Les néo-harkis ya’hagro(*) l’Algérie sous prétexte du phénomène des harraga
Une contribution de Khider Mesloub – Ces deux dernières décennies, j’ai fréquemment entendu de la bouche nauséabonde d’Algériens néocolonisés, incultes, invoquer le phénomène des harraga en guise d’argument prétendument massue pour prouver l’arriération économique de l’Algérie et la décomposition de la société algérienne.
Les harraga sont ainsi érigés au rang de figure désespérée symbolisant la crise multidimensionnelle qui frappe le pays. «C’est un pays où tout le monde veut s’expatrier vers l’Europe ou l’Amérique du Nord», proclament-ils pour accréditer leur thèse harkie sur l’échec de l’indépendance de l’Algérie.
D’aucuns, des écrivaillions, ces «brûleurs» de leur algérianité pour pouvoir transmigrer dans la coterie intellectuelle française, qui ont fait de la haine et du dénigrement de l’Algérie leur œuvre littéraire principale, ont titré leur roman Harraga.
Ces néo-harkis qui ont brûlé leur âme pour obtenir légalement leur visa, puis consumer leur dignité pour acquérir la nationalité française, sont prêts à toutes les compromissions pour larguer les amarres avec leur pays d’origine. Y compris à pactiser avec l’Etat impérialiste français. A embrasser son paradigme historique de l’Algérie française. A épouser son idéologie bourgeoise raciste et islamophobe.
Pas loin que la semaine dernière, un lointain ami algérien qui a vécu jusqu’à l’âge de 30 ans en Algérie, qui lui avait offert la possibilité de devenir professeur d’université à Alger, avant de venir s’échouer en France pour exercer son métier dans un vulgaire collège d’une banlieue lépreuse, m’a encore une fois choqué par ses propos foncièrement anti-algériens, inspirés de l’idéologie néocoloniale des nostalgiques de l’Algérie française. A l’écouter, l’Algérie était mieux sous l’occupation française. Au reste, il ne jure que par la France. Il exhibe fièrement sa carte d’identité française. Il ne cesse de marteler «je suis citoyen français». D’encenser les valeurs de la République française, déclinées dans leurs multiples versions libérales et libertines. Notamment le philosémitisme, le cache-sexe du philosionisme. Le néo-harki, plus il verse dans la haine invétérée de l’Algérie, plus il cultive un amour inconditionnel pour Israël, qu’il alimente par son mépris de la cause palestinienne. C’est la dialectique néo-harkie : la haine de son frère engendre inéluctablement l’amour de l’ennemi de son frère.
Il ne tarit pas d’éloges sur la «magnifique France démocratique, respectueuse des droits de l’Homme, de la liberté d’expression. Une France où il fait bon vivre». Où tout le monde mange à sa faim, contrairement à l’Algérie où même un ingénieur vit misérablement, selon ses propos. Il tient ce discours harki insensé au moment où la France sombre dans la tiers-mondisation. Où des millions de Français ne peuvent plus se nourrir, se chauffer, alimenter leur vieille voiture en essence, faute d’argent. Où la viande et le poisson sont devenus tellement inaccessibles aux bourses des classes populaires que certaines grandes surfaces mettent désormais des antivols à ces deux denrées car elles sont massivement volées par des clients impécunieux et carencés.
Pour lui, les harraga symbolisent le déclin de l’Algérie, donc l’échec patent de l’indépendance. J’ai beau lui expliquer que le phénomène d’expatriation pour une meilleure vie remonte aux temps immémoriaux, à l’époque où des tribus entières transhumaient pour une terre plus fertile, il n’en démord pas avec sa focalisation obsessionnelle sur les harraga érigés en démonstration scientifique pour prouver la ruine du pays, la déconfiture de l’Algérie.
J’ai beau lui démontrer que le phénomène des harraga concerne quelques milliers de personnes désœuvrées sur 45 millions d’Algériens, il ne veut pas entendre raison. Il préfère, avec sa mentalité de colonisé, entendre la «raison» médiatique française algériennophobe, qui lui façonne son esprit inculte avec le discours dominant tricolore raciste. Les néo-harkis ont fait de l’ignorance une vertu, et de la haine de soi (leur pays) leur morale.
Historiquement, le phénomène d’émigration remonte à la nuit des temps. Nous sommes tous des fils et filles d’immigrés. L’humanité est formée d’immigrés. Il n’existe pas de peuple éthiquement pur. L’humanité est le fruit d’un brassage perpétuel de peuples, de mélange de «races». L’Algérie, elle-même, est une terre d’accueil : elle est composée d’habitants descendants d’Egyptiens, Irakiens, Saoudiens, Yéménites, Tunisiens, Marocains, Africains, Italiens, Espagnols, Germaniques (Vandales), Byzantins, etc. Longtemps, l’Algérie fut un pays d’accueil et d’occupation étrangère (elle a accueilli des milliers de tribus venues de plusieurs pays, et a été conquise de force par plusieurs puissances).
Et, à présent, c’est autour de certains Algériens, à l’ère du capitalisme mondialisé, d’émigrer vers d’autres terres d’accueil pour vendre leur force de travail, bénéficier de meilleures conditions de vie, de salaires confortables. C’est la loi de l’évolution humaine. A plus forte raison sous le capitalisme caractérisé par la circulation permanente des marchandises et des personnes.
De même, l’Europe, durant des siècles, dès la fin du XVe siècle, était devenue une terre d’émigration. Des millions d’Européens, ces «harraga» du début du capitalisme, prenaient d’assaut des embarcations de fortune pour gagner le Nouveau Monde, de nouvelles contrées, au péril de leur vie. Sans passeport, ni visa. Avec comme seul bagage, leur force de travail. Ou leur sens du commerce, des affaires, du business.
La classe ouvrière européenne elle-même était composée à 100% d’immigrés. On l’oublie souvent. Pour prendre le cas de la France, la classe ouvrière française, par définition urbaine, est issue de l’émigration paysanne, de l’expatriation forcée de la population rurale, chassée de sa terre pour la contraindre à migrer vers les villes nouvellement industrialisées, villes en quête de main-d’œuvre. La classe ouvrière européenne est une classe d’immigrés, issus des campagnes, de la paysannerie. Ces paysans campagnards durent quitter leur village pour émigrer dans les nouvelles villes manufacturières où ils étaient très mal accueillis, à la fois pour leurs mœurs jugées rustres et, donc, incompatibles avec les valeurs de la société «civilisée» d’accueil, et pour leur concurrence considérée comme déloyale (par leur acceptation de percevoir des rétributions modiques ils tiraient les salaires vers le bas). L’ostracisme de l’immigré est aussi vieux que l’humanité.
Après une longue période de reflux du phénomène migratoire européen (les Européens ont cessé d’émigrer après la fin de la Seconde Guerre mondiale, grâce aux Trente Glorieuses), à la faveur de l’entrée en crise de l’Europe, de nombreuses personnes commencent de nouveau à s’expatrier vers l’étranger pour fuir la misère.
En effet, depuis l’année dernière, du fait de l’aggravation de la crise économique dans toute l’Europe, des millions de personnes songent à s’expatrier à l’étranger pour fuir la cherté de la vie induite par l’inflation galopante spéculative.
Pour la seule Angleterre, 4,5 millions de Britanniques envisageraient de partir prochainement à l’étranger pour fuir la vie chère. C’est ce que révèle une enquête anglaise. Ce phénomène d’expatriation touche tous les pays européens. De sorte que l’on peut évaluer à plusieurs millions d’Européens susceptibles d’émigrer vers l’étranger.
Comparé à nos quelques centaines de harraga, cela ressemble à un véritable exode. Et pourtant, personne n’en parle. Encore moins nos néo-harkis algériens. Autant ils s’empressent toujours de fustiger les autorités algériennes, de dénigrer l’Algérie pour quelques centaines de harraga fuyant le pays, autant ils observent un silence gêné sur ce nouveau phénomène migratoire des Européens fuyant leur pays vers l’étranger pour cause de pauvreté.
Parmi les Britanniques désireux de s’exiler, nombreux sont ceux qui choisissent d’émigrer dans un pays du Golfe. Comme le rapporte le Courrier International, pour la première fois de sa vie, Jessica Jordan, 30 ans, n’est plus inquiète à l’idée de ne pas pouvoir payer son loyer. Mais pour ça, elle a dû quitter son pays, le Royaume-Uni, sa famille et ses amis, et partir à 5 000 kilomètres de chez elle. Et selon le témoignage qu’elle a confié au Times, elle ne se voit pas revenir de sitôt : «Je ne regrette pas l’anxiété constante que je ressentais en essayant de joindre les deux bouts avec des jobs qui n’offraient ni avantages ni perspectives. Aujourd’hui, à 30 ans, j’ai enfin trouvé un bon équilibre entre mon travail et ma vie personnelle (et aussi pour mon compte à la banque). C’est seulement dommage d’avoir dû partir si loin pour y parvenir.» «Diplômée en 2016, elle est d’abord passée d’un job à l’autre. Son premier travail de journaliste lui rapportait tout juste l’équivalent de 19 000 euros par an. Impossible avec ce salaire de payer un loyer londonien. Elle n’a pas d’autre choix que de vivre chez ses parents, dans l’Essex, et de faire la navette.»
Jessica, comme ses ancêtres durant plusieurs siècles, ne fait que suivre son instinct de survie qui lui dicte d’aller migrer sous de cléments cieux pour continuer à bénéficier de conditions de vie meilleures. Cette loi de survie migratoire, toute l’humble humanité, précipitée dans la misère, l’a accomplie à un moment donné de l’histoire.
Certains Algériens, depuis presque trente ans, consécutivement à la décennie noire, puis à l’absence de perspectives professionnelles, notamment pour la jeunesse pléthorique diplômée, choisissent, la mort dans l’âme, le chemin de l’exil pour s’assurer un meilleur destin. Ce départ forcé vers l’étranger est toujours vécu comme un déchirement, une amputation de soi. L’Algérien n’émigre pas parce qu’il n’aime plus son pays, mais parce qu’il aime trop la vie. Par amour de la vie, il sacrifie une partie de lui-même, sa famille, ses amis, son quartier, sa ville, pour vivre comme la majorité de ses semblables contemporains de tous les pays modernes : avoir un travail, disposer d’un logement décent, d’une vie conjugale heureuse, d’une progéniture éduquée et instruite…
A l’ère du capitalisme mondialisé, caractérisée par l’interdépendance des entreprises et des capitaux, les échanges accélérés des marchandises, les salariés tendent également à s’intégrer dans ces dynamiques d’interconnexion et de circulation. Ils suivent le mouvement du développement et de migration technologique. Là où les progrès offrent de meilleures perspectives d’emploi et de meilleures conditions de vie, vers ces destinations, les prolétaires se dirigeront et immigreront. C’est la loi de l’offre et de la demande, qui s’applique également sur le marché de l’emploi, désormais étendu à l’échelle internationale. Là où l’offre du travail est plus abondante, la force de travail tendra à se diriger. Là où les conditions de vie sont meilleures, là où les populations pauvres immigreront.
L’hypocrisie de certains Algériens néo-harkis, pourfendeurs de l’immigrationnisme, est pitoyable. Qu’un Algérien change plusieurs fois d’entreprises, parfois installées dans des villes différentes, l’obligeant à déménager régulièrement au cours de sa carrière, ne les dérange absolument pas. Mais que certains veuillent tenter leur chance dans une entreprise domiciliée à l’étranger, où ils sont assurés de faire carrière jusqu’à leur retraite, aussitôt ils sont blâmés. Pire. Ces néo-harkis instrumentalisent ces migrations. Ce serait la preuve de l’échec de l’indépendance de l’Algérie pour n’avoir pas su retenir ces Algériens au pays.
Comme les capitalistes déplacent librement leurs capitaux et leurs entreprises aux quatre coins du monde comme bon leur semble, les prolétaires doivent également, pour assurer leur survie, user de ce droit de migrer là où ils peuvent bénéficier de meilleures conditions de travail et de rémunération. Ils n’ont pas choisi de naître sous le capitalisme, qui plus est prolétaires (c’est-à-dire qui ne disposent que de sa force de travail pour survivre).
Cela étant, la terre appartient à toute l’humanité. Libre à chacun de trouver son bonheur dans un pays de son choix. Depuis que l’humanité existe, sa vie fut marquée par des périples, le nomadisme. En tout cas, avant d’être sédentaire, elle fut des centaines de milliers d’années durant nomade.
Le nomadisme est le propre de l’homme : il quitte son enfance pour l’adolescence, puis il abandonne l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte, puis l’âge de la sagesse, la vieillesse. Un quartier pour un autre. Une ville pour une autre. Un pays pour un autre. Sa famille pour construire sa propre famille. Son épouse pour une autre. Un emploi pour un autre. La vie pour la mort.
Même mort, selon plusieurs religions, il poursuit son périple nomadique, soit vers l’enfer ou le paradis. Y compris dans l’Au-delà, probablement les pérégrinations éternelles continuent à s’imposer aux âmes immortelles de l’homme.
Nous sommes tous des harraga. Sous le capitalisme, sans avoir à traverser la Méditerranée, nous brûlons chaque jour notre vie en traversons la tempétueuse existence sur un radeau social périlleux, tant il est semé d’embûches psychiatriques, miné d’adversités relationnelles, submergé de catastrophes nationales, économiques, sociales, politiques, professionnelles, familiales, conjugales.
K. M.
(*) ya’hagro est employé au premier sens du terme : mépriser, détester, haïr profondément. Pas dans le sens commettre une injustice, un abus de pouvoir, de force, faire violence à quelqu’un.
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