Numérisation du dinar, cryptomonnaie algérienne, dédollarisation et BRICS
Une contribution d’Ali Akika – La numérisation du dinar annoncée par le Premier ministre algérien n’est autre que la création d’une cryptomonnaie algérienne. Cette nouvelle monnaie s’ajoute aux deux autres appelées fiduciaire (monnaie papier) et scriptural (monnaie écrite sur des comptes courants des banques). La cryptomonnaie est donc une véritable monnaie créée par la Banque centrale (Etat). Ne pas confondre avec la cryptomonnaie privée qui repose sur des actifs, donc sans garantie d’un Etat et dont les actifs peuvent être balayés par des vents qui souffleraient sur la Bourse de Wall Street. Ces cryptomonnaies privées ne font pas peur aux Américains, sauf quand c’est Facebook qui a voulu créer sa cryptomonnaie. Il a été bloqué par la Réserve fédérale américaine (Banque centrale) qui a vu un danger contre le dollar. La solidité et la puissance de ce groupe qui repose sur des technologies nouvelles risquait de faire de l’ombre au dollar. Ce n’est pas le moment pour qu’une entreprise américaine participe à la dédollarisation de l’économie mondiale…
La numérisation du dinar est un atout que le gouvernement se donne pour s’adapter aux bouleversements en cours dans le monde, à la fois sur le plan économique et géopolitique. Des puissances économiques et politiques émergent et ne supportent plus de se soumettre à la toute-puissance du dollar qui contrôle le circuit financier mondial. Et comme ça ne suffisait pas au gendarme du monde, il a poussé le bouchon plus loin en prenant des sanctions et en gelant les avoirs des pays déposés dans ses banques et celles de ses alliés. Et comme ça ne suffisait pas encore, il se permet même de verser à son chouchou du moment (Zelensky) des milliards bloqués appartenant à un quelconque récalcitrant qui ne veut pas courber l’échine. Pour échapper à ce «nouveau capitalisme» qui trahit les règles élémentaires du capitalisme historique, un capitalisme plus arrogant que le nouveau qui met un trait sur le secret bancaire et va piocher dans les comptes des clients pour des motifs politiques. Contre ces pratiques de piraterie, beaucoup de pays essaient de se passer des services des banques qui deviennent une sorte de bras armé du gendarme du monde au même titre que l’armée américaine ou le CIA. Beaucoup de pays, membres ou pas des BRICS, se tournent de nos jours vers la cryptomonnaie étatique pour commercer sans avoir recours au dollar. Cette technique peut s’avérer doublement bénéfique. Elle leur permet ainsi d’économiser le dollar qu’il réserve à des échanges avec des pays qui n’acceptent pas les cryptomonnaies (numérisées) pour de multiples raisons (politiques et économiques). Secundo, elle renforce la monnaie nationale dans ses échanges commerciaux avec d’autres cryptomonnaies. Avec des pays comme la Chine, l’Inde, la Russie, l’Iran car ces pays peuvent résister politiquement aux pressions américaines…
Mais avant d’aborder les problèmes délicats qui permettent de bénéficier des deux avantages cités, voyons les problèmes à résoudre pour un pays comme l’Algérie. Une numérisation du dinar qui doterait le pays d’une cryptomonnaie suppose une monnaie solide et bénéficiant de la confiance des entrepreneurs nationaux et de ceux des pays des BRICS qui pourraient utiliser leur propre cryptomonnaie étatique pour commercer avec l’Algérie. Et qui dit monnaie solide dit une monnaie accouchée et adossée à des richesses véritables qui implique un appareil de production «armé» pour «dialoguer» d’égal à égal avec l’environnement économique. Il faut donc résoudre la faiblesse du dinar et là, il n’y a pas de mystère. La valeur d’une monnaie repose sur la quantité et la qualité du travail investies dans la fabrication d’un produit (1). A ces exigences qui s’appliquent à la monnaie traditionnelle (monnaie papier et pièces) qui peut être victime de la planche à billets, la cryptomonnaie implique qu’on la protège de la planche à billets. Pour échapper à celle-ci, des pays font reposer leur monnaie numérisée sur l’or pour conquérir la confiance des entreprises ou pays étrangers. Cette opération implique de blinder cette monnaie numérisée derrière une muraille d’informatique et d’un arsenal juridique trempé dans l’acier pour qu’on ne vienne pas piocher dans la cryptomonnaie pour combler de petits déficits ici et là. Ça implique une administration charpentée par une architecture compétente car maniant des «outils abstraits» (Internet, informatiques), sans compter les pièges des chemins tortueux de la finance du commerce international.
Une monnaie donc qui échappe à l’infamant qualificatif de monnaie de singe, en un mot, une monnaie qui circule plus vite et en sécurité. Pareilles exigences faciliteront les accords entre l’Algérie et les BRICS et autres pays non encore adhérents à cette organisation. L’exemple nous est fourni avec l’accord récent entre l’Iran et le Venezuela, tous deux victimes des sanctions des Etats-Unis. Ce genre de commerce, par le biais de la cryptomanie, qui n’utilise pas les dollars, participe directement ou indirectement à la dédollarisation du commerce mondial.
La dédollarisation s’est invitée dans le commerce international pour des raisons politiques mais aussi économiques. L’outil politique du dollar est devenu une arme contre la souveraineté des Etats quand bien même les pays sont des géants économiques et alliés par-dessus le marché (Japon et Allemagne) (1). Il freine ou ralentit le commerce entre pays pauvres dont la dépendance au dollar et aux institutions (FMI et Banque mondiale) met ces pays à la merci de ces institutions qui mettent leurs nez sur leurs budgets (baisse drastique des dépenses sociales pour payer les intérêts de leurs dettes ou rembourser leurs dettes en empruntant encore et encore). Le pouvoir exorbitant du dollar a été conquis, plutôt imposé par les Américains au lendemain de la guerre mondiale. Comme toujours, le vertige du pouvoir attise la recherche effrénée du gain et permet grâce à ce pouvoir de se libérer des contraintes. C’est ce que firent les Etats-Unis en 1972 quand Nixon, pour financer «sa» guerre du Vietnam, cassa la parité or/dollar qui donnait le droit à tout citoyen lambda ou à un Etat de se présenter dans une banque américaine et recevoir contre le billet vert l’équivalent en or.
Libérer de la contrainte de rembourser le dollar contre de l’or, les Etats-Unis faisaient tourner la planche à billets du dollar, inondant ainsi le monde pour pouvoir payer leurs guerres, entretenir leurs multiples bases militaires et autres extravagances comme les coups d’Etat. Atteinte à la souveraineté des pays, inflation importée par le dollar papier, agios à payer pour emprunter les tuyaux de la finance internationale, sanctions contre tout rebelle, voilà la liste qui enclencha le processus de la dédollarisation pour échapper aux punitions de l’Oncle Sam. Voilà quelques raisons qui ont soulevé la colère de grands pays dont les économies étaient bridées par le dollar. Les BRICS sont nés pour éviter qu’ils soient avalés par ce dollar de plus en plus glouton. De nos jours, beaucoup de pays travaillent à construire leur économie qui reposerait sur des piliers qui caractérisent une vraie économie, la transformation des matières premières par le travail et la technologie. Nécessité donc d’une vraie économie servie par une monnaie qui reposerait sur les matières premières et l’or. Des propositions ont été faites mais catégoriquement refusées.
De Gaulle qui a voulu faire reposer le nouveau franc en 1958 sur l’or avait échoué devant la forteresse de la Réserve fédérale du dollar. Ces leçons ont été retenues par les puissances des BRICS. Ils ont ainsi investi dans la véritable économie et ont commencé à commercer entre eux en se passant du dollar. Grâce aux quatre géants des BRICS, Chine, Inde, Russie, Brésil, une brèche fut ouverte dans le mur du dollar, la dédollarisation n’était plus un simple souhait, un espoir. Avec la guerre en Ukraine et la stupidité des sanctions, la dédollarisation devient une actrice du commerce international. Ainsi, de nos jours, de plus en plus de pays commercent par le biais d’une devise autre que le dollar. D’autres commencent à échanger entre eux avec leurs monnaies nationales respectives. Ce commerce a été rendu possible car beaucoup de pays sont producteurs de richesses et donc de monnaie convertible, une des exigences et des caractéristiques des économies d’aujourd’hui. L’exemple de l’Arabie qui vend son pétrole à la Chine payé en yuan ne pose aucun problème.
L’Arabie qui amasse des yuans peut se procurer en Chine n’importe quel produit. Si le produit est inexistant sur le marché chinois, l’Arabie avec le yuan convertible achètera ailleurs n’importe quel produit de ses rêves. Le pouvoir acquis par les monnaies de la Chine et l’Arabie a facilité les échanges à l’international, sans craindre les foudres de représailles des Etats-Unis qui n’aiment pas du tout que l’on grignote du terrain sur leur dollar. La dédollarisation fait perdre au dollar des zones économiques de plus en plus riches et influentes. Le retour au pouvoir de Lula da Slva a d’ores et déjà mis en marche le processus d’une monnaie unique entre le Brésil et l’Argentine. Il est facile de deviner que ces deux géants de l’Amérique latine vont attirer le reste du continent. On peut aussi deviner que les parts de commerce de la Chine, la Russie, l’Inde, l’Iran, l’Arabie et les deux derniers, le Brésil et l’Argentine, ne vont pas laisser indifférents les Etats-Unis. On peut même se soucier ou craindre leur brutale réaction. L’Oncle Sam peut faire le deuil sur le Vietnam ou l’Afghanistan et même l’Ukraine mais frapper dans la caisse du dollar, monnaie internationale, c’est demander à une éléphante ou une ours de ne pas défendre leurs bébés !
Le cercle des clubs va s’agrandir avec l’arrivée de pays déjà cités, qui s’aventurent dans l’utilisation de la cryptomonnaie étatique. Le chemin n’est pas bordé de fleurs car il exige, outre une monnaie solide comme énoncé plus haut, de se soustraire aux structures féodales de l’économie et aux mentalités archaïques dans les rapports sociaux. Mais revenons à la numérisation du dinar algérien. Ainsi, la dédollarisation de l’économie a ses origines dans la pratique économique et politique des Etats-Unis.
Economique : la place du dollar dans les réserves des banques du monde est passée de 80% en 1980 à 59% en 2022. Cette chute est causée par la dégradation de la confiance dans cette monnaie en raison de la dette américaine qui est un puits sans fonds. Cette dette coûte, à elle seule, des intérêts annuels correspondant à plus de 2 000 milliards de dollars équivalant, grosso modo, à 75% du PIB de la France et 50% de celui de l’Allemagne. Ces intérêts sont payés par des bons de Trésor qui font glisser la dette non plus dans un puits mais dans le trou noir de l’Univers que personne n’a envie de visiter (3).
Politique : les sanctions, embargo et le gel de comptes bancaires ont détourné des pays du dollar. La dette rehaussée chaque année des intérêts à payer, rapetissent la surface du rayonnement du dollar qui se paie en perte de valeur de la monnaie américaine.
La cryptomonnaie algérienne et les BRICS
J’ai signalé plus haut le cas de l’Iran et du Venezuela qui commercent entre eux par le biais de leur cryptomonnaie nationale. Ils viennent, comme déjà signalé, d’être rejoints par l’Argentine et le Brésil, ces renforts vont augmenter leurs poids dans le marché pétrolier ainsi que leurs offres dans leurs échanges commerciaux en raison des capacités agricoles et industriels de ces pays sud-américains. Ils ne sont pas encore membres des BRICS mais les demandes d’adhésion aux BRICS vont les encourager. De toute manière, ils ne craignent pas les foudres des Etats-Unis puisque l’Iran et le Venezuela subissent déjà les pires sanctions. Leurs richesses en pétrole, leurs relations avec leur environnement immédiat et leurs bonnes relations avec les grandes puissances, Chine et Russie leur permettront de commercer en dépit des distances géographiques qui les séparent…
Qu’en est-il de l’Algérie ? Le dinar n’est pas convertible pour les raisons que j’ai notées plus haut. En attendant de «mettre à jour» l’appareil de production et d’investir dans les sciences et les technologies nouvelles, de faire sauter les verrous de la bureaucratie, des archaïsmes et du charlatanisme, la cryptomonnaie facilitera les échanges avec les BRICS et autres pays en Afrique. En attendant la solidité du dinar et la fluidité des exportations avec les BRICS, l’Algérie peut s’inspirer de l’exemple des pays qui échangent entre eux par le biais de la numérisation de leurs monnaies. L’Algérie peut suivre cet exemple consistant à reposer la partie de la masse monétaire numérisée sur l’or qui rassurerait les entreprises étrangères intéressées par le marché algérien. Il faut évidemment étudier et lever les obstacles, aussi bien juridiques que techniques pour réussir pareille expérience…
En vérité, outre les problèmes que je viens de citer, il y a le rendez-vous avec la situation internationale engendrée par la guerre en Ukraine qu’il ne faut pas rater. Beaucoup de déboires que le pays a connues sont dues aux contraintes et aux inconnues surgies des bouleversements sur la scène internationale. Année 1970-80 début de la mondialisation, Années 1990-2000-2011, disparition de l’URSS, triomphe de la mondialisation, guerre d’agression de l’Irak. Projet de démembrement du Moyen-Orient et agression de la Syrie, de la Libye. C’est pourquoi une attention particulière doit guider la réflexion sur la guerre en Ukraine qui bouleverse en profondeur le monde, aussi bien sur le plan de la géopolitique, de l’économie et sur les «valeurs» qui cachent le cynisme et l’hypocrisie d’un Occident qui ne veut pas admettre que le carburant de son moteur n’est plus adapté au monde qui se dessine. Les leçons que l’on tire déjà de cette guerre touchent l’économie, le droit international, le nouveau mode des relations entre pays. C’est la capacité de cerner les nouvelles donnes de ces trois catégories de la vie d’un pays et de de s’y adapter qui éviteront les difficultés et les déboires que connaissent tous les pays qui ratent leur rendez-vous avec le monde qui émerge et de mal se défendre face aux nouveaux rapports de force de la scène internationale. Inutile de dire que le meilleur socle de ces rapports de forces n’est autre qu’une société où le peuple est le rempart contre toute visée ou agression de l’extérieur.
A. A.
1- Japon et Allemagne, deux géants économiques, obéissent aux directives des sanctions américaines. La raison ? Ayant perdu la guerre, ces deux pays abritent des bases américaines, bénéficient du parapluie nucléaire américain, ne peuvent donc échapper aux pressions. Quand l’Allemagne a ignoré «l’amical conseil» des Américains de renoncer à la construction du gazoduc Stream 2, il a été détruit par une main invisible.
2- Par véritable économie, on entend simplement les lois économiques à l’origine de la production des richesses que les pères de l’économie (Smith et Ricardo) et que Karl Marx a révélé le secret. Ce dernier a pour nom le travail produit de la marchandise, laquelle engendre la monnaie laquelle fait circuler la marchandise laquelle produit la monnaie et ainsi de suite. Le Covid et la guerre en Ukraine ont mis la lumière sur ces vérités.
3- L’image du trou noir où s’amassent les dollars donnent des sueurs froides au monde entier. Car si des pays, comme la Chine, demandaient le remboursement de leurs bons de Trésor, les Etats-Unis seraient en cessation de payer, autant dire la fin des carottes pour les Américains. La possession de bons du Trésor américains par la Chine permet à ce pays de tenir la dragée haute aux Américains.
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