L’entente entre l’Algérie et l’Europe via la France gage de stabilité de la région
Une contribution d’Abderrahmane Mebtoul – Depuis des années, l’épanouissement de la relation «stratégique approfondie» entre l’Algérie et la France est systématiquement entravée, pour des «raisons» obscures, de puissants lobbies ne voulant pas d’une relation apaisée entre l’Algérie et la France. Ayant reçu depuis des années plusieurs importantes personnalités françaises, en tant qu’expert international indépendant, j’ai eu de longs entretiens sur des sujets sensibles, tels le devoir de mémoire et la coopération économique entre l’Algérie et la France, qui est loin des énormes potentialités que recèlent les deux pays – thème que j’ai d’ailleurs abordé dans le cadre plus large de la coopération Europe-Algérie, à l’invitation de la fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne, le 31 mars 2021
Avant d’évoquer les aspects économiques, rappelons que pour l’Algérie, le devoir de mémoire est indispensable pour consolider des relations durables avec la France par la reconnaissance du fait colonial afin de dépassionner les relations entre les deux pays – sans oublier la décontamination nécessaire à la suite des essais nucléaires français, où la responsabilité française est entière, comme cela a été souligné récemment par le chef d’état-major de l’ANP.
Relevons aussi que l’Algérie est un acteur-clé pour la stabilité de la région méditerranéenne et africaine. Dans plusieurs rapports publiés entre 2018 et 2022, les autorités tant américaines que européennes ont tenu à souligner que les autorités algériennes contribuent à la stabilisation du voisinage immédiat du pays, notamment au Sahel, et que l’Algérie demeure un acteur-clé au niveau régional.
L’effort continu de modernisation des équipements ainsi que les nombreux effectifs de sécurité dont l’Algérie dispose ont, en effet, permis au pays de contrer de façon efficace les menaces terroristes, notamment avec les crises libyenne et malienne.
Un acteur énergétique stratégique pour la France et l’Europe
Dans le domaine économique, tous les pays, tout en respectant les accords internationaux, protègent une partie de leur production nationale grâce à l’Etat stratège et régulateur en économie de marché, pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques – à ne pas confondre avec le retour à l’Etat gestionnaire –, comme le montrent, avec l’actuelle crise mondiale, les décisions récentes de bon nombre de pays développés et émergents.
Dans ce contexte, l’Algérie entend lever les obstacles qui bloquent l’attrait de l’investissement étranger par la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui freinent l’attrait de l’investissement, tant local qu’étranger.
Sur le plan énergétique, au travers du GNL et des canalisations Medgaz et Transmed, l’Algérie est un acteur stratégique pour l’approvisionnement en énergie tant de la France que de l’Europe (voir sur ce sujet notre interview au quotidien français Le Monde.fr du 4 mars 2022). L’essentiel pour l’Algérie est de favoriser une accumulation de savoir-faire managérial et technologique grâce à un partenariat gagnant-gagnant, l’Etat pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l’objectif étant une valeur ajoutée interne positive afin de mettre fin à la faiblesse du tissu productif, l’économie algérienne étant une économie foncièrement rentière : 98% d’exportations sont issus d’hydrocarbures bruts et semi-bruts, et plus de 80% des besoins des entreprises et des ménages sont couverts par les importations.
Mais gardons-nous des utopies, soyons réalistes ! Dans la pratique des affaires, il n’y a pas de fraternité, ni de sentiments, et l’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France, car les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens chinois, russes français ou américains – étant mus par la logique du gain, iront là où les contraintes sociopolitiques et socio-économiques sont mineures, leur objectif étant de réaliser le profit maximum.
Ainsi, tandis que pour les importations-exportations de services, les sorties de devises ont été de 10-11 milliards de dollars entre 2010-2020 pour retomber selon le FMI à 6 Md$ en 2021, selon les statistiques douanières, durant le premier semestre 2022, les importations se sont élevées à 20,223 Md$ (en augmentation de 7,41% par rapport au premier semestre 2021, à 18,829 Md$) et les exportations se sont établies durant la même période à 25,922 Md$, en augmentation de 48,3% par rapport au premier semestre 2021 (17,480 Md$).
Les Douanes algériennes relèvent que les principaux fournisseurs du pays sont la Chine (16,5%), la France (7,17%), le Brésil (6,51%), l’Argentine (6,44%) et l’Italie (5,83%), tandis que les principaux clients sont l’Italie (21,83%), l’Espagne (12,13%), la France (9,94%), les Pays-Bas (7,38%) et les Etats-Unis (5,75%).
Les atouts pour une économie moins dépendante des hydrocarbures
L’Algérie a les potentialités pour passer d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et devenir un pays pivot au sein de l’espace euro-méditerranéen et africain. L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur estimée à plus de 45 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes ; des ressources humaines ; un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars ; des réserves de change – bien qu’en baisse, de 44 milliards de dollars à la fin de 2021 ; des recettes en devises qui devraient dépasser 50 milliards de dollars en 2022.
N’oublions pas également le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde, et notamment en France, où la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre les deux pays, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. Aussi la promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit-elle mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.
Dans une étude publiée en novembre 2011 par l’Institut français des relations internationales (IFRI) sur les relations Europe-Maghreb, j’avais mis en relief que l’objectif stratégique est de réaliser une prospérité partagée conciliant développement et démocratie en tenant compte des anthropologies culturelles et grâce à la société civile (réseaux décentralisés) qui, à côté des Etats et des institutions internationales, sera le vecteur dynamisant au XXIe siècle.
Dans une autre étude, sur «Les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb» également sous ma direction et publiée par l’IFRI en décembre 2013, j’avais posé l’urgence d’intégrer d’une manière intelligente cette sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui enfante la corruption, loin des mesures bureaucratiques autoritaires, qui contrôle une part importante de la masse monétaire en circulation et des activités économiques dépassant largement les 50%, limitant toute la politique économique des Etats, encore que servant d’amortisseur social.
Dépassionner les relations, entreprendre ensemble
C’est que la stabilité de la région euro-méditerranéenne passe par une entente entre l’Algérie – dont les frontières côtoient bon nombre de pays très fragiles, qui menacent sa sécurité – et l’Europe, via la France, du fait que celle-ci, pour des raisons historiques, a tissé d’étroites relations avec bon nombre de pays limitrophes à l’Algérie. Cependant, pour éviter les erreurs du passé, la leçon à retenir, c’est que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus sur des relations de chef d’Etat à chef d’Etat ou de ministre à ministre, mais sur des réseaux décentralisés, par l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération, une meilleure gouvernance, de la valorisation du savoir – richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures – et de la levée des contraintes d’environnement… mais là, dans ce nouvel espace des réseaux décentralisés, il faut souligner que l’Algérie accuse un retard important.
Tout en évitant d’instrumentaliser l’histoire – n’ayant de leçons de patriotisme à recevoir de personne, étant issu d’une grande famille de révolutionnaires, feu mon père ayant été emprisonné entre 1958 et 1962 à El-Harrach et Lambèse –, il s’agit aujourd’hui – comme je l’ai souligné il y a quelques années (2014) lors d’une conférence, au Sénat français, à l’invitation de mon ami Jean-Pierre Chevènement, ancien président de l’association Algérie-France et grand ami de l’Algérie – de dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée et de l’Afrique – continent aux multiples enjeux en ce XXIe siècle, et dont l’Algérie est un pays pivot – et de préparer ensemble notre avenir à l’horizon 2025-2030.
En conclusion, face aux importantes mutations géostratégiques couplées au réchauffement climatique, nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur avenir, nous imposant d’entreprendre ensemble et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale et au co-développement, grâce au dialogue des cultures et la tolérance, sources d’enrichissement mutuel.
Il s’agit, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer ensemble l’avenir par le respect mutuel. Pour ma part, j’ai toujours souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée sous la vision d’un simple marché et qu’il faille favoriser un partenariat gagnant-gagnant. Et c’est dans ce cadre que doit rentrer la coopération entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.
A. M.
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