Quand l’Occident faisait la sourde oreille au président Houari Boumediene
Une contribution d’Ali Akika – A l’ONU, en avril 1974, le président algérien Houari Boumediene fit entendre la conception du développement économique des pays non alignés. Par ailleurs, sur un ton taquin, il s’adressa dans une interview à la télé française où il invita l’Europe à venir investir dans l’industrie car, avait-il dit, l’Europe était menacée par les dégâts des industries polluantes. Sous-entendu, contrairement à l’Europe, nous avons encore du temps avant d’abîmer la nature. Personne n’écouta le président d’un pays qui avait osé nationaliser son pétrole. En ce temps-là, les années 1970, la société de la consommation découvrait les «délices» de la mondialisation et Jean-Luc Godard (adieu l’artiste) faisait ses films sur son époque pressée d’entrer dans la «modernité» carnassière.
Ses films, comme Week-end, nous montrait les centres commerciaux gorgés de victuailles, et «deux ou trois choses que je sais d’elle», où la belle Marina Vlady, habitant une HLM, louait ses charmes pour se précipiter ensuite dans les Monoprix et devenir consommatrice de cette «modernité». Godard continua à regarder le monde avec son film Ici et Ailleurs sur les Palestiniens chassés de leur terre par un colonialisme de la «modernité». Quel est le rapport entre Boumediene, Godard et la Palestine ? En apparence aucun rapport. Pourtant, il y en a un, la surdité d’un monde qui n’a pas entendu un président qui parla des pays ayant souffert de la double peine, celle du colonialisme et d’un capitalisme sauvage et prédateur. L’autre homme, c’est Godard, un grand cinéaste suisse qui nous a laissé des chefs-d’œuvre sur les zombis de la «modernité» qui soutiennent le colonialisme new-age en Palestine.
Sous le discours de l’homme politique et l’œuvre de l’artiste, il y a là un rapport pertinent à l’Histoire véhiculant une ample vision du monde. Pour avoir oublié qu’il n’y a pas de hasard en Histoire mais uniquement des rendez-vous ratés dans notre monde, on se coltine aujourd’hui les spectacles du mensonge et de l’impuissance. Ainsi, une certaine faune qui s’autoproclame «élite», ici et là, vend ses «salades» sans se rendre compte qu’elle est déconnectée de la réalité car enfermée dans la prison qu’elle s’est construite. De grands esprits ont écrit sur leur époque et leur société et nous avons hérité d’eux de la pensée, pensée parfois contenue dans une simple métaphore, une image issue du génie d’un peuple. Ainsi, on connaît la phrase de Marie Antoinette, la reine de France, à propos de la misère que subissaient les classes populaires, elle répondit : «S’il n’y a pas de pain, donnez-leur de la brioche…»
Pour comprendre l’état de ce monde, il faut convoquer l’histoire et l’anthropologie et suivre le chemin tortueux qui l’a mené au royaume de la surdité pour ne pas dire de l’absurdité. En effet, c’est en labourant les champs de l’histoire et de l’anthropologie que nous découvrons les secrets des déséquilibres politiques et économiques des sociétés. Hier, c’était le colonialisme et ses effets sur le développement, aujourd’hui c’est la guerre en Ukraine. Cette guerre, comme celles qui l’ont précédée, n’est pas le fruit du hasard mais le produit des tumultes d’une Europe capitaliste et chrétienne. Le capitalisme est né dans une Europe chrétienne qui régissait les sociétés dans tous les domaines. Arriva le moment où un simple moine suisse ouvrit une brèche dans l’hégémonie de l’Eglise catholique qui interdisait le crédit bancaire alors que ce dernier, notre moine, avait découvert que le crédit est une variable du capitalisme.
L’Eglise catholique réagit contre ce rebelle et ses fidèles qui créèrent leur Eglise protestante qui légitimait l’intérêt. Le pape qui donnait sa bénédiction aux rois et princes trouva également sur son chemin le royaume d’Angleterre qui remettait en cause la primauté de l’Eglise sur le pouvoir de la monarchie anglaise. Ce divorce à l’anglaise alla renforcer les protestants suisses et français. Ainsi naquit le capitalisme dit anglo-saxon avec ses banquiers et leurs protecteurs politiques en Angleterre. Comme le capitalisme est né en Angleterre et que celle-ci colonisa l’Amérique, il est facile de deviner les liens étroits qui existent entre ces deux puissances jusqu’à aujourd’hui. Le Brexit et l’Ukraine ont fourni l’occasion de faire connaître à l’opinion les divergences politiques entre le capitalisme anglo-américain atlantique et le capitalisme continental France-Allemagne.
L’autre fracture qui traverse l’Europe, c’est celle de l’Eglise orthodoxe dont la première capitale fut Constantinople (Istanbul) qui regroupe des pays slaves et la Grèce. Dans cette Europe orthodoxe, ce n’est pas la nature du capitalisme (anglo-saxon ou catholique) qui dérangea ou «posait» problème mais le schisme entre Rome et Constantinople, perle d’un Orient riche de sa mosaïque des peuples et de religions.
Un dernier point de l’histoire, le «silence» des trois continents (du tiers-monde) à l’encontre de la guerre en Ukraine est en quelque sorte la réponse à la surdité de l’Occident qui les a colonisés, et qui plus est les a laissés patauger dans les difficultés du sous-développement économique.
Le «drame» de l’Europe. La guerre en Ukraine offrait, et offre encore, à l’Europe une occasion de regarder autrement son histoire et d’écouter ses hommes d’Etat. En France par exemple, De Gaulle a guerroyé contre les Etats-Unis, un allié encombrant avec lequel il a voulu garder une certaine distance. Il fit sortir son pays de l’OTAN, voulut reposer la monnaie française sur l’or, condamna la guerre américaine au Vietnam et équipa son pays de la bombe atomique. L’Allemagne, quant à elle, avec son histoire et sa culture, a toujours regardé vers l’Est. Aux portes de l’immense Russie, elle fut une sorte de pont entre l’Europe centrale et les peuples slaves et la mosaïque orientale citée plus haut. Hitler, en commettant l’erreur d’envahir l’URSS, signa le démembrement de la grande Allemagne.
L’Allemagne d’aujourd’hui, n’oubliant pas son histoire, ses régimes de l’après-guerre jusqu’à la Chancelière Merkel, ont fait tout pour retrouver la place à la mesure de leur puissance au centre de l’Europe. Et c’est justement cette puissance potentiellement amicale avec la Russie qui fit construire les gazoducs Stream 1 et 2 combattus par les Etats-Unis. Le sabotage et destruction de ces deux gazoducs ne semblent pas avoir un écho dans la presse servile et russophobe. J’avais ici à Algeriepatriotique noté la menace de Trump (contre l’Allemagne) qui exigea de ce grand pays de ne point utiliser le gazoduc Stream 2. Les «experts» ignorants ou en service commandé oublient ou feignent oublier les liens entre ces menaces de l’Etat américain et la destruction de Stream 1 et 2. Il est vrai que nos «experts» sont toujours occupés à élaborer des scénarios haineux en raison de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne d’Hitler qui a bouleversé la géopolitique du monde au profit de la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie.
Arc-boutés sur leurs certitudes du rêve américain et se pliant aux désirs de l’Oncle Sam, ils ne voient pas les effets de l’histoire depuis la chute de Constantinople et la prédominance du capitalisme anglo-saxon. Ils ont enterré les positions de De Gaulle et d’Angela Merkel. Les effets de la guerre américaine en Ukraine ont commencé leur maléfique œuvre.
1- L’industrie allemande est en train d’être paralysée et le spectre du chômage fait penser à l’époque de l’après-Première Guerre mondiale.
2- L’euro s’effondre face au dollar. Cette monnaie reposait sur les exportations de la puissante industrie allemande. La diminution des exportations se traduit mécaniquement par la faiblesse de l’euro. De plus, la fermeture des Stream 1 et 2 oblige les Européens à acheter en dollar le gaz de schiste aux Etats-Unis. Un euro faible signifie un dollar cher. Si on y ajoute la ruée des autres monnaies attirées par le dollar qui rapporte de forts intérêts, fait monter mécaniquement le dollar et baisser l’euro. Enfin, le dollar monte car les Russes obligent les acheteurs de son gaz de payer en rouble converti en dollar déposé dans la Banque centrale russe.
Ainsi, les Américains, grâce à leur domination financière, récoltent les bénéfices de leur manipulation par le biais de leur dollar. C’est donc une mécanique diabolique permise par l’économie de marché qui joue en faveur de la puissance américaine. Résultat des courses, l’Amérique gagne doublement en vendant son gaz en dollar qui monte. L’Europe leur achète du gaz schiste qui bousille la nature et payé en dollar qui étouffe l’euro. La Russie rit sous cape en engrangeant des dollars et en regardant le spectacle des Européens qui attendent, comme Godot, que leurs sanctions fassent leurs effets. Mais hélas, les Russes, joueurs d’échecs, ont prévu tous les mauvais coups. Ils regardaient déjà ailleurs (BRICS et OCS) mais les enfants de Coca-Cola s’obstinent à dire et à croire que la Russie est isolée.
C’est donc un drame pour l’Allemagne et la France qui avaient des dirigeants ayant le sens de l’histoire. Lesquels dirigeants se mettaient au service de leur pays dont l’héritage est en train d’être sacrifié par les enfants de la mondialisation. Ce survol très rapide donne néanmoins une idée sur les nombreux contentieux à l’intérieur du monde dit libre et les contradictions qui les opposent au reste du monde. La Russie a compris cette situation et pris la décision de se tourner vers l’Asie. On comprend mieux les raisons de l’angoisse des «experts» au lendemain du discours de Poutine le vendredi 30 septembre. On comprend mieux pourquoi ces mêmes experts «nous invitent» à oublier, effacer l’histoire pour continuer allégrement leurs petits jeux de sanctions contre ceux qui leur résistent. Oublier, effacer, c’est plus confortable que de réfléchir sur la dynamique agaçante du monde qui avance. Ils préfèrent écrire le roman de leur histoire qui sied à leur ego que de lire le récit plus âpre et néanmoins prometteur d’une autre histoire en train de se faire. Leur fuite en avant et les assommants bavardages qui polluent les tuyaux de la propagande sont le signe d’un aveuglement qui les empêche de voir un monde qui se meure à l’ombre d’un hiver qui s’annonce identique à celui qui brisa tant d’armées qui s’acharnaient à arrêter le temps, c’est-à-dire l’Histoire (1).
A. A.
1- Ces experts qui n’ont pas vu que les Etats-Unis ont toujours cherché à diviser la Russie et la Chine, pas plus qu’ils n’ont compris le pourquoi de l’opposition des Etats-Unis et leur Etat profond aux gazoducs russo-allemands. Ils sont à l’affut du moindre signe de la Chine qui pourrait apaiser leur inquiétude. Hélas, ce grand pays les a déçus, il vient de refuser de condamner la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU. Et dire qu’ils se prennent pour une grande presse qui jouit et défend la liberté d’expression. Leur entre-soi est plus confortable que d’affronter à armes égales les journalistes russes, chinois, africains, introuvables sur les plateaux des médias.
Comment (32)