Les non-dits de la guerre en Ukraine (II)
Une contribution d’ Oleg Nesterenko(*) – En parlant de la première guerre du dollar qui est la guerre d’Irak, il faut mettre de côté la fameuse fiole d’anthrax imaginaire que le secrétaire d’Etat américain Colin Powell a brandie à l’ONU, le 5 février 2003, afin de détruire le pays et de massacrer le peuple irakien, et de rappeler les faits. Les faits qui sont très éloignés de la fantaisie américaine.
Au mois d’octobre de l’an 2000, le président irakien Saddam Hussein a fait une déclaration qu’il ne souhaite plus vendre son pétrole contre les dollars américains, mais uniquement contre les euros. Une telle déclaration valait la signature de son arrêt de mort.
Selon une étude poussée d’American Civil Liberties Union et du Fonds américain de l’Independence du journalisme, qu’entre 2001 et 2003 le gouvernement américain a fait 935 déclarations mensongères concernant l’Irak, dont 260 directement par George W. Bush. Et parmi les 260 déclarations du mensonge prémédité du président américain, 232 ont été sur la présence en Irak d’armes de destruction massive inexistantes.
La fiole de Colin Powell, après 254 déclarations mensongères de ce dernier du même propos, n’a été que le point culminant d’une longue et laboureuse préparation de l’opinion publique nationale et internationale en vue d’un imminent déclenchement de l’extermination de la menace irakienne portée à la monnaie américaine.
Et, lorsqu’en février 2003, Saddam Hussein met sa «menace» à exécution en vendant plus de 3 milliards de barils de pétrole brut pour le montant de 26 milliards d’euros, un mois plus tard, les Etats-Unis procèdent à l’invasion et la destruction totale de l’Irak, dont on connaît les conséquences tragiques avec l’anéantissement de l’intégralité de l’infrastructure du pays et tant de morts parmi la population civile.
Même à ce jour, les Etats-Unis affirment fermement que cette guerre n’a strictement rien à avoir avec la volonté de l’Irak de s’affranchir du système des pétrodollars. Vu l’impunité judiciaire la plus totale des crimes contre l’humanité commis par les gouvernements successifs des Etats-Unis, ils ne se donnent même pas la peine de les couvrir par des récits, ne serait-ce que peu crédibles aux yeux de la communauté internationale.
Les faits sont parfaitement connus et on pourrait s’en arrêter là. Mais, pour que le procédé de «défense» des intérêts américains, dont l’actuelle guerre en Ukraine soit encore plus claire, parlons également de l’avant-dernière – seconde grande guerre du dollar qui est la guerre de Libye.
La seconde grande guerre du dollar
Six années se sont écoulées depuis l’anéantissement de la menace irakienne – une nouvelle menace existentielle pour le dollar américain est apparue en la personne de celui qui a refusé de tirer la leçon du destin tragique de Saddam Hossein : Mouammar Kadhafi.
En 2009, alors à la présidence de l’Union africaine, Mouammar Kadhafi propose aux Etats du continent africain une véritable révolution monétaire qui avait toutes les chances de réussir pour changer le destin du continent et qui a été accueillie avec un grand enthousiasme : se soustraire de la domination du dollar américain en créant une union monétaire africaine dans laquelle les exportations du pétrole et autres ressources naturelles africaines soient payées principalement par le dinar-or, une nouvelle monnaie à créer et qui serait fondée sur les actifs financiers et les réserves d’or des fonds souverains du continent.
Suivant l’exemple des pays arabes de l’Opep ayant leurs propres fonds souverains pétroliers, d’autres pays africains producteurs de pétrole, commençant par les géants pétroliers et gaziers l’Angola et le Nigeria, ont lancé des processus de la création de leurs propres fonds nationaux constitués des revenus tirés des exportations pétrolières. En tout, 28 nations productrices de pétrole et de gaz africains étaient parties prenantes du projet.
Kadhafi, pourtant, a commis une erreur stratégique de calcul qui a non seulement «enterré» le dinar-or, mais lui a coûté également la vie. Il a sous-estimé le fait qu’il était totalement exclu que ce projet se réalise, d’une part, pour l’Etat américain et, d’autre part, pour «l’état profond» de Wall Street et de la City de Londres.
Car, non seulement il mettait en danger existentiel la monnaie américaine mais, en plus, privait les banques new-yorkaises et de la City du brossage habituel de trillions de dollars provenant des exportations de matières premières du continent africain. Le Royaume-Uni était donc en parfaite symbiose avec les Etats-Unis dans sa volonté de destruction du pouvoir-auteur de la menace.
Dès la prise de décision par des «alliés» sur la neutralisation de la nouvelle menace – ils ne se soucièrent guère du drôle de timing pour être une coïncidence aux yeux des observateurs : plus de 40 ans d’inaction face à Kadhafi, arrivé au pouvoir en 1969, et, dès qu’il expose à l’Union africaine le projet de cette révolution monétaire – une nouvelle guerre civile orchestrée par les Etats-Unis se déclenche de suite.
En ayant déjà dans le passif l’invasion criminelle et la destruction de l’Irak basées sur de grossiers mensonges prémédités que l’Etat américain a proférés à l’ONU en 2003 via Colin Powell sur les soi-disant armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein, les Etats-Unis ne pouvaient plus se permettre de réutiliser la même technique et ont été obligés de diversifier la mise en place de l’invasion, afin de ne pas se mettre, une fois de plus, en position de criminels de guerre.
Soit au moment où ce nouveau «printemps arabe» est arrivé au point d’être écrasé par le pouvoir de l’Etat libyen – les Américains, en restant dans l’ombre, utilisent les pays satellites et vassaux, la France, le Royaume-Uni et le Liban – pour déterrer de l’oubli une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies contre la Libye datée de 1973, vieille de plus de 35 ans, pour attaquer et détruire le pays.
La réalisation été faite en violant même leur propre résolution nouvellement adoptée : au lieu de l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye prévue par la résolution, ce sont les bombardements directs des objectifs militaires au sol qui ont eu lieu. Ces bombardements ont été totalement illicites et en totale violation du droit international, car ceux qui ont voté pour l’adoption de la résolution l’ont fait étant rassurés par les auteurs que l’objectif de l’action n’est que l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne protégeant les civils et nullement la défaite de Kadhafi, ni la destruction de son armée.
C’est-à-dire que les Etats-Unis, sous la couverture de ses pays-satellites, ont directement menti à l’ONU, une fois de plus, afin d’avoir une moindre base légale pour déclencher les hostilités et de faire par la suite ce qui était prévu d’avance : anéantir la nouvelle menace au dollar américain.
Que ce sont les Etats-Unis, et personne d’autre, qui sont les réels auteurs de la destruction de la Libye en 2011 était un secret de Polichinelle.
Et, à partir de la publication par Wikileaks de la correspondance du 2 avril 2011 entre l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton et son conseiller Sid Blumenthal sur le sujet, le «secret» est sorti de l’ombre : Clinton était l’élément-clé de la conspiration occidentale contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et, plus précisément, contre la nouvelle monnaie panafricaine, menace directe au dollar américain.
Blumenthal écrit à Clinton : «Selon les informations sensibles disponibles par cette source, le gouvernement de Kadhafi détient 143 tonnes d’or, et un montant similaire en argent… Cet or a été accumulé avant le courant de rébellion et était destiné à être utilisé pour établir une monnaie panafricaine basée sur le dinar-or libyen.»
Comme je l’ai mentionné auparavant, aucune guerre n’a jamais une seule raison pour être lancée. Dans le cas de la guerre contre Kadhafi, cela a été de même : une des raisons-clés complémentaires était l’intérêt personnel de Hillary Rodham Clinton de jouer le rôle de «dame de fer» dans le milieu politique américain en vue des futures élections présidentielles. Ceci était comme dire à son parti politique : «Regardez, j’ai été capable d’écraser tout un pays. Ne doutez donc pas que je suis bien en capacité de mener le combat électoral». En avril 2015, elle annonce sa candidature à la présidence et, en juillet 2016, elle est officiellement désignée comme candidate du Parti démocrate.
Dans la seconde grande guerre du dollar, ce n’est pas que l’avenir de la Libye, mais l’avenir de tout le continent africain qui était mis sur l’hôtel du sacrifice pour le bien-être de l’économie américaine.
Tous ceux qui essaient de mettre en danger le système monétaire américain doivent disparaitre, s’ils ne sont pas de taille à résister. Néanmoins, si c’est un pays puissant qui est en cause et que l’on n’est pas en mesure de l’écraser directement, comme l’Irak et la Libye, ce sont des attaques indirectes multimodales d’envergure qui sont élaborées et lancées, restant toujours dans l’ombre, faisant passer l’agressé pour l’agresseur, dans le but d’affaiblir l’adversaire au point qu’il abandonne ses projets de «destitution» du dollar et soit obligé de se concentrer sur la résolution de problèmes nouvellement apparus.
Après la fin de la guerre en Ukraine – la troisième grande guerre du dollar américain, c’est inévitablement la quatrième grande guerre du dollar –, c’est la guerre de Chine qui aura lieu et dont on ignore encore quelle forme précise elle prendra.
Le dollar américain et les raisons cachées de la guerre en Ukraine
Le second des trois piliers porteurs sous-jacents de la guerre en Ukraine est l’affaiblissement de l’économie de l’Union européenne par le biais de la détérioration maximale des relations entre la Russie et l’Union européenne.
Les coups d’Etat en Ukraine
La détérioration maximale et à long terme vise les relations entre la Russie et l’Europe, surtout avec l’Allemagne, qui est le point de gravité de la puissance économique européenne, dans le but de l’affaiblissement du principal concurrent direct des Américains sur les marchés mondiaux qui n’est personne d’autre que l’Union européenne.
J’aimerais souligner de nullement affirmer que les zones visées par les «intérêts» américains ne présentent pas un manque de démocratie ou des libertés personnelles, en particulier celles du format occidental. Mon affirmation : la présence ou l’absence de ces nobles principes ne font guère partie des raisons des agressions américaines et ne sont que des prétextes affichés les justifiant. Il existe tout une série d’exemples plus que parlant de véritables dictatures, voire sanguinaires, et porteuses de législations moyenâgeuses, qui ne sont nullement dérangées par l’Occident collectif gravitant autour des Etats-Unis, voire soutenues d’une manière active pour une raison simple de leur soumission à la politique étrangère américaine.
Après avoir organisé et réalisé des coups d’Etat sous la couverture de «révolutions de couleur» : en Yougoslavie en l’an 2000 et en Géorgie en 2003, la Révolution «orange» a été orchestrée par les Etats-Unis en Ukraine en 2004 afin d’y faire tomber le pouvoir de la droite modérée, majoritairement pro-russe, et d’y créer «l’anti-Russie», d’instaurer un nouveau pouvoir de l’extrême-droite russophobe, permettant d’y mener une politique répondant aux intérêts stratégiques américains.
Avec l’arrivée au pouvoir en Ukraine de Viktor Ianoukovytch, en 2010, et de sa politique globalement pro-russe, il était nécessaire de se débarrasser de ce dernier. En profitant des mouvements sociaux en 2014, les Etats-Unis organisent le coup d’Etat et remettent en place un pouvoir ultra-nationaliste, foncièrement russophobe.
En parlant d’un coup d’Etat organisé par les Etats-Unis, il ne s’agit nullement d’une spéculation, mais d’un fait prouvé. Non seulement depuis le déclenchement de la guerre que nous vivons aujourd’hui, plusieurs déclarations de hauts responsables américains dans ce sens ont eu lieu mais, en revenant en 2014, nous y trouvons une preuve directe. La preuve qui est un enregistrement d’une conversation téléphonique interceptée et diffusée par les services des renseignements russes : conversation entre Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat américaine pour l’Europe et l’Eurasie, et Geoffrey Ross Pyatt, l’ambassadeur américain en poste en Ukraine à l’époque. L’enregistrement dans lequel Nuland et Pyatt décident et distribuent les sièges au nouveau gouvernement ukrainien et qui accable directement les autorités américaines dans le coup d’Etat perpétré.
Les adversaires de la Russie auraient bien aimé mettre en doute l’authenticité de l’enregistrement, mais cela n’était guère possible, car Victoria Nuland a commis une très grave erreur : au lieu de nier en bloc la véracité de l’enregistrement dans lequel, entre autres, elle a insulté l’Union européenne, elle a fait des excuses officielles pour les injures qu’elle a prononcées à l’encontre de l’UE et, de ce fait, a authentifié la réalité de cette conversation.
En outre, du côté non gouvernemental, le très controversé George Soros a déclaré, fin mai 2014, dans une interview à CNN, que la filiale de sa fondation en Ukraine «avait joué un rôle important dans les événements qui ont lieu actuellement en Ukraine».
Les coups d’Etat et l’instauration en Ukraine de «l’anti-Russie», réalisés par les Etats-Unis, ne pouvaient ne pas déclencher des contre-mesures stratégiques par la Russie. Les contre-mesures que l’on connaît depuis 2014 et dont on arrive à l’apogée en cette année 2022.
Le sabotage du spectacle des Accords de Minsk
Le respect des Accords de Minsk qui aurait instauré une paix durable en Ukraine serait pour les Etats-Unis d’Amérique une véritable catastrophe géopolitique avec des effets économiques néfastes majeurs qui en découleraient. Il était donc vital de les faire échouer.
De 2015 à 2022, ni Paris ni Berlin n’ont réussi à faire pression sur Kiev dans le format de Normandie pour que l’Ukraine accorde l’autonomie et l’amnistie au Donbass, comme ils auraient pu le faire, pour une raison simple : en la personne du nouveau président de l’Ukraine, l’oligarque Petro Porochenko, venu au pouvoir par le coup d’Etat de 2014, ce sont les intérêts sous-jacents des Etats-Unis qui y ont été représentés. Les intérêts qui se sont bien mariés avec ceux des nouvelles élites ukrainiennes.
Il était clair que si les Accords de Minsk devaient être respectés, les réseaux ultra-nationalistes et néo-nazis de l’Ukraine – le «bras armé» du coup d’Etat piloté par les Etats-Unis en personne de Victoria Nuland – devaient être immédiatement démantelés. Au même instant, le chef de l’organisation paramilitaire ultra-nationaliste «Secteur droit», Dmytro Yarosh, a clairement déclaré qu’il rejetait l’accord qu’il considère être une violation de la Constitution ukrainienne et qu’il comptait poursuivre le combat.
Cette position des forces en croissance exponentielle des ultra-nationalistes convenait parfaitement et aux Etats-Unis et au président Porochenko. Il existe un enregistrement vidéo très récent, daté du 17 novembre 2022, sur lequel l’ancien président de l’Ukraine, Petro Porochenko, parle (en anglais) des Accords de Minsk qui ont eu lieu en 2015. Il y avoue directement : «Je considère que le document des Accords de Minsk était un document écrit avec talent. Il me fallait les Accords de Minsk afin d’avoir au moins 4 ans et demi pour former les forces armées ukrainiennes, construire l’économie ukrainienne et entrainer les militaires ukrainiens ensemble avec l’OTAN pour créer les meilleures forces armées de l’Europe de l’Est qui seraient formées avec les standards de l’OTAN.» (https://www.youtube.com/watch?v=d08fnOReAbo).
Selon cette déclaration de la personne-clé des Accords de Minsk, les réels objectifs des pourparlers n’ont rien à avoir avec ceux affichés – recherche d’un modus vivendi – mais ont été uniquement de gagner le temps nécessaire à la préparation d’une grande guerre.
En ce qui concerne la récente interview sensationnelle accordée à Die Zeit par l’ex-chancelière allemande Angela Merkel, ceci n’est qu’un écho de la vérité annoncée par Porochenko. Et il serait un gage de myopie politique de dissocier les révélations de Merkel de ses propres «garanties» données au président Ianoukovitch en 2014 et qui ont été l’un des facteurs fondamentaux du succès du coup d’Etat en Ukraine.
Les Accords de Minsk n’ont été, en réalité, qu’un spectacle, une mise en scène, et donc sabotés, de facto, avant même leur initiation.
Le sabotage des Nord Stream
Actuellement, les spéculations sur l’auteur des explosions sur les gazoducs russes Nord Stream dans la Mer baltique circulent. Sans même prendre en compte les déclarations non réfléchies des derniers mois émanant de divers responsables américains qui les incriminent grandement (https://www.youtube.com/watch?v=k93WTecbbks), il faut remonter à des années auparavant afin de constater que le sabotage de l’approvisionnement de l’Union européenne par la Russie ne fait nullement partie des opérations hâtives «dans le feu de l’action» de la guerre en cours, mais entre bien dans les objectifs stratégiques calculés de la géopolitique américaine de long terme.
C’est déjà en 2014 que, dans une interview télévisée, Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine de l’époque, a avoué l’importance stratégique de faire réorienter les approvisionnements en gaz et en pétrole de l’Europe vers l’Amérique du Nord en coupant les gazoducs russes : «… A long terme, on veut simplement changer la structure de la dépendance énergétique. Faire dépendre davantage de la plateforme énergétique nord-américaine, de la formidable abondance de pétrole et de gaz que nous trouvons en Amérique du Nord…» (https://www.youtube.com/watch?v=7a0s_RWudjM). Avec l’explosion des gazoducs Nord Stream I et Nord Stream II, l’objectif est, enfin, atteint.
Je laisse à votre jugement si c’est une coïncidence ou pas, le fait que cette déclaration de la responsable de la politique étrangère américaine a eu lieu l’année même du coup d’Etat en Ukraine organisé par les Etats-Unis – l’année de la prise du contrôle du pouvoir ukrainien par Washington DC – qui a mené vers la réorientation totale de la politique ukrainienne dont on accuse aujourd’hui les conséquences.
Il est clair que, d’une part, une telle destruction n’était pas envisageable en temps de paix, quand aucune communication et conditionnement de l’opinion des masses ne pouvait permettre le moindre doute sur l’unique auteur et bénéficiaire possible d’un tel événement sans précèdent ; d’autre part, que la mise hors service des gazoducs russes change immédiatement la structure de la dépendance énergétique européenne et la fait réorienter directement vers la plateforme énergétique nord-américaine, vu la saturation au niveau de la demande auprès des producteurs du Golfe persique.
Le pouvoir corporatif américain accède, enfin, au grand marché énergétique européen et, en même temps, décide des prix de vente qui font réguler les coûts de revient dans les industries du concurrent du Vieux-Continent.
Une balle dans le pied
Les faits de la réalité économique sont têtus : l’un des fondements de la «concurrentialité» des entreprises européennes sur le marché mondial face à ses concurrents directs était, depuis des décennies, l’énergie à des prix bas livrée par la Russie et sécurisée par des contrats à long terme.
L’auto-privation, assumée par les responsables actuels des pays européens, de l’accès à cette énergie rend le sens de l’expression «se tirer une balle dans le pied» bien propre à la situation que les industries de l’UE subiront à court et moyen terme, voire à long terme, si la politique dans ce sens ne connaît pas de changement radical de son vecteur.
Comme un des «effets secondaires» obtenus par les Etats-Unis sera la désindustrialisation partielle de l’UE qui va directement contribuer au nouveau rêve américain de la réindustrialisation du pays, en déclin depuis les années 1970, et dont la contribution sera apportée par des entreprises européennes énergivores qui ne seront plus en mesure de maintenir leurs activités au niveau habituel sur le continent européen et chercheront de nouveaux débouchés pour le développement sur le continent américain qui préservera les prix de l’accès à des énergies à des niveaux relativement modérés.
En septembre 2022, les prix à la production industrielle en Allemagne ont bondi de 45,8%, soit un record historique absolu depuis 1949, année du début des enquêtes statistiques par l’Office fédéral allemand de la statistique. Ce qu’il fallait démontrer.
Par ailleurs, le freinage constant entrepris dans les dernières années par les Allemands au niveau de la quasi-intégralité des accords dans le domaine de la coopération des industries de l’armement entre la France et l’Allemagne, qui pourraient mener au développement significatif de l’industrie de défense européenne autonome, démontre sans nul doute possible la domination politique de l’Allemagne par les Etats-Unis. L’annonce faite par les Allemands au déclenchement de la guerre en Ukraine d’une commande de niveau sans précédent d’armements américains ne fait que reconfirmer la certitude.
Cette domination a mené vers plusieurs succès majeurs supplémentaires américains qui sont l’affaiblissement significatif du concurrent européen dans le domaine de l’armement ; l’élargissement du marché pour l’industrie américaine de l’armement et, surtout, la neutralisation du danger de la création d’un véritable bloc de défense européenne autonome.
Néanmoins, malgré le succès considérable dans le processus de l’affaiblissement de l’économie européenne, le parti démocrate américain, qui est historiquement un pouvoir belliqueux, a commis une erreur stratégique de refuser de suivre les préconisations de Donald Trump, disant qu’il fallait redresser les relations, faire la paix avec l’adversaire traditionnel qui est la Russie afin que cette dernière ne soit pas un soutien significatif – énergétique et alimentaire – vis-à-vis de l’ennemi majeur des Etats-Unis, la Chine, quand la grande confrontation aura lieu.
O. N.
(Suivra)
(*) Président du Centre de commerce et d’industrie européen
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