Marché informel : avantages et risques des bureaux de change privés
Une contribution de Ben Youcef Bedouani(*) – «Dans le domaine économique, un acte, une habitude, une institution, une loi ne produit pas seulement un effet, mais une série d’effets. Parmi ces effets, le premier est immédiat ; il apparaît simultanément avec sa cause ; il est vu. Les autres effets n’émergent qu’ensuite ; ils ne sont pas vus ; nous sommes heureux si nous les prévoyons.» (Frédéric Bastiat.) Alors que l’Algérie fait face à une inflation élevée, un déficit budgétaire et une dette publique croissants, un marché informel en plein essor et un investissement public et étranger insuffisant, le plan de relance économique 2023 de l’administration Tebboune vise à résoudre ces problèmes. Une composante clé de cette stratégie est de s’attaquer au marché informel, qui mine la stabilité financière du pays. Cet article survole l’économie algérienne et examine le dilemme du marché informel avec les avantages et risques potentiels de la création de bureaux de change privés en cette période singulière.
Aperçu de l’économie algérienne
Malgré des indicateurs prometteurs, tels qu’une croissance du PIB de 4,3% en 2022 et 64 milliards de dollars de réserves de change, l’Algérie fait face à des obstacles importants, notamment un taux d’inflation de 9,3% en 2023, un déficit budgétaire prévu de 30 milliards de dollars et un investissement public et étranger insuffisant. Le plan de relance économique du gouvernement vise à diversifier l’économie, améliorer la compétitivité des entreprises publiques et investir dans les énergies renouvelables. Cependant, une croissance durable nécessite des décisions difficiles, notamment la réduction des dépenses publiques, la lutte contre la corruption et une diversification accrue de l’économie.
Le projet de loi de finances 2023 prévoit 98 milliards de dollars de dépenses publiques, soit une augmentation de 25% par rapport à 2022, pour répondre aux besoins militaires cruciaux en ces temps de bouleversement géopolitique, aux politiques sociales et à la réhabilitation des secteurs obsolètes. Bien que 43 milliards de dollars soient alloués aux politiques sociales, le modèle économique protectionniste de l’Algérie a entraîné une croissance limitée et un cadre de gouvernance insoutenable. Le déficit budgétaire prévu pour 2023 s’élève à 30 milliards de dollars, avec une inflation atteignant 9%. Le gouvernement prévoit d’augmenter les salaires de 47% entre 2022 et 2024, mais cela pourrait s’avérer insuffisant pour maintenir le pouvoir d’achat des citoyens.
Le défi du marché informel
Le marché parallèle en Algérie pose d’importants défis en matière de gestion macroéconomique, entraînant une réduction des recettes fiscales et douanières, une formation des prix déformée, des pressions inflationnistes accrues et un affaiblissement des canaux de transmission de la politique monétaire. Depuis le choc pétrolier de 2014, le marché parallèle persiste et évolue. En janvier 2020, une prime de 50% existait entre les taux de change officiels et parallèles du dinar algérien face au dollar américain. Pour y remédier, la Banque centrale d’Algérie a décidé d’ouvrir des bureaux de change privés. Voyons quels sont les avantages et risques liés à l’ouverture de bureaux de change privés en ce moment avec des conditions économiques si singulières.
Avantages de l’ouverture de bureaux de change privés
Les bureaux de change privés peuvent offrir une liquidité accrue, une concurrence renforcée, une expansion des services financiers, une réduction des coûts de transaction pour les voyageurs et les importateurs, ainsi qu’un investissement direct étranger plus important. Même à cela, il y a des risques associés qu’il faut minimiser. Pour cela, les autorités devraient mettre en œuvre une réglementation stricte, un suivi renforcé, la formation du personnel et des technologies avancées de gestion des risques.
Risques liés à l’ouverture de bureaux de change privés
L’introduction de bureaux de change privés peut entraîner des risques tels que la fuite des capitaux, les fluctuations des taux de change, l’augmentation des importations et la concurrence déloyale avec les banques publiques. De plus, les autorités doivent mettre en place des mécanismes efficaces pour prévenir et détecter les activités illicites, telles que le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les autorités devraient également surveiller et réguler les taux de change pour éviter l’instabilité et assurer une supervision efficace des bureaux de change privés afin de maintenir la stabilité financière.
Mécanismes de dépréciation et appréciation du dinar : aucun effet sur le marché informel
Au cours des dernières années, la monnaie nationale algérienne s’est dépréciée de plus de 50%, mais le marché des changes parallèle est resté opérationnel. S’attaquer à ce marché et à ses effets néfastes sur l’économie est un défi majeur pour le gouvernement. La Banque centrale a choisi d’ouvrir des bureaux de change privés alors que nous constatons une différence de 50% entre les taux de change réels et parallèles. Avant de décider d’ouvrir des bureaux de change privés, il aurait été beaucoup plus pertinent pour le gouvernement d’essayer d’abord d’atteindre un niveau de dualité du marché des changes acceptable, autour de 5%-10%, de mettre en place des politiques monétaires initiales prudentes et des sanctions contre le marché informel, suivies par le renforcement du marché officiel et la réduction des sources d’approvisionnement du marché informel.
Dans la situation actuelle, le gouvernement est confronté à un dilemme pour équilibrer la réduction des importations et l’inflation record (9,3%). La Banque centrale devrait engendrer une appréciation du dinar grâce à des politiques monétaires appropriées, leviers en possession de la Banque centrale, tout en cherchant à réduire les importations qui pèsent sur le budget de l’Etat. L’équilibre entre dépréciation et appréciation de la monnaie en 2022 en est un exemple. Cependant, l’appréciation du taux de change officiel avec les attributs actuels n’a eu aucun impact sur le marché informel ou l’inflation. En réponse, les autorités monétaires du pays devraient plutôt augmenter le taux directeur, éviter d’utiliser l’appréciation du dinar comme instrument contre l’inflation et accorder une plus grande autonomie à la Banque centrale pour un meilleur contrôle de la monnaie, de l’inflation et de la stabilité des prix.
Conclusion
En résumé, l’ouverture de bureaux de change privés en Algérie peut offrir des avantages tels que plus de flexibilité et d’efficacité dans les transactions de devises, ainsi que la réduction de la demande de devises étrangères sur le marché noir. Cependant, cette décision comporte également des risques et des défis, notamment le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les risques de change, les risques de stabilité financière et le risque de perdre le contrôle de la politique monétaire. Optimiser la dualité entre les taux de change officiels et parallèles et réduire les besoins du marché informel grâce à des politiques monétaires strictes et des sanctions aurait dû être une priorité avant l’ouverture des bureaux de change. Pour minimiser les risques et maximiser les avantages potentiels de l’ouverture de bureaux de change privés, les autorités algériennes doivent mettre en œuvre une régulation efficace des activités de ces bureaux de change privés, y compris la mise en place de mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent.
De plus, la Banque centrale devrait se voir accorder une plus grande autonomie pour renforcer sa gouvernance et mieux contrôler l’offre de monnaies en circulation. Cela permettra un meilleur contrôle de la monnaie, de l’inflation et de la stabilité des prix. Atteindre une croissance économique durable et relever le défi du marché informel nécessite une approche globale, à plusieurs paliers, incluant la diversification de l’économie, l’investissement dans des secteurs clés et la mise en œuvre de réformes structurelles. Face à ces défis économiques, le gouvernement algérien doit trouver un équilibre entre la préservation du pouvoir d’achat des citoyens et la garantie de la stabilité financière, tout en œuvrant pour un avenir prospère pour la nation.
B.-Y. B.
(*) Economiste et analyste financier seniors
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