Xavier Driencourt : «Le système algérien est très compliqué à comprendre !»
Par Abdelkader S. – Il faut dire que l’ancien ambassadeur de France à Alger est très loquace quand il s’agit de dépeindre l’Algérie. Dans un nouvel entretien accordé à Berbère Télévision, Xavier Driencourt essaye de décrire le pouvoir algérien en cherchant soigneusement ses mots pour ne pas froisser. «Certains appellent ça le système, appelons ça la gouvernance, appelons ça le mode de gouvernement», a-t-il répondu, tout en le qualifiant d’«opaque» car «très compliqué à comprendre, y compris pour nous Français», a-t-il dit.
«Le paradoxe, c’est que les hommes politiques français croient comprendre l’Algérie, croient connaître l’Algérie pour des raisons de proximité géographique, de langue, de rapports entre Algériens et Français mais, en réalité, quand ils sont là-bas, ils découvrent qu’il y a quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas complètement», a encore affirmé l’auteur de L’Enigme algérienne : chroniques d’une ambassade à Alger, en estimant que «les Algériens nous connaissent mieux que nous ne les connaissons». «C’est vrai, ils nous connaissent parce qu’eux viennent en France régulièrement pour des questions privées, familiales ou autres, ils ont tous de la famille en France», a-t-il indiqué, en ajoutant que «l’Algérie a dix-huit consulats en France, [alors que] nous n’avons qu’une ambassade, deux consulats à Orant et Annaba, cinq centres culturels et puis nous n’avons pas les mêmes facilités pour aller en Algérie».
Dans son ouvrage paru aux éditons de L’observatoire, Xavier Driencourt, qui compte encore de nombreux contacts en Algérie, faisait part de ses «tergiversations» avant l’écriture de ses mémoires d’ambassadeur dans notre pays, parce que, a-t-il fait savoir, il appréhendait la réaction que son livre susciterait auprès des autorités algériennes. «J’imagine qu’à Alger ces quelques souvenirs et les remarques qui suivent seront analysés, commentés et critiqués sans doute», avait-il anticipé. «J’ai, bien sûr, en tête les réactions lors de la publication des mémoires de mon prédécesseur, Bernard Bajolet, et des quelques phrases extraites de son livre. J’avais été amené à préciser, comme certainement le fera mon successeur, que ces mémoires n’engageaient pas les autorités françaises, seulement leur auteur», avait-il averti.
«Tout ce qui s’écrit sur l’Algérie, surtout à Paris, et qui pourrait, peu ou prou, ne pas être en harmonie avec ce qui s’énonce à Alger est a priori suspect et ne reçoit pas l’imprimatur. L’ambassadeur de France sera peut‑être convoqué, on lui demandera si c’est la France qui s’exprime à travers son prédécesseur, la presse se déchaînera et on activera les réseaux sociaux», avait-il prédit, non sans cette suffisance propre aux officiels français lorsqu’il s’agit de parler de l’Algérie, nonobstant une haute considération que l’ancien ambassadeur dit porter pour les Algériens dont il «admire le courage, la gentillesse, la combativité et la ténacité». «Ils l’ont d’ailleurs montré pendant les longues années de lutte contre la France». Sa publication parue, rien de cela n’est arrivé. Une erreur de jugement, encore une, qui confirme son postulat selon lequel les Français ne connaissent pas l’Algérie, en définitive.
Les Algériens «savent faire plier leurs interlocuteurs, dont nous sommes évidemment», admet-il dans son livre, en faisant sienne la déclaration d’un ministre algérien – dont il a tu le nom – qui lui faisait savoir que les Algériens connaissent les Français bien mieux que les Français ne connaissent les Algériens. «Cela fait leur force, ils sont capables de nous mener où ils veulent, car eux connaissent nos usages, s’approprient nos codes, lisent nos pensées, anticipent nos réactions», appuie-t-il, avant de renchérir : «La relation avec eux est une épreuve permanente, seul compte le rapport de force.» «Cela, je l’ai appris parfois à mes dépens», confesse-t-il. «Je connaissais la difficulté de ce pays, la vie austère de la capitale, la très grande complexité de la situation politique interne depuis l’AVC du président Bouteflika en 2013 et, bien sûr, l’immense solitude d’un ambassadeur de France en Algérie», écrit Xavier Driencourt qui a dû quitter l’Algérie à la demande expresse des autorités algériennes en raison de son implication «assumée» dans le mouvement de contestation populaire du 22 février 2019.
Le diplomate français, pour lequel l’Algérie est une «équation difficile», tant, signale-t-il en page liminaire, «tout le monde s’y intéresse mais personne n’y comprend rien», note, toujours dans son livre, que le représentant du Quai d’Orsay dans notre pays «est l’un des trois ambassadeurs à être appelé, dans son décret de nomination, haut représentant de la République française», en précisant qu’au Maghreb seul l’ambassadeur à Alger est haut représentant.
A. S.
Comment (37)