Israël des murs, des colons et des rapines
Par Ali Akika – La guerre en Ukraine a quelque peu écrasé les infos sur la Palestine où la lutte et les opérations des commandos palestiniens plongent Israël dans le tourbillon des incertitudes qui lézardent son paysage politique et obscurcissent son horizon. Et ce ne sont pas les blocs des murs qui feront barrage aux tempêtes qui surgissent dans tout pays dont le peuple se lève pour sa dignité et sa liberté. En plus du combat des Palestiniens, l’Etat d’Israël ne finit pas de patauger dans des crises gouvernementales répétitives.
Après cinq élections en trois ans, les dernières élections ont accouché d’une coalition gouvernementale de partis religieux et d’extrême droite. La novlangue qui est devenue langue courante de l’Occident (1) recouvre de son voile de la honte le caractère fasciste de ces partis. On a même remarqué «l’inquiétude» des Etats-Unis à leur arrivée au pouvoir. C’est dire la nature et la gravité de la maladie qui ronge cet Etat ! Les balivernes d’un Etat «démocratique» au milieu d’une région livrée à la «barbarie» ne font plus recette. La notion d’apartheid en Israël circule dans des documents de l’ONU, laquelle vient de décréter et d’instituer une journée de la commémoration de la Nakba (la catastrophe), le jour de la date de la création de l’Etat d’Israël.
Mais ce qui angoisse le plus l’armée d’Israël et de ses services de sécurité, ce sont les perspectives d’une guerre civile potentielle dont ils font état publiquement dans leurs discours. Car faire face à une guerre civile et ayant un peuple (palestinien) sur son dos et être entouré de pays avec lesquels on est en guerre, ce n’est évidemment pas simple quand sa propre population est divisée et déchirée. Ainsi, la cascade d’élections dans un laps de temps si court n’est pas le produit de petites crises économiques et institutionnelles que l’on rencontre dans des pays reposant sur une légitimité produite par une construction historique qui ne souffre aucune contestation. Israël, lui, est face à une crise qui lui prouve qu’on ne badine pas avec l’histoire.
Ça rappelle les Etats-Unis, produit d’une guerre de conquête qui a carrément décimé les autochtones et les survivants parqués dans des réserves. Des siècles plus tard, en janvier 2020, le Congrès américain, symbole des symboles du rêve américain, fut occupé et le pays fut à un doigt d’une guerre civile (2). Mais Israël n’a pas les atouts des Etats-Unis qu’ils ont emmagasinés depuis des siècles et dont personne aujourd’hui ne remet en cause leur présence dans le continent américain. Ce qui n’est pas le cas d’Israël. Parce qu’Israël est confronté à un peuple présent sur sa propre terre, certes, dominé par la force mais qui a des ressources et une conscience aigüe de ses droits. Ensuite, les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ne sont reconnus par aucun Etat. Enfin, les dernières élections ont fait éclater le consensus dans la société israélienne mais aussi à l’intérieur de l’appareil de l’Etat. Des personnalités de la diaspora, notamment américaines, ont exprimé dans la presse israélienne leurs francs désaccords avec le nouveau paysage politique qui crée une rupture avec l’idée qu’ils se font d’être juif et sioniste.
Ces désaccords sont des fissures qui s’ajoutent à d’autres paramètres qui vont ébranler cette entreprise coloniale. Et c’est l’anthropologie qui remonte à la surface de la société israélienne qui va alimenter le nouveau cours de l’histoire d’un Etat qui s’est voulu semblable à tous les Etats de la planète. Erreur et illusion car, même les problèmes économiques, sociaux et militaires sont évidemment liés au caractère colonial de cet Etat.
Evidemment, les spécialistes qui analysent l’économie et le corps social de cet Etat ne font aucun lien avec la colonisation. Pourtant, il suffit de prendre l’exemple de Tel-Aviv où le prix du foncier pour la moindre construction est le plus élevé du monde. Le cercle de ceux qui peuvent y vivre se rétrécit. Il ne reste à la plupart des gens qui veulent vivre dans cette métropole qu’à aller ailleurs. Où, dans les territoires occupés par les colons que le gouvernement aide avec de généreuses subventions pour constituer des faits accomplis de territoire qu’il n’abandonnera jamais, selon eux, en cas de «négociation» avec les Palestiniens. Je fais grâce aux lecteurs des vols de maisons palestiniennes à Jérusalem et aux refus de permis de construire aux Palestiniens pour des raisons soi-disant sécuritaires mais, en réalité, carrément racistes pour favoriser l’entre-soi (entre juifs). Si on ajoute l’absence de relations économiques avec l’environnement immédiat, on conclut facilement de la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité pour toute économie de se développer.
C’est pourquoi Israël court derrière les marchés du Golfe gorgés de dollars à dépenser dans les achats de gadgets où il faut le reconnaître les industriels israéliens sont champions (les logiciels de flicage de Pegasus sont de renommée mondiale). Ici, j’ouvre une parenthèse sur l’exemple de l’Algérie où une communauté saint-simonienne s’est installée en 1841 avec un projet différent du soldat «laboureur» appelé Bugeaud de triste mémoire. Ces saints-simoniens véhiculaient des idées qui se voulaient généreuses pour faire accéder les «indigènes» aux progrès. En définitive, ce mouvement échoua car il avait nié le caractère colonial d’une entreprise de destruction d’une société. Leurs idées furent ensevelies sous les bottes des soldats-laboureurs de Bugeaud, soldats «laboureurs» que l’on retrouve 130 ans plus tard sous les ordres du général Salan qui fournirent le gros des troupes de l’OAS.
Etrange similitude avec ce qui se passe en Israël ! Israël pensé et construit par des mouvements qui se voulaient des libéraux bénéficiaires de l’émergence des idées socialistes du XIXe siècle et voulant fuir le racisme et les préjugés de l’Occident. Je referme la parenthèse pour revenir à la nature d’Israël. Ses habitants pensent échapper à l’histoire et l’anthropologie des sociétés en se déclarant appartenir au monde occidental. Hélas, pour eux, l’anthropologie et l’Histoire de la Palestine et de la région ne s’effacent pas d’un trait de plume. Le mouvement sioniste en se camouflant derrière le déni de l’histoire ne peut faire oublier la vérité cristalline de l’Histoire. Que d’armées, de César à Napoléon ont vadrouillé dans cette région et ont fini par retourner dans leurs casernes !
L’Etat d’Israël a donc été créé et dirigé par les Juifs ashkénazes (Europe de l’Est). Mais entre 1948 et 2022, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et dans les lits des fleuves dans le monde. L’arrivée de juifs de pays arabes et d’Ethiopie (Falasha) a engendré des problèmes qui ont eu des incidences sur le paysage politique et électoral. Quant aux Palestiniens, ils n’ont pas abandonné leur pays et, le 1er janvier 1965, ont décidé de concrétiser leur rêve en déclenchant la lutte armée. Voilà donc l’entreprise sioniste dont le but fut de créer un Etat sur un territoire que les sionistes avaient décrété être un désert, selon leur slogan «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Sauf que l’ignorance ou leur aveuglement leur a fait oublier que cette terre a été le cœur battant de civilisations et de guerres.
Cependant, pour être complet, citons des personnalités juives et parmi elles, le père du sionisme Théodore Herzl, avaient noté la difficulté de créer l’Etat d’Israël en Palestine (3). Ben Gourion, premier président d’Israël, a, lui aussi, connu des doutes qu’il a exprimés dans ses mémoires à propos des injustices et douleurs vécues par les Palestiniens. Quant aux historiens israéliens, l’un d’eux, Shlomo Sand, a carrément intitulé son essai Comment le peuple juif fut inventé et a ainsi explosé le mythe sioniste en remettant en cause l’idée que les juifs seraient les descendants du royaume de David (4).
Pourquoi le prochain gouvernement de Netanyahou ouvre-t-il les portes de la guerre civile tant redoutée par des responsables politiques et militaires d’Israël ? Parce qu’un gouvernement composé d’un tiers de ministres professant des idées ouvertement racistes et prônant l’exécution de «terroristes», sans sommation dans les rues, y compris des blessés gisant à terre, sont des propos, hélas, banals éructés par des bouches haineuses. La banalisation du racisme pour un Israël «démocratique» est ressenti comme un grand danger pour la survie de cet Etat, d’où des voix dans la diaspora qui s’élèvent même parmi les amitiés de Netanyahou. Quelque 70 ans après sa création, l’Etat israélien court derrière la définition du mot juif. Jusqu’ici, Israël donnait ou faisait semblant de lui donner le même sens admis par tous les juifs. C’était sans compter avec la dynamique de la vie, de l’histoire, de la politique qui va faire éclater un consensus sans colonne vertébrale et défiant l’histoire et en tournant le dos à la complexité du monde d’aujourd’hui.
Ainsi, pour colmater les fissures internes et autres injustices politiques, le gouvernement de Netanyahou s’est permis de définir Israël comme Etat de la nation juive. Il barra politiquement et symboliquement 20% de la population palestinienne, officiellement citoyen d’Israël, tout en présentant Israël comme modèle de démocratie et de réussite. La réussite de Netanyahou ouvrit plutôt une brèche dans la carte politique en construisant un boulevard aux partis religieux qui, jusqu’ici, se satisfaisaient de subventions pour faire tranquillement leurs études talmudiques sans travailler, ni faire le service militaire (5).
Autres futurs bouleversements, la cohabitation à l’intérieur de l’appareil d’Etat entre Ashkénazes et juifs orientaux au nom de l’identité Israël nation juive, ne va pas résister aux réalités du terrain. Ces réalités s’appellent problèmes sociaux et raciaux (juifs falashas), chômage qui touche les populations pauvres souvent originaires de pays arabes. Quant aux Palestiniens «israéliens», outre les problèmes politiques dans leurs rapports à l’Etat, ils se sentent palestiniens et partie prenante de la lutte des Palestiniens sous occupation.
Voici donc les problèmes que rencontre Israël, problèmes passés sous silence dans la presse. Que la guerre en Ukraine cesse ou qu’elle «prenne» son temps avant de s’arrêter, Israël sera confronté à des problèmes qui existent déjà mais qui vont s’amplifier. Les conséquences de la confrontation OTAN-Russie en Ukraine vont changer les données des problèmes. La Russie ne va pas oublier le jeu d’Israël en Ukraine, le renforcement des liens de l’Iran et la Russie, le voyage du président chinois, Xi Ping, en Arabie Saoudite, la guerre du gaz et du pétrole, le dollar menacé dans son statut de monnaie internationale, tous ces éléments de la scène internationale ont créé d’ores et déjà une situation irréversible.
Il est évident que les cris d’orfraie qui saturent le discours de l’Occident à propos de la violation du droit international en Ukraine sont et resteront inaudibles car ledit international est piétiné chaque jour dans tant de pays. La voix de l’Occident recouvrira de la crédibilité quand Israël commencera à appliquer ce droit tant chéri par cet Occident, quand le Sahara Occidental ne sera pas vendu à une monarchie féodale qui pousse son cynisme jusqu’à éclabousser le «saint» Parlement européen en «légitimant» l’occupation d’un territoire et en martyrisant femmes et enfants sahraouis. Et enfin, le Yémen, dont le nom est associé à la beauté de sa reine, et les richesses de l’Arabie heureuse des temps lointains. Oui, ce Yémen soumis à l’embargo et livré aux bombardements d’avions payés en dollars sentant bon le pétrole.
A côté de cette guerre de feu et d’acier, il y a la guerre de la désinformation qui a élu la conscience du monde qui résiderait dans cet Occident car les trois quarts de l’humanité ne trouvent pas de place dans ses délires. Car ses délires ne sont en vérité qu’une construction de sa machine de la désinformation chargée de produire du «plaisir» par le mensonge et offrir ainsi aux va-t-en-guerre le moyen de camoufler leur impuissance en regardant l’autre monde qui reste sourd à leurs jérémiades d’enfants gâtés qui ne veulent pas perdre leurs petits privilèges. Ne pas oublier et ne pas faire l’erreur de confondre l’Occident qui est devenu une notion idéologique alors qu’il recouvre une notion géographique. Car, à l’intérieur de cette géographie vivent des peuples et des gens qui n’ont pas les projets politiques des va-t-en-guerre qui squattent les médias.
A. A.
1- La novlangue, mot inventé par G. Orwell romancier anglais, une invention qui permet de désigner non pas les choses et la complexité de la réalité, mais d’enrober ladite réalité d’un vernis idéologique pour assécher l’intelligence de la vie et de l’histoire. On en voit la démonstration dans la guerre de l’Ukraine où un pays qui perd 20% de son territoire et dont la population vit dans le noir et grelotte de froid mais dont le président disserte chaque jour sur des victoires imaginaires reprises goulûment par une presse servile.
2- Ne pas oublier que les Etats-Unis ont connu la guerre civile qui opposa le Sud et le Nord, entre autres, à propos de l’esclavage, esclavage qui est le haut degré de l’œuvre de la «civilisation» coloniale.
3- Le mouvement sioniste a pensé créer l’Etat d’Israël en Ouganda mais ce pays n’avait pas l’attrait biblique de la Palestine, terre de la prophétie des trois religions du Livre.
4- L’historien Shlomo Sand ironisait en taquinant ses compatriotes israéliens en leur disant que les vrais juifs sont les paysans palestiniens qui n’ont bougé de la terre de Palestine. En grand historien, il savait que l’histoire du monde est une histoire d’émigration. Lucie, la première femme née en Afrique et, depuis, ses enfants, ont essaimé dans le monde entier.
5- Le pouvoir des religieux sur la vie quotidienne est exorbitant, par exemple sur le mariage, sur la circulation des bus durant le shabbat. Ce pouvoir est contesté et des partis exigent que les religieux fassent le service militaire.
6- L’arrivée des juifs religieux au pouvoir risque de bouleverser la notion même de peuple et nation juifs. Jusqu’à présent, il suffit pour un juif de prouver sa parenté avec une femme ou un homme juif pour bénéficier de la nationalité israélienne. Si les religieux arrivent à imposer la loi, «est juif celui dont la mère est juive», selon la règle talmudique, alors bonjour les dégâts pour le sionisme politique orphelin de sa branche religieuse. Ce n’est plus une guerre civile entre modernes et conservateurs mais une guerre de la préhistoire.
Comment (15)