et corrige «euh, je veux dire l’Ukraine». Et le même journaliste qui avait offert cette perle bushienne, reprit la parole et dans la foulée parle des crimes des Soviétiques… Pardon, je veux parler des Russes. Deux lapsus dans une même séquence d’info, d’un Américain retraité et d’un journaliste français, jeune et fringant, ça dit forcément des choses. Tout ceci pour dire que l’Occident ne voit pas ou ne veut pas voir les vraies raisons qui provoquent ses peurs. Car ces peurs sont les fruits pourris des fabriques du mensonge appelées pompeusement la guerre de l’information élevé au statut suprême de l’art de la guerre. Et cet «art», enrobé souvent d’ignorance et de vulgarité, débite à longueur de journée des infos pour cacher les enjeux de la guerre sous une avalanche de «victoires». Mais le mensonge le plus sophistiqué ne peut masquer le réel.

Les deux informations importantes citées plus haut entre les plus hautes autorités des Etats-Unis et de la Russie ont eu lieu sans que la fabrique des mensonges leur donne l’importance qu’elles méritent. Mais les bruits et la fureur des champs de bataille ont brisé le mur de la désinformation. Hélas, nos petits soldats continueront à remplir leur mission. On l’a vu en Irak et Libye qu’ils ont enjambées pour recommencer aujourd’hui en Ukraine.

Ainsi, la guerre de la désinformation bat son plein, inlassablement et vulgairement. Il y a une certaine jouissance, chez les petits soldats de cette guerre, à énoncer d’une façon puérile les «victoires» nombreuses et imaginaires. La machine de mensonge chargée de salir et de déclarer la défaite de l’ennemi va leur réserver des surprises. Ils commencent à reconnaître que leur armée made in USA récupère ses territoires, une fois les soldats russes se retirent en bon ordre pour d’autres missions…

Pour ces va-t-en-guerre, leur arrogance, qui masque en vérité leur naïveté et leur incompétence, les fait tomber dans les pièges du camp adverse. Ainsi, ils applaudissent un colonel russe à la télé russe qui tient des propos critiques sur l’armée russe. Le lendemain, le même colonel tient des propos à l’opposé de ceux de la veille ; les applaudissements d’hier se transforment en visage décoré du rictus de la gêne honteuse chez «nos» journalistes.

Fort heureusement, un pays ne se réduit pas à une faune qui prétend détenir la «vérité» et inonder la société de sa morale niaise et ses émotions préfabriquées. C’est l’impression que donne la guerre de la désinformation en terre d’Ukraine. Cependant, et heureusement, des personnalités qui ont un certain poids font entendre leurs voix pour tenter de refroidir la machine à explosion de la guerre. Des hommes comme Dominique Villepin et Hubert Védrine ont eu le renfort de Henri Guaino qui, dans une tribune au Figaro qui a fait un grand bruit intitulée «Nous allons à la guerre en somnambules». Ces trois personnalités qui ont occupé des postes au sommet de l’Etat français connaissent la rude scène de la politique internationale et qu’aller à la guerre la fleur au fusil n’est pas dans l’intérêt ni dans les moyens de la France. Henri Guaino, qui fut la plume de Sarkozy et lecteur des grands classiques de la philosophie politique, a donc jeté un pavé dans la mare de la chape de plomb des médias.

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de Chirac partagent grosso modo le même point de vue qu’Henri Guaino. Ce n’est évidemment pas un hasard. Ils ont une certaine idée de la France, formule quelque peu grandiloquente d’un De Gaulle qui s’opposa aux Etats-Unis qui vassalise l’Europe à travers l’OTAN. Ce qui expliqua la sortie de De Gaulle contre l’OTAN et sa virulente condamnation de la guerre américaine au Vietnam. Et c’est justement cette OTAN, qui fait la guerre en Ukraine en se servant de l’Europe comme arrières du champ de bataille, et de l’entraîner dans un dangereux engrenage, selon ces trois personnalités. Ces derniers ne sont pas de la même famille politique mais ils ont une haute idée de leur pays à qui ils s’adressent, forts de leur expérience d’hommes d’Etat. Il serait utile d’aller au-delà de leur statut et de leur personnalité qui reflètent les aspects et l’histoire de France. Un Etat-nation né avec la révolution bourgeoise de 1789. Un pays gouverné par la classe qui a fait ladite révolution avec quelques intermèdes monarchistes, bonapartistes ou de front populaire. Un pays, face à la mondialisation, qui a une conscience à la fois de son histoire et des consciences de classe qui traversent la société française, un pays où des luttes sourdes se déroulent entre les amis-enfants de l’Oncle Sam et tous ceux qui ne veulent pas de cette guerre otanienne, résistants ou victimes, de la sale guerre de la désinformation.

J’y reviendrai sans doute dans un autre article.

A. A.