L’incendiaire russophobie des élites occidentales est inextinguible
Une contribution de Khider Mesloub – Depuis plus d’un siècle, la Révolution russe est anathématisée, en particulier par les élites occidentales. Fondamentalement, l’historiographie dominante occidentale a toujours œuvré pour dévaloriser et discréditer la grandiose Révolution russe. Et pour cause. La Révolution russe demeure encore l’épouvantail absolu de toute la bourgeoisie occidentale. Le spectre insurrectionnel qui hante les chancelleries européennes. Car la Révolution russe symbolise la destruction de son système capitaliste. La fin de son règne. Elle marque le début du changement paradigmatique des rapports de force à l’échelle internationale, marqué par la perspective, désormais possible, d’une société alternative portée par la jeune République soviétique, en dépit de ses altérations politiques et dégénérescences bureaucratiques ultérieures.
Le dernier ouvrage d’Antony Beevor ne fait pas exception en matière de dénigrement de la Révolution russe, en particulier, et de la Russie en général. Un pavé de 600 pages dégoulinant d’hémoglobine, une fresque historique où l’horreur le dispute au macabre, pour mieux accréditer la thèse selon laquelle toute révolution est sanglante. Particulièrement la révolution prolétarienne russe.
L’auteur, ancien officier britannique devenu historien militaire, donc fervent otanien, ne dissimule pas son parti pris occidentaliste. Les Bolcheviks sont décrits comme des barbares assoiffés de pouvoir et propagateurs de sang. (Il est vrai que l’empire colonial britannique, celui des ancêtres de Beevor, fut un paradis pour les peuples colonisés, un Commonwealth pacifique où les civilisés anglais blancs professaient l’amour pour les autochtones, ne tirèrent jamais une cartouche pour conquérir et soumettre ces peuples barbares).
Dès la lecture de la quatrième de couverture, on mesure la partialité de l’historien britannique pétri de préjugés bourgeois : «En 1917, quand la Russie impériale, archaïque et vermoulue, sapée aussi par sa gestion calamiteuse de la guerre, se désagrège, Lénine et ses Bolcheviks s’emparent du pouvoir par la ruse, la terreur et par un sens de l’organisation hors du commun. Pendant trois ans, la Russie va connaître une guerre civile d’une férocité inimaginable. Dès 1918, Lénine décrète la Terreur rouge : tout aristocrate, tout bourgeois doit être sommairement exécuté en tant qu’ennemi de classe.»
Sous sa plume occidentale obséquieuse, l’époque tsariste est magnifiée. En revanche, l’ère soviétique est dépeinte comme une abominable époque de terreur. Autrement dit, au temps du tsarisme c’était mieux. Pis, selon l’auteur, Lénine aurait enfanté Staline (et Staline Poutine). Pour effrayer le lecteur, Antony Beevor n’hésite pas à écrire : «Les Bolcheviks enterrent vivants les officiers (blanc).» A le lire, c’étaient les précurseurs des djihadistes de Daech.
Pour cet historien britannique, la Révolution russe fut une catastrophe pour l’humanité (entendre bien évidemment la bourgeoisie occidentale) : «La plupart des historiens pensaient que la Première Guerre mondiale, entre 1914 et 1918, avait accouché du monde moderne. C’est faux. La catastrophe originelle de ce siècle, celle qui le façonne, c’est la Révolution russe de 1917 et la cruauté qu’elle contient.» La Révolution russe reste encore en travers de la gorge de la bourgeoisie occidentale. Elle n’a toujours pas avalé l’assaut prolétarien lancé par la Russie révolutionnaire de 1917. Cette grandiose révolution prolétarienne est toujours considérée par les élites occidentales comme une hérésie. Une profanation. Un crime de lèse-majesté, le Capital.
De fait, de tous temps, les classes dominantes occidentales confrontées aux révoltes insurrectionnelles de leurs prolétariats ou à une révolution impulsée par un pays tiers s’acharnent toujours à disqualifier le combat de leurs ennemis. Notamment par l’usage de qualificatifs péjoratifs, délibérément dévalorisants, criminalisants. Ou le narratif historique fallacieux. Calomniateur.
Qui plus est, cette historiographie occidentale sectatrice s’est systématiquement inscrite dans une opération idéologique tendant à décrire toute phase révolutionnaire populaire égalitariste comme un sinistre épisode de terrorisme actionné par un ramassis de marginaux politiciens sanguinaires, un peuple anarchique animé de cruauté, cornaqué par un parti politique minoritaire terroriste. Dans le contexte de la Russie, le parti bolchevique. Cette approche historique, colportée par les élites occidentales, s’applique à assimiler toute Révolution à une action sociale terroriste. Et tous les révolutionnaires à des sanguinaires assoiffés de sang qu’il conviendrait donc de neutraliser.
Or, pour revenir à la Russie, quand la classe ouvrière russe entre en lutte, c’est-à-dire déclenche la Révolution en février 1917, au début elle n’accorde aucune importance aux Bolcheviks à l’époque totalement méconnus. Car ils étaient soit en exil, soit dans la clandestinité, soit en prison. Du fait de la radicalité du projet émancipateur porté par le parti de Lénine, pour avoir adhéré à leur programme révolutionnaire, ce sont les masses russes qui propulseront les Bolcheviks au-devant de la scène, puis les hisseront au pouvoir. Mais les historiens occidentaux, avec leur vision policière de l’histoire, leur théorie complotiste de la société, leur conception bourgeoise élitiste, ne peuvent admettre que le peuple, le prolétariat (russe) peut mener une Révolution. Aussi, pour discréditer toute révolution populaire, elle est aussitôt qualifiée de coup d’Etat.
Pour autant, l’ultime dessein du livre d’Antony Beevor est, encore une fois, de vilipender la Révolution russe. Calomnier les Bolcheviks. Et surtout, par la description apocalyptique de cette page historique révolutionnaire, de terrifier le lecteur.
Comme l’écrit un lecteur du livre d’Antony Beevor : «On sort de la lecture ébahi par tant de barbarie, massacres, viols, tortures, pillages, exécutions. Des flots de sang et de cruautés qui n’épargnent personne. Même lorsque la cause est entendue et que les Blancs quittent la Crimée, les Bolcheviques exterminent les milliers de survivants qui n’ont pu fuir. Les commissaires rouges fusillent, exécutent, pendent, noient, sabrent, torturent. Dans toute la Russie, les génocides de classe, génocides contre les cosaques inondent de sang les pages de l’ouvrage. Les pogroms et massacres de collabos, de prisonniers, les incendies d’hôpitaux, les viols systématiques, les exécutions pour l’exemple, les tortures de divertissements ne sont pas épargnés au lecteur.» On croirait entendre un journaliste ou un militaire intervenant sur la chaîne LCI. Ce sont les mêmes poncifs russophobes employés encore de nos jours par les élites occidentales décadentes.
«Lorsque les Russes rouges eux-mêmes se fatiguent, lorsque les sadiques tirés des prisons ne suffisent plus, les Bolcheviques font appel aux Chinois, aux Lettons, qui, eux, n’hésitent pas, exécuteurs des basses œuvre. L’efficacité des mercenaires chinois sera même pleinement exploitée», poursuit le lecteur du livre. Remplacez Chinois par Wagner et vous retrouvez le même narratif russophobe actuellement en œuvre dans tous les pays occidentaux atlantistes.
Pour décrier la Révolution russe, Antony Beevor, ancien militaire bourgeois, fidèle serviteur du camp occidental, n’hésite pas à écrire : «L’impitoyable inhumanité déployée par les Bolcheviks est restée sans équivalent.» Les dizaines de millions de morts massacrés lors des deux guerres capitalistes (80 millions décimés) déclenchées par les bourgeoisies occidentales belliqueuses, oubliées. Le génocide d’Hiroshima commis par les Etats-Unis, ignoré. L’holocauste des juifs perpétré par la bourgeoisie allemande, secondée notamment par l’Etat français et plusieurs Etats européens, amnistié. Le massacre de masse commis par la France coloniale contre le peuple algérien, entre 1954 et 1962, passé à la trappe et jamais reconnu. Les multiples guerres génocidaires menées par les pays impérialistes occidentaux contre de nombreuses nations (Yougoslavie, Irak, Afghanistan, Libye, Syrie Palestine, etc.), absoutes.
Au reste, cet historien britannique ne fait pas mystère de son hostilité à l’encontre de la Russie, objectivée par ses analyses stéréotypées. Dans une récente interview, il a déclaré : «Il y a une grande différence entre la Révolution française de 1789 et celle de 1917 en Russie. En France, les révolutionnaires font couler des fleuves de sang, mais ils sont porteurs d’un idéal démocratique, ils changent profondément la société, ils l’émancipent. Ce n’est pas arrivé en Russie. Le communisme est un idéal d’oppression. Ce n’est pas une révolution libératrice. Au contraire.» Tout est dit. On croirait entendre un vulgaire chroniqueur de LCI ou lire un article d’un journaleux belliqueux du quotidien Le Monde ou Le Figaro.
Plus loin, il avait ajouté : «La soldatesque est, en Russie, traitée comme du bétail envoyé à l’abattoir. Cela n’a rien de nouveau, mais l’ampleur de ce phénomène est décuplée avec la Révolution russe. Les soldats sont traités en esclaves. Leurs chefs ne font rien pour préserver leur vie. (…) Gagner la guerre, c’est être autorisé à se venger. L’Armée rouge a toujours fonctionné comme ça. Il ne faut pas s’étonner si, maintenant, l’on mobilise des prisonniers en leur promettant qu’ils pourront se comporter comme ils veulent sur le front.»
Ainsi, comme l’illustre le plumitif otanien Antony Beevor, à des fins d’instrumentalisation idéologique, l’historiographie occidentale ne retient des révolutions, singulièrement de la Révolution russe, que leurs brèves phases de convulsions brutales. Or, «les révolutions n’inventent pas la violence. Elles résultent, au contraire, de la protestation contre une violence préalable», notamment la violence sociale objectivée par l’exploitation et l’oppression exercée par la minoritaire classe régnante contre l’immense majorité de la population laborieuse. La forme de violence dont usent les classes opprimées insurgées dépend de la forme de la violence adverse. «Si la contre-révolution s’arme, la révolution s’arme, sous peine de disparaître. Mais sa victoire, fût-elle armée, signifie toujours une défaite et un recul considérable de la violence en général.»
Fondamentalement, pour les révolutionnaires authentiques, contrairement à la propagande distillée par les élites occidentales otaniennes, «la révolution n’est pas ce qui déploie la haine, la violence et le ressentiment mais ce qui – à rebours – rend possible leur extinction définitive». Tel est le projet politique des révolutionnaires. La terreur est l’apanage de la classe dominante qui ne peut régner sans répression, ni accepter son détrônement sans riposter par la violence.
Avant de conclure, il est de la plus haute importance de rappeler que la guerre civile en Russie a été provoquée par les puissances impérialistes coalisées, intervenues pour renverser la nouvelle République soviétique édifiée par le peuple russe révolutionnaire. Les Blancs, à l’instar du régiment néonazi Azov actuellement, étaient financés et armés par les pays coalisés contre le régime bolchevique. Sans le soutien financier et l’intervention armée des pays capitalistes, les révolutionnaires russes auraient neutralisé les forces contre-révolutionnaires en quelques jours. Les puissances impérialistes avaient décidé de mener une guerre d’attrition à la nouvelle République soviétique, même au prix de millions de morts. Cette guerre civile russe, attisée par les pays coalisés, aura duré plus de trois ans. Comme l’actuelle guerre impérialiste occidentale menée contre la Russie est vouée à se pérenniser pour des raisons stratégiques.
Décidément, en matière de russophobie, les élites occidentales renouent avec leurs démons xénophobes, leur racisme décomplexé, leur esprit belliqueux, en livrant de nouveau une guerre par procuration à la Russie. En particulier quand elles sont menacées de disparition par la crise mortelle de leur système capitaliste en déclin, par les révoltes insurrectionnelles de leurs prolétariats. En créant un front de guerre à l’Est, elles espèrent détourner le mécontentement social des populations européennes paupérisées. Mieux, les envoyer en première ligne sur les champs de bataille ukrainiens, puis russes, c’est-à-dire à l’abattoir.
Il y a un siècle, la Russie soviétique fut l’inattendu pays qui stoppa la guerre mondiale occidentale par sa glorieuse Révolution prolétarienne. Aujourd’hui, la bourgeoisie occidentale veut faire de la Russie le pays de démarrage de la guerre impérialiste pour conjurer la Révolution prolétarienne mondiale. La Russie révolutionnaire de 1917 incarne encore aujourd’hui le cimetière de la Bourgeoisie, la mise à mort du système capitaliste. La Russie contemporaine se doit de devenir, dans l’optique du capitalisme occidental belligène, le charnier de la révolution prolétarienne mondiale. L’hécatombe guerrière impérialiste activée en Ukraine doit devenir la catacombe de la Révolution sociale, selon l’agenda du capital occidental.
K. M.
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