La nation algérienne et Tamazgha
Une contribution de Ramdane Hakem – Des voix s’élèvent pour s’attaquer à la revendication de Tamazgha en l’opposant à la nécessaire consolidation de l’Etat national algérien. Voici deux raisons, intimement liées, pour lesquelles je pense que Tamazgha comme projet doit constituer un des axes de toute volonté conséquente d’émancipation en Algérie :
La première est que nous vivons dans un monde d’interdépendance économique qui offre, certes, des opportunités mais qui est aussi régi par le darwinisme économique mettant en concurrence mortelle des géants et des nains. La mondialisation est un «jeu» dans lequel les puissants sont toujours gagnants, et nous toujours perdants.
J’ai fait un petit calcul : si l’on rassemble l’économie de tous les pays de l’antique Tamazgha, notre capacité à créer des richesses (la somme de nos valeurs ajoutées ou produit intérieur brut) est inférieure à 12% de celle de la France. Autant dire que notre poids économique vu du point de vue global est dérisoire. Or, la France a compris depuis plus de trente ans qu’elle n’a pas la taille nécessaire pour résister aux vents de la mondialisation ; c’est la raison pour laquelle elle s’unit avec 26 autres pays européens pour former un ensemble protégé de la concurrence internationale. Alors, on a beau bomber le torse et se frotter le nombril, seuls nous ne pourrons pas répondre aux aspirations légitimes de nos populations à plus de bien-être et donc à maintenir la cohésion du pays à terme. Il ne faut pas s’y méprendre, l’Algérie tient, c’est une condition devenue nécessaire mais pas suffisante, parce que nous mettons des ressources naturelles, acquises par le sang de centaines de milliers des meilleurs enfants du pays, à la disposition des multinationales capitalistes. Qu’en sera-t-il demain ?
Seconde raison : à y regarder de plus près, l’Union européenne est construite pour répondre à des problèmes économiques et sociaux, mais elle s’est construite à partir, avant tout, d’une base culturelle ; la Turquie, qui appartient à une aire civilisationnelle autre, frappe à la porte de l’Europe depuis tant d’années en vain, et elle ne sera jamais admise. Dans le même ordre d’idées, le monde anglo-saxon forme un ensemble encore plus uni, comprenant non seulement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais également des pays aussi éloignés que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La Chine et l’Inde sont autant de continents enracinés chacun dans une identité centrale millénaire. La Russie ne fait pas la guerre pour nos beaux yeux, même si nous pouvons en récolter quelques bénéfices ; elle la fait pour protéger l’existence, au-delà des frontières, de l’identité russe, de la culture russe, gage de puissance et de prospérité économique et sociale.
Les Etats, les nations, sans racines culturelles effectives (pas inventées de toutes pièces) plongeant dans les profondeurs de leur propre histoire ne sauront résister aux vicissitudes de la mondialisation.
L’actualité dramatique à toutes nos frontières montre à quel point Tamazgha est la profondeur stratégique de l’Algérie. L’Etat algérien prend progressivement conscience que ce qui se passe en Tunisie, en Libye, au Niger, au Mali, en Mauritanie, au Sahara Occidental, au Maroc même, a des conséquences potentiellement dramatiques sur notre propre avenir. Nous sommes liés à ces pays non pas par des frontières communes, mais par des racines culturelles identitaires encore en partie largement enfouies et qu’il faut déterrer. Ceux qui ont nié ces racines (anthropologiques, pas ethniques) de notre identité collective et ont cherché à nous fondre dans un magma arabe inconsistant sont responsables de fractures dans le corps de la nation qu’il sera difficile d’effacer.
Rassembler les pays de Tamazgha dans le cadre d’un grand élan de modernisation progressiste est un horizon historique réaliste. Cet ensemble ancré dans l’anthropologie de la région ne se suffira pas en lui-même, il est appelé à consolider les liens qui nous unissent à l’Afrique, l’Europe et le monde arabo-musulman. Opposer le projet de Tamazgha à notre appartenance à l’aire civilisationnelle arabo-musulmane relève du chauvinisme étroit d’essence arabo-islamiste ou d’essence berbériste, tous deux éloignés de l’intérêt bien compris de nos populations.
Travailler à l’édification d’une entité politique sur l’aire de l’antique Tamazgha ne signifie pas, non plus, que les nations de l’Afrique du Nord vont disparaître. Certes, ceux qui prônent une Afrique du Nord des régions veulent, inconsciemment je l’espère, nous conduire à une sorte de balkanisation dont nos populations ont longtemps souffert au cours de leur longue histoire ; n’en profiteraient que les grandes puissances qui se joueront, comme elles le font déjà, de nos rivalités intestines. Non, l’avenir de chacune des nations nord-africaines dépendra de notre capacité commune à édifier une zone de prospérité partagée qui garantisse à tous la concorde et la sécurité. Dans ce cadre, l’Algérie nation centrale de Tamazgha, a le potentiel pour s’affirmer comme étant le cœur battant de cet ensemble (qui comprendra également les peuples frères du Mali et du Niger) et dont le centre de gravité ne sera pas sur la Méditerranée, mais quelque part dans notre Grand Sahara auquel, il faudra bien l’admettre un jour, nous appartenons.
R. H.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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