Le rétablissement des relations Iran-Arabie savonne le terrain de la stratégie occidentale
Une contribution d’Ali Akika – Le rétablissement des relations entre Iran/Arabie Saoudite sous l’égide de la Chine est un séisme géopolitique qui a déjà provoqué des répliques au Soudan. L’inquiétude du secrétaire d’Etat Blinkin s’est traduite par son empressement à téléphoner au général soudanais Hamedti, chef de la Force rapide spéciale (FRS). La même inquiétude, on la retrouve à travers l’interview que ce général soudanais a donnée à un média israélien. Nous verrons plus loin l’importance géostratégique du Soudan dans une région que les Etats-Unis et Israël ne veulent pas y voir les Russes et les Chinois s’installer. Les Etats-Unis et Israël ont réussi, il y a déjà des années, à diviser cet immense pays en deux Soudan, le Nord et le Sud. Il y a une forte probabilité que ça ne soit pas suffisant pour rassasier ces deux Etats qui cherchent à diviser cette fois le nord Soudan ou à le mettre sous leur botte. «Normal», ce pays est une fenêtre sur la mer Rouge et le Golfe. Israël et les Etats-Unis essaient donc de faire partir la Russie qui possède une base navale et la Chine une escale pour sa fameuse Route de la soie…
Mais revenons aux nouvelles relations Iran-Arabie dont les futures retombées vont venir renforcer la présence maritime de la Russie et de la Chine mais, surtout, élargir la marge de manœuvre de l’Arabie et garantir sa sécurité. Les retrouvailles entre l’Iran et l’Arabie ont été facilitées par des accords qu’ils ont signés chacun de son côté avec la Russie et la Chine. Retrouvailles et accords entre ces pays ont fait bouger les plaques tectoniques de la géopolitique de la région. Des accords entre ces pays étaient difficiles, sinon impensables hier. Impensables hier mais nécessaires aujourd’hui pour que demain surgisse un nouvel ordre international souhaité par la Russie, la Chine, l’Iran et l’Arabie quand bien même ce dernier pays continuerait d’entretenir de bonnes relations avec l’Occident. Cet Occident qui doit tant à l’Orient n’a pas vu venir ces pays avec leurs revendications d’un nécessaire nouvel ordre. Pourtant, ces revendications ont été exprimées devant l’auguste Assemblée générale de l’ONU. Ces pays organisés en un groupe des Non-Alignés né en 1955 à Bandung (Indonésie) avaient ainsi exposé par la voix du président algérien en 1974 à l’ONU le besoin de pays de nouveaux rapports dans l’arène internationale. Voilà pour l’histoire, non déplaise à cet Occident qui fêtait alors «la fin de l’Histoire» pour s’autoproclamer, sans rougir, qu’il était le statut du commandeur devant l’éternité…
La roue de l’histoire tournant, voilà «notre» Occident exprimer sa surprise/dépit en croisant sur «sa route» la Russie et la Chine qui, ayant emprunté des chemins de traverse, surgirent après leurs grandes révolutions sur la scène internationale. Ne restait à l’Amérique de l’Oncle Sam, ayant encore de beaux restes de puissance et d’abondance, de prendre en compte ces nouveaux empêcheurs de dormir tranquille, la Russie et la Chine. L’Oncle Sam tenta de diviser ces deux pays liés par la géographie et l’histoire. Cette tentative de répéter pareille audace avec la guerre en Ukraine s’est traduite par un échec total. Le voyage historique du président chinois Xi Jinping à Moscou, fin mars 2023, a tué dans l’œuf les illusions américaines. Cette visite a été analysée, à sa juste valeur, comme un tournant politico-diplomatique qui allait produire des effets immédiats. L’Oncle Sam, en colère et par dépit, lâcha ses cerbères de la propagande qui tentèrent de qualifier les liens entre la Russie et la Chine de rapport de vassal à suzerain. Peine perdue, les loups de la désinformation ont beau hurler, la caravane continue sa route. Et cette réussite a été possible grâce à la philosophie de ce nouvel ordre international, à l’évidence, plus attractive que celle de la force brute du bâton du gendarme du monde. Cependant, l’apport de la Russie et de la Chine dans les retrouvailles entre l’Iran et l’Arabie ne doit pas effacer les efforts à faire de la part de l’Iran et l’Arabie qui ont hérité de lourds contentieux qu’il leur faut, de nos jours, surmonter et enjamber. Un mot donc sur ces deux pays voisins avant de s’attarder sur les conséquences politiques, militaires, stratégiques et économiques de la reprise de leurs relations diplomatiques. Contrairement à ce que veulent nous faire croire les «experts» biberonnés aux délices des écoles des «sciences politiques», les tensions entre l’Iran et l’Arabie sont de nature politique héritées de l’Histoire. Les différends théologiques sur l’islam, eux aussi hérités de l’histoire, pèsent moins lourds de nos jours. Leur rôle et fonction idéologiques ont baissé pavillon devant les réalités politiques, boussole de tout stratège qui fixe le cap des intérêts généraux et de sécurité de son pays. Après avoir réfléchi, confronté leurs litiges et les nécessités de s’adapter aux réalités géostratégiques, ils ont pris conscience du danger de la présence étrangère dans leur région. L’Iran sous sanction, les Etats-Unis et Israël ne cachent pas leur objectif commun de le neutraliser, en lui d’interdisant de construire une industrie nucléaire, même civile. Israël et les Etats-Unis laissent la porte ouverte à leur entreprise aventureuse tout en réfléchissant par deux fois car l’Iran ne va pas riposter avec des balles ou missiles à blanc.
Quant à l’Arabie, elle a pris conscience que sa sécurité n’est plus garantie par la 5e flotte américaine. Notons les pressions exercées sur elle pour reconnaître l’Etat d’Israël, un geste politique qui risque de la couper du monde musulman. A ces facteurs politiques, il faut aussi tenir compte aussi du côté du prince MBS du poids de l’humiliation de l’arrogance américaine à la suite de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. En vérité, c’est son échec au Yémen, en Syrie et au Liban qui la fait revenir aux dures réalités politiques et stratégiques de la région. Il faut dire aussi que sa réconciliation avec l’Iran ne lui apporte pas de simples avantages commerciaux évalués par Wall Street mais obéissent à un jeu comparable à celui des Echecs où les cartes n’ont pas la même valeur militaire et stratégique. Et cette complexité a été tissée par l’histoire et les contradictions engendrées par celle-ci. A commencer par l’histoire de l’effondrement de l’empire ottoman qui laissa la place aux insatiables anglo-américains, à la colonisation de la Palestine. Avec le temps qui passe qui a horreur de faire du surplace, on a vu apparaître d’autres acteurs, l’Iran qui est chez lui au Moyen-Orient, la Russie qui a des frontières avec cette région et la Chine dont le statut de grande puissance économique l’ont poussée à être présente dans la région pour son approvisionnement en pétrole/gaz et pour commercer à travers sa Route de la soie. Ainsi, la 5e flotte américaine n’est plus seule à parader dans le Golfe, l’Iran est là et tient en respect quiconque s’approche de ses côtes. Quant à la Russie, sa base navale à Tartous, en Syrie, la relie à celle de Sébastopol (1) en mer Noire et à celle du Soudan. La Chine a aussi une base en face la mer Rouge citée plus haut. En aidant à la réconciliation de l’Arabie et l’Iran, elle devient un acteur de poids dans le Moyen-Orient, bénéficiant de son statut de bon client (pétrole) et de fournisseur (marchandises courantes et sophistiquées), le tout payé en yuan qui permet de se passer du dollar encombrant.
Pour toutes ces raisons, l’Occident est pris de panique. Voyons pourquoi. Les trois pays, Russie, Arabie, Iran, grands producteurs de pétrole, et la Chine, puissance économique, font de ce quarteron de vendeurs et de clients une force de frappe sur le marché mondial. Le dollar risque ainsi de subir des attaques «silencieuses» de beaucoup de pays qui tournent le dos au dollar. Cette dédollarisation de la monnaie américaine rappelle la fin de la parité or/dollar en 1971 qui ouvrit les portes des malheurs du monde. Cette fin de parité avait permis aux Etats-Unis de payer des guerres par le biais de la seule imprimerie au monde dont ils étaient les seuls propriétaires habilités à faire tourner la planche à billets des dollars. L’Oncle Sam est évidemment conscient du danger avec la venue de ces BRICS qui séduit de plus en plus de pays. Ceux qui analysent l’état des forces économiques en présence sur le marché mondial n’exagèrent point en pronostiquant quelques problèmes aux Etats-Unis dans leur circuit bancaire, dominé encore par le dollar, mais jusqu’à quand ? Ils viennent de recevoir l’«appui» de Trump qui vient de déclarer que «l’abandon du dollar américain par la Chine signifierait pour l’Amérique la perte d’une guerre mondiale». En bon homme d’affaires, il s’y connaît en matière de bizness.
En conclusion, si le rétablissement des relations Iran-Arabie a été qualifié d’exploit diplomatique de la Chine et de sévère échec d’Israël et des Etats-Unis, c’est parce que le Moyen-Orient voit son architecture politique et militaire chamboulée. Ce bouleversement est une séquence d’une scène du théâtre de la guerre qui se joue déjà en Ukraine et demain dans le détroit entre la Chine continentale et son île Taïwan. L’enjeu de ce théâtre, c’est l’émergence d’un nouvel ordre international sur les ruines de ce droit international qui est rendu et appliqué selon le bon vouloir de ceux qui tiennent les manettes des banques et du commerce international mais possèdent aussi des bases militaires aux quatre points cardinaux de la planète. Cette réalité est normale pour les perroquets des médias qui polluent les esprits des gens. Ainsi, pour les serfs des temps modernes, il est, en revanche, anormal que la Russie préside le Conseil de sécurité de l’ONU. Que dire devant tant de servilité quand on a la trouille de se trouver au chômage pour oublier de signaler que l’Américain Bush ou l’Anglais Blair se vantent d’avoir rasé des pays comme l’Iran et la Libye ? Que dire à ce genre d’individus qui ne croient qu’en la fiction du droit international qui est le symbole des deux poids, deux mesures ? Leur rappeler que cette fiction a été théorisée par Jean-Paul Sartre, un grand philosophe, que BHL, l’inventeur et pratiquant du droit d’ingérence, a descendu en flammes en lui préférant Albert Camus qui a choisi sa mère à la justice. C’est ce choix entre les lumières d’un grand philosophe et les ténèbres d’un philosophe de classe terminale (2), qui a séduit nos «experts» et perroquets. Mais les peuples dans le monde ont fait leur choix, celui d’un monde multipolaire où les notions de respect, de solidarité, de coopération entre pays déclasseront ceux de la force brute et de l’arrogance, maladie infantile d’un monde fatigué par ses propres turpitudes.
A. A.
1- Sébastopol est une grande base navale russe en mer Noire. Zelensky rêve de la conquérir pour l’offrir à l’Oncle Sam qui pourra ainsi ravir aux Russes l’accès en Méditerranée et donc à leur base navale de Tartous, en Syrie. L’offrir en contrepartie des milliards de dollars qui financent sa guerre.
2- Philosophe de classe terminale est le quolibet que Sartre a collé à Albert Camus pour ses essais comme L’homme révolté.
Comment (20)