L’OTAN étend ses tentacules en créant de petits OTAN oriental et asiatique
Une contribution d’Ali Akika – Cette extension à d’autres continents est la preuve par neuf que cette organisation est un outil militaire au service exclusif des intérêts américains. La réunion de l’OTAN à Madrid les 29/30 juin 2022 fournit des informations où des objectifs se révèlent à travers l’obsession des Américains suscitée par les bonnes relations. Russie-Chine. L’obsession se transforme en cauchemar car leurs désirs ne sont pas, et ne seront pas, au rendez-vous. C’est ce qui semble ressortir des nouvelles données de la guerre vues sous le regard de l’Histoire. Un petit détour entre le présent et le passé éclaire nos lanternes…
Les Américains semblent revoir à la baisse leur prétention initiale d’affaiblir la Russie pour la faire rentrer dans le cercle de la «sagesse», en lui ôtant l’envie de menacer ses voisins. La preuve du réalisme américain, dû à leur légendaire sens du pragmatisme, a été donnée par les conseillers du président Biden pour qui l’Ukraine doit renoncer à des régions de son territoire car leur reconquête est impossible. La deuxième information nous apprend que l’OTAN a pris la décision de faire stationner 300 000 hommes en Europe. Qui dit OTAN dit Etats-Unis, donc l’Union européenne ne pèsera pas lourd dans les événements sur son propre territoire, un indice qui annonce de fortes tempêtes en son sein. La troisième info, c’est la présence à Madrid des délégations du Japon et de la Corée du Sud, pays asiatiques alors que l’OTAN est une organisation atlantique (américano-européenne). Ces trois infos nous disent trois choses. Les Etats-Unis renoncent à leurs rêves de diviser la Russie et la Chine (1).
Ils se contentent de rassembler une armée 300 000 hommes pour neutraliser, faire peur à la Russie, du moins le croient-ils. Avec la présence du Japon et de la Corée du Sud, ils espèrent développer une coopération OTAN/pays d’Asie, ce qui n’est pas gagné car la France n’est pas d’accord. La réunion de l’OTAN à Madrid a enterré le concept de la Russie comme partenaire pour le hisser au concept de Russie menace pour l’OTAN. C’est une sorte de déclaration de guerre qui ne veut pas dire son nom. Cette réorganisation stratégique qui part de l’Europe en passant par le Moyen-Orient pour atterrir dans le Pacifique a été insufflée par la guerre en Ukraine. Ce n’est pas un hasard et ce n’est point non plus un hasard si le Moyen-Orient connaît d’ores et déjà les effets de cette guerre. Pour mesurer les chocs tectoniques qui vont sillonner l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, il faut regarder l’imbrication des cartes de la géopolitique et convoquer l’histoire pour se reconnaître dans l’enchevêtrement des causes et des effets à partir de la guerre en Ukraine…
La guerre en Ukraine, étant donné sa localisation géostratégique et sa nature idéologique et géopolitique, est une sorte de continuité de la Seconde Guerre mondiale qui n’aurait pas atteint tous ses objectifs. Le monde hérita alors de la guerre froide qui accoucha d’un équilibre reposant sur la dissuasion nucléaire mais qui n’éliminait pas ni la peur de l’Autre ni l’esprit de domination du monde. Les Accords de Yalta, conclus en 1945, furent en quelque sorte une armistice pour se préparer à gagner la prochaine guerre et instaurer une nouvelle Rome ou une nouvelle Babylone des temps modernes. Il se trouve que le prétendant à la succession de Rome ou de Babylone n’est pas un pays européen mais les Etats-Unis qui se servent de l’Ukraine pour abattre un obstacle représenté par un immense pays et redoutable adversaire. Il se trouve aussi que l’Europe est physiquement liée au Moyen-Orient, une Europe qui porte le nom d’une princesse phénicienne dont la beauté a séduit Zeus, le dieu du ciel et de la sagesse. Ainsi, cette Europe, où se déroule aujourd’hui la guerre, qui doit tant à l’histoire de la région, est en train d’assister à l’éclatement de la géopolitique qu’elle créa à la chute de l’empire ottoman…
Aussi la nouvelle géopolitique qui est en train de naître sous nos yeux jette-t-elle des bases politiques qui dessinent les contours d’alliances potentielles dans un proche avenir. Insistons sur le fait de cette carte géopolitique du Moyen-Orient qui a été dessinée par la Grande-Bretagne et la France à la suite de la chute de l’empire ottoman (1920). Après la Seconde Guerre mondiale et la création de l’Etat d’Israël, la région tomba dans les filets des Etats-Unis. Mais comme rien n’est éternel, la présence de ces nouveaux venus dans la région ne va pas figer l’histoire de la région. Bien au contraire, les luttes des peuples du Maghreb et du Moyen-Orient mirent fin à la présence des Anglais et des Français pour se retrouver face à Israël et à des pays féodaux dominés et protégés par le nouveau gendarme du monde, le bien nommé Oncle Sam. Le tournant géopolitique de cette époque dont on connaît aujourd’hui les effets fit entrer sur la scène politique plusieurs acteurs…
Primo, le peuple palestinien que l’on a cru être sortie d l’histoire s’est transformé en peuple en armes. Secundo la révolution iranienne de 1953 prélude de la future chute du Shah d’Iran et de la future émergence de la Révolution islamique en Iran. Tertio, l’URSS venue en 1956 au secours de l’Egypte agressée par l’Angleterre, la France et Israël…
Ainsi, c’est cet historique qui permet de connaître, évaluer les forces d’aujourd’hui et leur regroupement qui épouse l’histoire de la région. Sur le plan strict du monde arabe et musulman, incontestablement la lutte armée contemporaine des Palestiniens (1965), la chute du Shah, pièce maîtresse des Etats-Unis, vont perturber le jeu politique aussi bien entre les pays arabes qu’avec l’Occident. Cette perturbation fut, entre autres, à l’origine de mouvements politiques médiatiquement qualifiés de «printemps arabes» que des Etats arabes voulurent, avec la complicité de l’Occident, les ériger en rempart contre les mouvements nationaux. On sait que ces mouvements nationalistes et patriotiques furent depuis toujours dans la ligne de mire de l’Occident car ils avaient mis fin à la domination coloniale (Egypte, Syrie, Irak, Yémen, Tunisie, Algérie, Maroc/mouvement d’Abdelkrim). Il est utile de relever et rappeler que lesdits Etats arabes féodaux en lien avec l’Occident furent les pourvoyeurs en armes, en dollars et en hommes des groupes armés intégristes qui se sont acharnés contre la Syrie. Et c’est parmi ces dits Etats que l’on trouve les futurs signataires des «Accords d’Abraham». D’autres sont sur la liste d’attente.
A l’évidence, lesdits «Accords d’Abraham» ne sont pas tombés du ciel. Ils ont suivi un long processus parallèlement au jeu d’Israël et de celui des pays arabes du Golfe suivis par le Maroc. Des accords «nécessaires» et justifiés, à leurs yeux, pour faire face aux forces montantes de la résistance dans la région et notamment en Palestine, Liban, Syrie mais aussi à l’Iran devenu le cauchemar d’Israël et des féodaux du Golfe. Pour des raisons historiques et pour leurs intérêts politiques, pour ne pas abandonner la géopolitique/géostratégie au seul bénéfice d’Israël et de l’Occident, la Russie et l’Iran vont aider les forces de la résistance à se constituer en forteresse. La Russie est puissamment installée à Tartous (Syrie) qui est à quelque encablure de la mer Noire (on voit avec la guerre en Ukraine l’intérêt stratégique de cette position qui permet à la Russie de surveiller la 6e flotte américaine en Méditerranée). Quant à l’Iran, il est présent en Irak et en Syrie. Cette présence lui permet d’accéder à la Méditerranée et s’ouvrir à l’Afrique. A cela, si l’on ajoute la guerre au Yémen et ses répercussions sur le golfe arabo-persique, les accords russo-iraniens qui vont se traduire par un corridor entre ces deux pays, on comprend l’acharnement d’Israël et des Etats-Unis à empêcher l’accession de l’Iran au statut de puissance régionale et détentrice de capacité nucléaire pour les besoins de son économie.
La guerre en Ukraine et ses retombées sur le Moyen-Orient
Les votes de pays de la région sur la résolution votée à l’ONU condamnant la Russie, début mars 2022, fournissent des signes dans l’évolution des rapports de force au Moyen-Orient. D’où la gêne ou l’inquiétude de certains Etats pris entre l’étau des Etats-Unis et de la Russie. Israël a bien tenté de jouer le rôle de médiateur entre l’Ukraine et la Russie mais son cirque n’a pas échappé à la Russie. Israël a fini, du reste, par voter la résolution excluant la Russie du Comité des droits de l’Homme de l’ONU, obéissant ainsi à son protecteur américain. Son geste a immédiatement appelé une réaction de la Russie par la voix du ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, suivie de prises de position contre la politique d’occupation d’Israël. L’attitude de la Russie va compliquer la situation d’Israël, déjà embourbé dans ses querelles domestiques qui empoisonnent sa vie parlementaire, cinq élections en deux ans.
Quel que soit le résultat de cette cinquième élection, la Russie va lui faire payer sa condamnation à l’ONU sur l’Ukraine et l’envoi de ses mercenaires sur le champ de bataille dans ce pays. Les «accords d’Abraham» et les illusions d’un OTAN/oriental, appelé organisation du Néguev, vont s’évaporer au contact du feu de la résistance de la Palestine, de la Syrie, du Liban/Hizbollah, sans oublier la colère des Russes et de l’Iran que la guerre en Ukraine a encore rapprochée. Le soutien de la Russie à l’Iran aux négociations des accords sur le nucléaire de 2015 qui se déroulent à Vienne donne plus de vigueur à la solidarité entre ces deux puissances qui sont l’objet de sanctions occidentales…
L’inquiétude d’Israël est d’autant plus grande que sa supériorité militaire ressemble à la maxime de chez nous, li fath math (ce qui fut ne le sera plus). En effet, outre la perte de sa supériorité militaire, Israël souffre des réticences américaines qui refusent de cautionner son aventurisme vis-à-vis de l’Iran. Et ce n’est pas les «Accords d’Abraham» complétés d’un OTAN oriental, déjà cité, qui va améliorer l’état de sa solitude. D’autres facteurs viennent grossir cette solitude. Ce sont des facteurs propres à la conduite d’une guerre. Le temps est-il un allié pour faire face aux exigences d’une guerre ? L’espace offre-t-il une profondeur suffisante pour manœuvrer et protéger ses infrastructures, etc. ? La capacité de résistance de la société peut-elle offrir des ressources pour le champ de bataille et faire fonctionner en même temps son économie ? Ces facteurs, qui font partie de l’architecture et des plans de toute guerre, s’étalent dans la presse israélienne sous la plume des plus brillants stratèges de l’armée d’Israël. On comprend pourquoi Israël n’attaque pas l’Iran car ce n’est pas l’envie qui lui manque.
La raison est simple : les Etats-Unis ne veulent pas s’engager dans une aventure risquée. On peut parier qu’ils s’y opposeront et la guerre en Ukraine les renforce dans leurs analyses. On apprend, en effet, que le président Biden, selon des conseillers de la Maison-Blanche, ne croit plus à une victoire de l’Ukraine. Il inviterait même le président Zelensky à sacrifier des territoires pour éviter un désastre encore plus grand. Il était temps qu’un peu de rationalité s’invite dans l’univers du pouvoir ukrainien qui crie victoire toujours plus fort à mesure que ses villes tombent l’une après l’autre. Dans son rôle de remonter le moral de son armée, rien d’anormal. En revanche, les délires de la presse occidentale qui se délecte dans une posture de «résistance» alimentée par le mensonge et la haine sont particulièrement pitoyables. Le niveau des blagues d’un Premier ministre d’une grande et historique puissance, l’Angleterre, nous renseigne sur la «qualité» de sa vision du monde et de son impuissance nourrie par un monde qui se meurt…
Un autre événement d’importance à ne pas négliger, en lien avec la guerre en Ukraine, c’est la position de l’Arabie. Deux infos qui valent leur pesant d’or.
Primo, l’Arabie accepte de vendre son pétrole sans être payée avec le dollar, sous-entendu sans passer par les circuits financiers américains. Secundo, le prochain voyage de Biden en Arabie, alors qu’il s’est juré de ne point rencontrer le prince saoudien MBS. En un mot, le président américain aura à résoudre l’équation suivante : comment retenir son irritation de voir l’Arabie vendre son pétrole à la Chine en n’utilisant pas le dieu-dollar tout en demandant à ce pays d’augmenter sa production de pétrole pour remplacer le pétrole russe ?
Sauf que l’Arabie et la Russie se côtoient à l’Opep. Equation qui se complique avec une Chine et une Russie devenues des acteurs choyés par l’Arabie. La tâche s’avère titanesque pour Biden car Chine et Russie ne sont pas ses obligées, comme le sont des entreprises comme McDo ou de Coca-Cola qui étalent, par patriotisme, le drapeau américain dans leurs «restaurants» dans le monde entier.
On peut résumer ainsi les effets de la guerre en Ukraine : les Etats-Unis ont cru pouvoir séparer la Chine et la Russie. Le résultat de la réunion de l’OTAN à Madrid, fin juin, reconnaît implicitement non seulement cet échec mais, pis encore, il désigne noir sur blanc la Chine comme une menace pour l’OTAN. La violente réaction de la Chine à cette prise de position de l’OTAN ouvre les portes de l’inconnu… Au nom de qui et de quoi interdire à un pays d’entretenir des relations avec un tiers pays ?
Pourquoi l’OTAN, organisation atlantique, se mêle de la région Pacifique ? Ce genre de comportement renseigne sur leur notion bien singulière du droit international. On le viole allégrement pour ses intérêts en les habillant d’un «sceau divin» comme à la belle époque où les rois bénéficiaient de l’«onction de Dieu». En revanche, les Autres sont des brigands puisqu’ils ne se soumettent pas à «sainteté» de la parole du gendarme du monde. Evidemment, les agents de la désinformation ont passé sous silence la déclaration pleine de danger de l’OTAN visant la Chine. Ils ont habitué le monde à leur aveuglement et cécité en annonçant suavement, mais bêtement, que les Chinois sont bien malins pour aller porter secours à «Poutine» (2).
Il n’y a rien d’étonnant à ce genre de comportement qui répond à leur étroite vision du monde, laquelle vision leur fournit la bonne conscience de leur politique des deux poids deux mesures. Ce socle de la politique de l’Occident complété par les illusions et les chimères qui alimentent les discours de ses propagandistes alimentent et préparent de futures tempêtes. Quand un monde croit et veut faire croire à ses propres mensonges érigés en «saintes et éternelles vérités», on ne peut que rire de l’ivresse des zombis du monde dit moderne.
A. A.
1- Dans un article paru dans Algeriepatriotique, j’ai écrit que les Etats-Unis renouaient avec la politique de Kissinger qui voulait déjà diviser la Russie et la Chine qui soutenaient le Vietnam. Les «experts» semblent découvrir ce jeu américain avec la guerre en Ukraine tout à tableau sur la sagesse des Chinois qui resterait à égale distance entre la Russie et les Etats-Unis. Ce n’est pas étonnant, le vide politique de leurs discours et leur pêché mignon d’effacer l’histoire leur jouent des tours. En effet, ils oublient que Russie et Chine sont liées par la géographie et l’histoire, qu’ils faisaient partie du camp socialiste et, aujourd’hui, Chine et Russie sont désignées comme ennemies de l’OTAN. Et dire que l’on confie la formation des élites de demain à ce genre d’«experts» représentant la crème de la liberté d’expression.
2- «Poutine», en ne nommant jamais Poutine de président de la Russie, ils veulent faire croire qu’il est à la tête d’un pays où personne ne respire ni ne pense. Leur infantilisme leur fait préférer et admirer un Premier ministre anglais qui raisonne avec des arguments en dessous de la ceinture.
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