Les Comoriens sont plus chez eux à Mayotte que les colonisateurs français !
Une contribution de Khider Mesloub – A Mayotte, depuis quelques jours, pour rétablir l’ordre colonial, le gouvernement et le ministère de l’Intérieur français ont dépêché des renforts de gendarmes et de policiers mobiles pour accroître la répression sur l’île, multiplier les expulsions des Comoriens, considérés indûment comme étrangers par les autorités coloniales françaises. Ces opérations de répression policières contre les Comoriens sont complétées, depuis plusieurs mois, par de fréquentes chasses aux «étrangers» organisées par des collectifs d’individus «mahorais». Ces collectifs se livrent à des exactions contre les Comoriens, à la destruction de leurs habitations précaires. Ces derniers mois, ces agissements se sont multipliés. Probablement encouragés par le laxisme des autorités coloniales françaises. Et, surtout, par les élites mahoraises qui alimentent un climat de xénophobie envers les Comoriens.
Ainsi, face à la population soi-disant «immigrée» comorienne établie à Mayotte, le gouvernement colonial français choisit la manière forte, c’est-à-dire la répression et l’expulsion. Selon plusieurs sources, dimanche 23 avril, les policiers auraient fait usage de leur arsenal de guerre à Mayotte avec des tirs à balles réelles face à des jeunes de quartiers informels. Le lendemain 24 avril, le premier vice-président du département de Mayotte, Salime Mdéré, n’a pas hésité, sur un plateau télévision, lors d’une émission diffusée en direct sur une chaîne locale «française», à lancer un appel au meurtre contre des jeunes «immigrés» : «Je refuse de les appeler des gamins, ce sont des délinquants, des terroristes, des voyous. A un moment donné, il faut peut-être en tuer… Je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer pour qu’ils ne puissent pas…» Le journal Le Monde rapporte que pour leur premier jour d’opération militaire coloniale, «ce ne sont pas moins de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement, 60 tirs de LBD et surtout 12 tirs à balles réelles de pistolets automatiques qui ont été utilisés contre des jeunes d’un quartier de Tsoundzou».
Prétendument 101e département français, Mayotte est en proie à la chasse aux «clandestins» menée par des hordes de policiers et de gendarmes français dépêchés depuis la métropole. En effet, quelque 1 800 policiers et gendarmes, dont plusieurs centaines venues de métropole, ont été déployés ces dernières semaines à Mayotte pour une opération baptisée «Wuambushu». Selon plusieurs associations humanitaires, c’est une opération ouvertement xénophobe et raciste. Pour information, l’opération «Wuambushu», commanditée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a pour mission la déportation massive de près de 24 000 «immigrés», principalement des Comoriens, ainsi que la destruction d’une partie de l’habitat informel de l’île. L’opération est censée durer près de deux mois, durant lesquels 400 expulsions par jour sont prévues.
En tout cas, l’opération «Wuambushu» menée à Mayotte est une abomination politique, doublée d’une infraction criminelle du droit international. Imposant sa souveraineté sur Mayotte en violation flagrante des résolutions de l’ONU, la France impérialiste monte cette opération spectaculaire d’expulsion massive d’habitants au motif qu’ils seraient étrangers, alors même qu’ils appartiennent au même peuple autochtone. Au vrai, les habitants de l’archipel, notamment les Comoriens, sont plus légitimement chez eux à Mayotte que les colons français.
L’opération «Wuambushu» n’est pas seulement une intervention policière brutale, mais une véritable opération militaire. Sa motivation principale vise la stabilisation de l’île de Mayotte, pièce maîtresse des intérêts de l’impérialisme français dans l’Océan Indien. Implantée dans une région centrale de l’Océan Indien et au nord du Canal du Mozambique, l’île de Mayotte constitue un enjeu militaire pour l’impérialisme français et un poste avancé de sa domination dans la région. De là s’explique l’enjeu pour l’Etat impérialiste français, non pas de procéder au développement économique de Mayotte ou d’assurer la prospérité de la population autochtone, mais plutôt de préserver par la force et les armes une certaine stabilité sociale, malmenée par l’explosion de l’insécurité et la violence, provoquée par la situation extrêmement critique sur le plan social et économique.
Toutefois, l’opération connaît son premier revers. Mardi 26 avril, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a suspendu l’opération d’évacuation et de destruction d’un bidonville, prévue le jour même. Un camouflet pour le gouvernement Macron pour sa politique xénophobe et de déportation. En outre, les autorités comoriennes, qui revendiquent la souveraineté de Mayotte, ont refoulé l’accostage de bateaux de ressortissants expulsés. Qui plus est, la compagnie maritime comorienne qui assure les liaisons entre les deux îles a annoncé «suspendre les rotations jusqu’à nouvel ordre, compte tenu du contexte actuel». Un blocage qui empêche l’expulsion.
Il est utile de rappeler que les quatre îles formant l’archipel des Comores ont une géographie et une grande partie de leur peuplement en commun. Autrement dit, ces populations forment un même et seul peuple. Les Mahorais sont des Comoriens. L’appellation même de Mahorais, en tant qu’entité autonome, a été créée par la France coloniale.
Et l’Assemblée générale des Nations unies, de 1975 à 1995, a toujours affirmé la souveraineté de la République fédérale des Comores sur l’île de Mayotte, petite île de 375 km2. Cependant, depuis les années 1990, sous l’instigation de la France (dont les services secrets ont joué un rôle décisif dans les multiples coups d’Etat successifs, fomentés par Bob Denard et ses sbires, entraînant la désagrégation du pouvoir comorien), l’ONU a tempéré ses exigences à l’égard de la puissance occupante (la France). Néanmoins, la souveraineté française sur Mayotte n’a jamais été explicitement reconnue au plan international. En dépit de cette non-reconnaissance, la France a procédé à la partition de l’archipel, induisant des restrictions à la circulation entre les îles depuis les années 1990.
Globalement, Mayotte conserve encore sa structure sociale néocoloniale, caractérisée par des inégalités sociales entre la population autochtone et les expatriés métropolitains («Français de souche»), et par d’innombrables ségrégations. En effet, les populations indigènes, victimes de discrimination, survivent dans une misère effroyable, enrôlées au service des catégories sociales privilégiées «blanches» venues de la métropole (exploitants agricoles, hauts fonctionnaires, commerçants, etc.). Pour occulter la dimension coloniale de l’occupation française, quelques «supplétifs», élus locaux noirs, servent de paravent ethnique à l’administration locale. Ces supplétifs mahorais remplissent leurs fonctions administratives au service de la France coloniale.
Cela étant, dans ce territoire occupé, dépourvu d’infrastructures industrielles, frappé par un chômage endémique, la principale activité des expatriés métropolitains officiels français, notamment les forces de l’ordre, se cantonne à traquer les «clandestins» comoriens, qui affluent à bord d’embarcations de fortune depuis les îles limitrophes. Les policiers français, venus tous de métropole, secondés par des radars et quelques hélicoptères, effectuent régulièrement des opérations musclées dans les bidonvilles pour rafler les populations comoriennes afin de les déporter vers des centres de rétention en vue de leur «reconduite à la frontière». En tout cas, la brutalité de ces expulsions choque profondément les Mahorais. Car ils ont de nombreux liens de parenté avec les habitants de l’ensemble de l’archipel des Comores.
Par ailleurs, en raison du sous-développement de Mayotte, dont la population, livrée à elle-même, sans perspective d’intégration économique, l’île est en proie à un chômage endémique. Quoique «département français», Mayotte, comparée aux départements de la métropole, demeure un territoire dans lequel 80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, 34% sont au chômage. Régulièrement, éclatent des émeutes contre la cherté de la vie. Mayotte est fréquemment le théâtre de révoltes sociales contre la misère et le chômage.
L’île connaît une insécurité quotidienne périlleuse et des flambées de violences récurrentes. Cette insécurité est attribuée à la population venue des trois autres îles voisines, population considérée indûment par les autorités coloniales françaises comme «étrangère», «clandestine», alors qu’elle fait partie du même peuple autochtone. Aussi, pour dévoyer le mécontentement social, l’Etat français orchestre des campagnes idéologiques ségrégationnistes contre les «migrants» comoriens, jetés à la vindicte populaire. Organisent des opérations policières contre les habitations de fortune de ces «migrants» comoriens, parqués dans des bidonvilles.
Pire. Pour empêcher les habitants des îles voisines de se déplacer vers Mayotte, île où résident des membres de leur famille, la France accorde d’importantes aides financières au régime comorien, en contrepartie d’une lutte contre le départ de ressortissants vers Mayotte. Comme si, demain, on interdisait aux Bretons ou aux Normands de se rendre dans les autres villes de France, au motif d’une nouvelle loi injuste et illégale édictée par le gouvernement français.
En dépit de ces mesures restrictives à la circulation, la force des liens familiaux et économiques multiséculaires entre les habitants de cet archipel est tellement forte que ni l’absence de visa, ni les poursuites en mer n’entravent les communications, ne freinent les «migrations naturelles» ancestrales. Les médias français se font fréquemment l’écho des noyades des réfugiés africains et maghrébins en Méditerranée. Or, en raison de la militarisation des côtes mahoraises et du quadrillage policier de la mer, les soixante-dix kilomètres séparant l’île d’Anjouan de celle de Mayotte sont devenus un véritable cimetière marin, où des milliers de personnes y auraient été englouties ces dernières années pour avoir tenté d’échapper à l’interception de leurs embarcations de fortune.
Par ailleurs, preuve du caractère colonial de Mayotte, pourtant département français : l’île manque cruellement d’infrastructures. Les services hospitaliers sont insuffisants pour soigner la population. Dans les établissements scolaires les salles de classe sont surchargées. Pire : les structures sanitaires, rares, sont comparables à celles des pays sous-développés. Du fait de l’extrême pauvreté des élèves, ils sont incapables de suivre une scolarité normale, d’être réceptifs à l’instruction scolaire.
Certes Mayotte manque cruellement d’infrastructures industrielles, sanitaires, éducatives et culturelles. De nombreux secteurs sont délaissés. Mais exception faite de la gendarmerie et de la police. Ces deux «secteurs» cinétiques sont dotés d’abondants moyens répressifs, de matériels sophistiqués pour traquer les frêles embarcations empruntées par les habitants de l’archipel pour échapper à la misère de leur île encore plus pauvre que Mayotte. Au cours de ces dernières années, les effectifs de la police et de la gendarmerie ont presque triplé. L’objectif de ces forces de police françaises, épaulées par des radars et des vedettes, est d’entraver la circulation des habitants des autres îles, interdits de séjour dans Mayotte, une île qu’ils considèrent comme la leur. Il est vrai, historiquement, comme nous l’avons rappelé plus haut, les habitants de l’archipel, notamment les Comoriens sont plus chez eux à Mayotte que les colons français.
Quoi qu’il en soit, selon le droit international, Mayotte n’appartient absolument pas à la France. Aussi ses lois ne s’appliquent-elles pas aux populations autochtones colonisées. Eu égard aux résolutions de l’ONU, s’il y a bien des hors-la-loi à Mayotte, ce sont les Français colonisateurs.
Mayotte est un territoire occupé par la France. Mayotte est le Polisario de l’Océan Indien. Et l’Etat français le Makhzen de l’archipel des Comores. Pire. L’Etat colonial français condamne l’occupation de la Crimée et du Donbass par la Russie, deux régions pourtant historiquement russes, mais elle feint oublier son occupation illégale de Mayotte, une île située à 8 000 km de Paris. Pourquoi l’Europe et les Etats-Unis ne condamnent-ils pas la colonisation de Mayotte ? N’édictent-ils pas des sanctions contre la France ? N’envoient-ils pas une force armée pour libérer Mayotte ?
Par ailleurs, la France porte une responsabilité coloniale historique dans le sous-développement du sud-ouest de l’Océan Indien et tout particulièrement de l’Archipel des Comores. La misère de l’archipel, alimentée par la politique françafricaine, a favorisé des flux migratoires qui, par ailleurs, ont toujours existé entre les différentes îles, notamment entre Mayotte et Anjouan. Une chose est sûre : ce ne sont ni les Comoriens, ni les jeunes qui sont responsables de la misère sociale de l’île, mais l’Etat français.
Ironie de l’histoire, l’Etat impérialiste français promettait aux Comoriens de Mayotte, baptisés Mahorais, de transformer leur île en eldorado. Or, aujourd’hui, Mayotte est devenue une immense favela, disposant d’un revenu par habitant équivalent à certains pays sous-développés. Pire, une île dévorée par l’insécurité. Face aux difficultés économiques et sociales, la délinquance et la criminalité flambent. Mayotte est devenue une «poudrière, une bombe à retardement, c’est un Titanic à la dérive». Et pour cause. La France coloniale n’a jamais développé cette île occupée illégalement.
Depuis le début de la conquête, pour l’Etat impérialiste français, de tout temps indifférent au sort des populations autochtones, cet archipel de l’Océan Indien n’a pas d’autre intérêt que sa situation géostratégique sur la route maritime de l’Est africain. C’est un axe majeur du commerce mondial. Sans nul doute, cette opération militaro-policière à Mayotte rappelle étrangement les sinistres opérations de pacification menées par l’armée coloniale française en Algérie.
Aussi, d’aucuns, plaidant la cause de l’ensemble des populations de l’archipel, réclament l’abrogation du meurtrier «visa Balladur», le respect du droit à la circulation au sein de l’archipel des Comores, voire la fin de l’occupation coloniale de Mayotte par la France, donc le retrait immédiat des troupes françaises de l’Océan Indien et d’Afrique.
K. M.
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