Claude Mangin révèle les complicités de l’Etat français dans l’affaire Asfari
Par Kahina B. E.-H. – Invitée de Mariane TV, Claude Mangin Asfari, épouse du militant sahraoui Naâma Asfari, est revenue sur sa vie d’épouse d’un détenu des geôles marocaines depuis treize années. «Quand on parle du Maroc, il est important de parler du Sahara Occidental et du peuple sahraoui. Mon mari se situe dans cette longue histoire de quête de liberté du peuple sahraoui, puisque son père, déjà, a fait seize ans de prison dans les bagnes de Hassan II. Il est militant, comme tout le peuple sahraoui, pour l’indépendance de son pays.» «Treize ans en prison. Je le vois quatre fois par an», a regretté Claude Asfari. «Nous avons attaqué le Maroc et Abdelatif Hammouchi (patron de la DGST marocaine) devant le Comité contre la torture. Cela a provoqué un grand problème diplomatique entre le Maroc et la France. Le jour du dépôt de notre plainte, nous avons appris que Hammouchi était en visite en France. La juge a demandé à des policiers d’aller le chercher à l’ambassade du Maroc en France. Les Marocains étaient si furieux que plus personne n’a eu le droit d’aller au Maroc pendant une année», a assuré l’épouse Asfari.
Cette décision a été gênante vis-à-vis des députés et amis du roi qui passent leurs week-ends au royaume du Maroc. Elle a révélé que, suite à cet incident, «il n’y a pas eu d’acte judiciaire fait entre nos deux pays», alors que, selon ces informations, «il existe près de 700 actes judiciaires par jour, vu l’importance de l’immigration marocaine en France». Et pour «récupérer l’amitié de M. Hammouchi», selon les termes de Claude Mangin, «d’abord, en lui donnant la légion d’honneur, ce qui a été un minimum. Ensuite, Mme Guigou, qui était ministre de la Justice en ces temps-là, a changé la convention judiciaire qui liait nos deux pays contre l’avis du Haut Conseil des droits de l’Homme français qui dit : quand on veut porter plainte contre quelqu’un au Maroc, on doit d’abord le faire au Maroc. De ce fait, cela empêche toute plainte d’être déposée puisque au Maroc la justice n’est pas indépendante», a-t-elle révélé, en précisant que le Maroc a programmé la tenue d’un nouveau procès au moment même où le Comité contre la torture a rendu son rapport qui le condamnait pour faits de torture sur un Sahraoui. Le Maroc a cru bon de casser le procès afin d’amadouer l’opinion internationale car il était assez sensible à l’image qu’il donnait à l’extérieur. Depuis, ce n’est plus le cas.
Claude Mangin dit avoir été expulsée cinq fois pour le motif : interdite de séjour au Maroc. «A partir de la cinquième fois, j’ai porté plainte au tribunal administratif et au final j’ai eu un papier disant que je suis un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et un danger pour l’ordre public», a-t-elle expliqué. Et de renchérir : «Je suis dangereuse parce que je défends le Sahara Occidental qui est la question nodale du royaume et du Makhzen et mon mari étant militant pour l’indépendance. Il y a trois sujets tabous au Maroc : le roi, la religion et le Sahara. Quand on vient au Maroc pour le Sahara, on est hors la loi.»
«J’ai pu y retourner en janvier 2019. J’ai été très mal traitée, dénoncée dans la presse de caniveau marocaine, me traitant de tous les noms. La chrétienne épouse d’un égorgeur, c’est quand même du lourd. Et pourquoi ce traitement, parce que j’ai été défendue par l’ACAT, l’ONG chrétienne pour l’abolition de la torture et la peine de mort. L’ACAT est la bête noire du Maroc», a raconté Mangin en expliquant le silence complice de la France à cause de ses intérêts sur le sol du Sahara Occidental.
«Il y a beaucoup d’intérêts, ne serait-ce que des intérêts économiques. On a qu’à voir toutes les entreprises françaises qui sont au Sahara Occidental occupé et qui exploitent les ressources naturelles de manière illégale, tels la tomate cerise et le melon vendus sur la plate-forme de Perpignan. La Confédération paysanne vient d’obtenir un arrêté du Conseil d’Etat qui dit que cette exportation est illégale parce qu’ils sont vendus au prix marocain alors que c’est le Sahara Occidental. Tout cela va être confirmé au mois d’avril à mai. Le recours devant la Cour européenne de justice qui dénonce les accords de libre-échange entre le Maroc et l’Union européenne vont être dénoncés en appel. Tout cela va déclencher des plaintes qui vont être déposées contre les entreprises internationales, pas seulement françaises. Mais si on reste sur la France, on a la Banque populaire, le CPA, Axa, les sardines Connétable, etc.»
Agrémentant ses dires, Claude Asfari évoque le livre de Jean-Pierre Turquoi, sorti en 2012, Paris-Marrakech, luxe, pouvoir et réseaux. Selon elle, des Français, politiques, personnalités du showbiz, journalistes, etc. «se font servir la soupe là-bas». «C’est clair qu’il n’y a pas eu un procès de diffamation contre ce livre. Il y a aussi le livre qui vient de sortir de Brouksi. Il y aurait à peu près 200 à 250 députés et sénateurs dont le Maroc détiendrait des dossiers contre eux. Cela les fait taire. Ils n’étaient pas obligés d’accepter les cadeaux de sa majesté non plus. Quand il y a le grand colloque économique de Cross Montana, centralisé à Dakhla, des gens comme Sarkozy et Mme Guigou, dont le mari a des intérêts aussi au Maroc, viennent à ces rendez-vous et parlent à la presse de Sahara marocain alors qu’ils sont logés sur des yachts.»
Concernant la relation entre Emmanuel Macron et le roi du Maroc, Claude Mangin parle de «gros problème relationnel». Selon elle, le scandale de Pegasus est plus profond qu’il n’y paraît entre les deux pays. «Le roi du Maroc pensait que, grâce à ce qu’a fait Donald Trump, il allait obtenir de tout le monde de suivre le pas et reconnaisse la marocanité du Sahara Occidental. Finalement, il n’y a que l’Espagne qui l’a fait mais juste parce que Sanchez est empêtré, lui aussi, dans des histoires d’écoute et des élections en ligne de mire. Le roi n’a pas réussi à ce que les Etats européens, même s’ils en avaient beaucoup envie, renient les engagements internationaux de l’ONU.»
Pour elle, le Front Polisario, et après trente années d’attente de ce référendum, a changé sa posture. «La guerre reprend et les membres du Polisario disent qu’ils ne veulent plus de ce référendum, lequel ne sera jamais organisé, mais veulent plutôt accéder à l’indépendance directement. C’est un conflit de basse intensité. Il y a des endroits dans le monde où les conflits sont plus intenses, certes. Cependant, ce qui s’est passé en Ukraine nous donne de nouveaux arguments. Les sanctions faites contre l’agresseur russe pour l’agressé ukrainien, en déclarant aussi que les provinces de l’Est ont été envahies, n’ont pas été prononcées contre le Maroc concernant le Sahara Occidental. Un deux poids, deux mesures qu’on a dénoncés à l’ONU.»
Claude Mangin qui a été, elle aussi, une victime de Pagasus, a indiqué qu’elle avait déposé plainte dès le mois de juillet 2021 «quand on a découvert la surveillance de milliers de téléphones dont le mien. Il y a eu 120 connexions sur mon téléphone. Et beaucoup de choses se sont éclaircies en croisement avec mon agenda et les dates des connexions sur mon téléphone. Le Maroc savait beaucoup de choses sur moi et je me demandais comment il pouvait bien le savoir, surtout aussi vite. Le mois de septembre, j’ai été interrogée par l’agence ANC, agence nationale de surveillance des services numériques. On est cinq dans cette affaire ; l’avocat des prisonniers, le représentant du Polisario en France, le maire d’Ivry et la journaliste Rosa Moussaoui. La plainte a été recevable», a-t-elle conclu.
K. B. E.-H.
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