Le tournant totalitaire de la France
Une contribution de Khider Mesloub – S’il fallait une énième preuve de la nature dictatoriale de la démocratie bourgeoise, elle nous est administrée par la France. Plus que jamais, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital. Si en période de «paix sociale», la classe dominante française arbore sereinement le masque hypocrite de la respectabilité «démocratique», en période d’agitations sociales radicalement revendicatives, la même classe dominante, apeurée, dévoile belliqueusement son véritable visage hideux. Toute sa coutumière phraséologie libérale sur le droit de grève, de manifestation, de circulation, en un mot, le respect des droits de l’Homme, se métamorphose en son contraire. La répression devient son mode de gouvernance. L’intimidation, sa méthode de gestion barbouzienne. La calomnie, son moyen de communication médiatique. L’incarcération, sa technique de bannissement politique.
En France, à la faveur de la crise sanitaire politiquement instrumentalisée, gérée de manière sécuritaire, et de la crise économique systémique induisant l’instauration de mesures sociales (hyperinflation) et politiques (restrictions et répressions policières) arbitraires, ce tournant totalitaire prend chaque jour de l’ampleur.
De toute évidence, la France a basculé de la démocratie formelle au despotisme réel. En effet, en France on assiste à la fin de la démocratie bourgeoise, à l’extinction du Parlement, au piétinement des droits, à la destruction des contre-pouvoirs. Car, dorénavant, les lois et les mesures despotiques sont dictées directement par le pouvoir exécutif, sans être ratifiées par le Parlement, comme la loi de la réforme des retraites vient de l’illustrer.
A l’instar de l’ensemble des pays occidentaux, la France se singularise dorénavant par la militarisation de sa société, la mutilation des droits sociaux des travailleurs, la gouvernance par la terreur. Pis. Elle s’apprête à étriller la vétuste Constitution, les libérales règles politiques et les lois sociales protectrices, devenues des entraves à la nouvelle gouvernance despotique dictée par la situation de crise économique systémique (vectrice de menaces d’explosions sociales), et la marche forcée vers la guerre généralisée.
De même, en France on assiste à la fin de la souveraineté du pouvoir judiciaire dorénavant dépouillé de son apparente et illusoire indépendance, à la mort de la liberté d’expression et de la presse, illustrée par la disparition des fonctions de contrepoids correctif démocratiques défendues par des instances de régulation libres, menacées de disparition car encombrantes en période de guerre de classe et de conflit armé.
Pareillement, les instances de moralisation de la politique et de lutte contre la corruption, devenues gênantes en cette nouvelle ère de militarisation de la société et des préparatifs guerriers, sont menacées de disparition, soit par la suppression de leur agrément ou la cessation de leurs subventions. Parmi les associations qui subissent les foudres et des attaques du gouvernement Macron, Anticor (une association anticorruption), à laquelle l’Etat vient de retirer l’agrément.
En effet, le tribunal administratif de Paris, autrement dit l’Etat, vient d’annuler l’agrément ministériel qui permet à Anticor de porter en justice les affaires de corruption et de se constituer partie civile.
Avec cette décision jugée arbitraire par Anticor, l’association de lutte contre la corruption perd la possibilité de porter plainte au nom de l’intérêt général. Dans un tweet, Anticor dénonce «une atteinte grave à la démocratie, ainsi qu’aux libertés associatives». A peine la décision du tribunal administratif rendue, la présidente d’Anticor n’a pas mâché ses mots : «La justice a capitulé devant la corruption», a-t-elle déclaré ce 23 juin.
Pour sa part, Patrick Lefas, président de Transparency International France et président de chambre honoraire à la Cour des comptes, y voit une décision politique : «Quand on met bout à bout des décisions visant des associations, on peut s’interroger : est-on encore dans une démocratie libérale ?» s’est-il interrogé. Le président de Transparency International France, après avoir pointé du doigt le «signal très négatif» lancé en matière de lutte contre la corruption, redoute que «les personnes mises en cause aillent pointer un vice dans la procédure. Notamment dans l’affaire Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée depuis mai 2017, bras droit de Macron, mis en examen pour «prise illégale d’intérêts» en septembre 2022, après deux plaintes déposées par Anticor.
Cela étant, depuis 2002, cet agrément permettait à l’Anticor d’agir en justice. Une chose est sûre, cette décision pourrait avoir des conséquences sur plusieurs dossiers politico-financiers sensibles en cours. En effet, la surprenante rétroactivité du retrait d’agrément pourrait poser problème sur plus de 150 procédures pénales actuellement diligentées par Anticor.
Comme Elise Van Beneden, la présidente de l’association, l’avait déclaré avant la décision du tribunal administratif : «L’annulation de l’agrément de l’association Anticor serait un coup porté à la lutte contre la corruption et donc à notre démocratie.» Pour Mme Van Beneden, «ce serait prendre le risque de restreindre la capacité de la société civile à agir en justice contre la corruption, dans un contexte où les affaires politico-financières s’accumulent et les libertés associatives reculent». «De nombreuses affaires en cours, au plus haut niveau, pourraient être menacées si Anticor perdait sa capacité à se porter partie civile au nom de tous les Français», avait-elle alerté. Notamment l’affaire Alexis Kohler.
L’avocat d’Anticor dans ce dossier, Me Vincent Brengarth, avait dénoncé une procédure «abusive, infondée, un non-sens, en ce qu’il risque d’empêcher le combat de l’association contre la corruption».
Selon le journal Le Figaro, «dans certains dossiers récents où les poursuites ont été déclenchées par une plainte d’Anticor, comme le dossier des relations entre l’ex-ministre Sylvie Goulard et l’institut américain Berggruen, la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric ou les contrats russes d’Alexandre Benalla, c’est la procédure entière qui risque l’annulation».
Avec ce tournant totalitaire, la mise au pas de la société et des instances de contre-pouvoirs, notamment des organisations de «moralisation de la vie politique», il s’agit ni plus ni moins que d’un retour au régime absolu d’avant la «Révolution française», d’une volonté de démantèlement de toutes les règles de gouvernement démocratiques bourgeoises, devenues inopérantes pour contenir la guerre de classes en fermentation, encombrantes pour entraîner le peuple récalcitrant vers les conflits armés permanents.
Une chose est sûre : cela dévoile le caractère illusoire de la démocratie bourgeoise française. En effet, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital. Dans l’histoire de l’Occident, donc de la France, démocratie et dictature, deux modes de régulation politique siamois au sein du même mode production capitaliste, se succèdent alternativement au sein du même Etat, au gré des conjonctures économiques et sociales mais, surtout, de l’assoupissement ou de l’exacerbation de la lutte des classes.
K. M
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