La thèse de Khaled Boulaziz conforte la théorie diasporique de l’homogénéité ethnique des «juifs»
Une contribution de Khider Mesloub – Dans la contribution rédigée par Khaled Boulaziz, «Le mensonge des tribus berbères judaïsées», publiée dans Algeriepatriotique le 1er novembre 2022, l’auteur affirme qu’il n’a jamais existé de tribus berbères judaïsées d’Afrique du Nord. «Ces afféteries ne tiennent pas», assène-t-il. «Juste avant l’arrivée de l’islam, les Berbères du Maghreb oriental et occidental professaient la religion chrétienne», c’est-à-dire jamais la religion judaïque. «Les énoncés de la pseudo-théorie des judéo-berbères sont simplement insoutenables». (…). «Des élucubrations», estime-t-il.
Au-delà de l’approche dogmatique adoptée par l’auteur se pose la question du fond de la problématique soulevée. Non seulement l’auteur déforme l’histoire par son affirmation de l’inexistence de populations berbères de confession juive mais, conséquemment, il reprend à son compte la théorie diasporique de l’homogénéité ethnique des «juifs», qui propage le mythe selon lequel les juifs d’Afrique du Nord (comme tous les juifs du monde entier) sont les descendants directs du «peuple juif» exilé après la destruction du Second Temple de Jérusalem, en 70 après notre ère. En effet, selon les tenants de l’identité nationale ethnoreligieuse sioniste propagée notamment par les médias occidentaux, «les juifs constituent un peuple-race arraché à sa patrie antique et parti errer en terre étrangère». Pour les dirigeants et intellectuels sionistes, les juifs constituent un peuple à l’origine biologique homogène, descendants d’une source «ethnique» et territoriale unique. Or, il n’en est rien. Tous les historiens sérieux soulignent la diversité ethnique, culturelle et linguistique des adeptes de la religion judaïque, corolaire du prosélytisme longtemps en vigueur au sein de la communauté hébraïque.
Sur la problématique sioniste, qui mieux que le grand historien Shlomo Sand, dans le sillage des chercheurs post-sionistes, a su démystifier l’idéologie fondatrice de l’Etat d’Israël, le sionisme, et démythifier le dogme de l’existence du peuple juif. Par sa seule force intellectuelle subversive, sa puissante maîtrise de l’historiographie universelle, il a su, contre les vents de la corporation universitaire israélienne et contre les marées de la société civile judaïque, déconstruire scientifiquement les mythes qui peuplent l’imaginaire juif et sioniste. Aussi, c’est sous l’autorité de cet historien antisioniste que je rédige mon texte, en guise de droit de réponse à l’article de Khaled Boulaziz.
La thèse centrale de Shlomo Sand est connue : il n’existe pas de peuple juif. Selon lui, l’histoire selon laquelle les juifs forment un peuple uni par une même origine, possédant une histoire commune remontant aux temps bibliques est un mythe élaboré par les sionistes au tournant des XIXe et XXe siècles. En réalité, le judaïsme «antique», tout comme l’islam plus tard, a triomphé grâce aux conversions, parfois de tribus ou clans entiers.
Au reste, contrairement à l’affirmation de Khaled Boulaziz selon laquelle «le judaïsme en tant que religion a banni le prosélytisme, se considérant comme la propriété des juifs, transmis par parenté», ce basculement religieux historique intervient tardivement, vers le IVe siècle, avec le triomphe du christianisme. Pourchassé et banni par l’Eglise chrétienne, le judaïsme est acculé «au repli sur soi et à l’abandon du zèle missionnaire». Sinon, longtemps, durant toute l’époque antique, les juifs se sont adonnés au prosélytisme. Par ailleurs, la transmission matrilinéaire du judaïsme est une règle instituée à une époque tardive : elle est imposée par l’interdiction des mariages mixtes décrétée par la Rome chrétienne. Donc, la conversion au judaïsme fut longtemps admise.
Historiquement, l’expansion du judaïsme en Afrique du Nord s’explique par l’implantation de la dynamique population commerciale d’origine phénicienne, c’est-à-dire punique, depuis longtemps convertie. Selon les sources historiques, la dynastie des empereurs Sévère, originaire d’Afrique du Nord, aurait également favorisé la conversion des populations berbères au judaïsme. Le Maghreb est devenu la région du prosélytisme juif par excellence. Ainsi, pendant des siècles, l’Afrique du Nord fut peuplée de tribus juives. Comme le souligne du reste Ibn Khaldoun, dans son ouvrage Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale : «Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs, on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l’Aurès et à laquelle appartenait la Kahena, femme qui fut tuée par les Arabes à l’époque des premières invasions. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l’Ifriqiya, les Fendelaoua, les Medìouna, les Behloula, les Ghiatha, les Fazaz, Berbères du Maghreb Al-Aqsa. Idris Ier, descendant d’El-Hacen, étant arrivé en Maghreb, fit disparaître de ce pays jusqu’aux dernières traces des religions et mit un terme à l’indépendance de ces tribus.»
Paradoxalement, ce sont les mêmes pseudo-historiens qui affirment l’inexistence de tribus berbères converties au judaïsme, expliquant, conformément à la théorie diasporique sioniste fondée sur les idéologies ethnobiologiques et ethnoreligieuses, que les juifs d’Afrique du Nord proviennent de la Judée, qui, pour dénier l’existence du peuple juif, défendent la thèse de la conversion massive des Khazars au judaïsme, d’où sont issus les Ashkénazes.
Les juifs maghrébins seraient donc de matrice exogène (des exilés). Mais les juifs européens seraient de matrice endogène (des autochtones turcophones issus des steppes d’Asie centrale). Dans le cas des juifs d’Afrique du Nord, selon cette thèse essentialiste défendue également par le sionisme, l’ascendance génétique prime la conversion. Dans le cas des juifs ashkénazes, c’est la thèse, récusée par les sionistes, de la conversion qui primerait.
Autrement dit, en suivant la thèse de Khaled Boulaziz, également défendue par les sionistes tenants de l’identité nationale ethnobiologique et ethnoreligieuse, seuls l’exil et l’expulsion peuvent expliquer la présence juive au Maghreb. Les juifs d’Afrique du Nord ne sont pas des berbères mais des juifs descendants directs de la Judée. Cela conforte la thèse sioniste de la pureté raciale juive issue de la Judée.
Globalement, autant le sioniste, au nom de sa conception racialiste (fondée sur la primauté du sang et la pureté ethnique), répugne à admettre ses origines ethniques étrangères (notamment berbères), autant la thèse défendue par Khaled Boulaziz, curieusement en congruence avec la conception islamiste contemporaine teintée d’antijudaïsme primaire très répandue dans le monde musulman, répugne à reconnaître l’attribut juif des Berbères de l’Antiquité. La thèse de Khaled Boulaziz est donc du pain béni pour l’idéologie sioniste qui, au nom de leur théorie diasporique, nie toute conversion des autres peuples (khazars, berbères) au judaïsme. Aussi peuvent-ils soutenir que tous les juifs contemporains descendent directement de la Judée, selon leur terminologie. De ce fait, leur «foyer national naturel» est Israël, qu’ils doivent sinon repeupler, au moins soutenir.
Pour revenir à la thèse défendue par Khaled Boulaziz, selon laquelle il n’existe pas de tribus berbères judaïsées, elle est totalement fantaisiste. Prenons l’exemple des juifs désignés sous le nom de Séfarades. Hormis les sionistes tenants de la pureté raciale des juifs d’Afrique du Nord, et les islamistes négateurs de la matrice berbère et judaïque du Maghreb, tous les historiens objectifs et sérieux admettent l’ascendance berbère et arabe des Séfarades.
Ainsi, selon les travaux de Paul Wexler, chercheur à l’université de Tel-Aviv, consacrés à l’histoire des juifs d’Espagne, l’origine non ethniquement juive des juifs séfarades est manifeste. Selon ce linguiste israélien, les juifs séfarades seraient les descendants en premier lieu des Berbères, des Arabes et d’Européens convertis au judaïsme. Certes, ces différentes communautés comptaient en leur sein des Judéens, c’est-à-dire des juifs exilés originaires de la Judée, mais en très faible proportion. Selon les conclusions de Paul Wexler, les juifs d’Espagne, aux origines «ethniques» hétérogènes, contiennent très peu d’éléments judéens. Cette thèse audacieuse démystifie et déconstruit l’idéologie sioniste qui postule la pureté raciale des juifs issus directement de la Judée.
Par ailleurs, il est important de rappeler qu’au lendemain de la conquête arabe au début du VIIIe siècle, ces «juifs patchwork» essaiment en Europe, notamment en Espagne, depuis l’Afrique du Nord. De même, il est utile de rappeler que Tariq Ibn Ziyad, chef militaire suprême et premier gouverneur de l’Espagne musulmane, était un Berbère originaire de la tribu judaïsée des Nefouça. Il débarque en Espagne à la tête d’une armée de sept mille soldats, rapidement accrue à vingt-cinq mille hommes, recrutés parmi les populations locales, pour certaines à peine islamisées, d’autres depuis longtemps judaïsées.
La symbiose entre juifs et musulmans espagnols, à l’origine du développement extraordinaire de la civilisation musulmane ibérique, ne s’explique pas autrement que par leur parenté berbère. Les juifs et les musulmans espagnols appartenaient au même rameau berbère. Ils parlaient la même langue. Ils avaient la même culture. Longtemps, au sein de la même tribu, voire famille, certains se convertiront à l’islam, d’autres conserveront leur religion judaïque. On peut affirmer que les musulmans et les juifs espagnols formaient un même «peuple», partageant la même culture «arabo-berbère juive». Mieux : longtemps, juifs et musulmans ont partagé les mêmes pèlerinages communs vers des tombeaux de saints, notamment au sud du Maroc et dans l’Ouest algérien.
Ainsi, des siècles durant, les populations d’Afrique du Nord de confession judaïque et musulmane vivront dans la fraternité, en symbiose. Comme dans la péninsule ibérique, le judaïsme s’épanouit en Afrique du Nord. Au reste, l’islam n’a jamais considéré les juifs comme une menace politique.
Le basculement date de la colonisation française avec le «schisme national», inoculé par la France coloniale. En effet, c’est la colonisation française qui, sur le fondement de la devise «diviser pour mieux régner», séparera les juifs du peuple algérien. Le Décret Crémieux de 1870 constitue la première fracture entre juifs et musulmans algériens.
Fondamentalement, il existe deux grilles de lecture de la «question juive» contemporaine. D’une part, la lecture sioniste qui affirme, comme on l’a analysé plus haut, l’existence de la «race juive» qui se confond avec la judaïté.
D’autre part, la lecture antisioniste pour qui il n’existe pas de peuple juif, car le judaïsme n’est pas une ethno-religion, mais une religion comme les deux autres monothéismes. Ainsi, la prétention des sionistes à faire peuple est inauthentique, juridiquement inacceptable et condamnable. Quoi qu’il en soit, la création d’Israël est une entreprise coloniale, construite sur cette fallacieuse notion de «peuple juif» inventé par le sionisme.
En conclusion, la décision révolutionnaire que pourrait prendre l’Algérie, en guise de soutien au peuple palestinien, pour torpiller l’idéologie criminelle sioniste, faire imploser de l’intérieur la «nation» factice israélienne, est d’affirmer le substrat algérien des «citoyens israéliens» d’origine algérienne, dévoyés par le sionisme.
Et, pour les arracher à cette «prison des peuples» raciste, les libérer du sionisme mortifère, il faut les inviter à regagner leur mère patrie, après avoir consenti à rompre avec le sionisme, c’est-à-dire Israël. Ils bénéficieront de facto de la nationalité algérienne.
K. M.
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