En France le refus d’obtempérer est puni de la peine de mort policière
Une contribution de Khider Mesloub – On se souvient que la réélection d’Emmanuel Macron en France fut sacrée et sabrée, non au son des clameurs des foules, royalement indifférentes au succès électoral du candidat de la finance, mais des sifflements de balles réelles tirées, en plein centre de Paris, par un policier contre trois passagers d’une voiture. Bilan : deux morts et un blessé grave.
Ainsi, l’inauguration du second mandat du locataire de l’Elysée, au premier mandat marqué par une politique répressive de tous les mouvements sociaux, notamment des Gilets jaunes, s’amorça-t-il sous les violentes rafales des balles meurtrières policières. Manière tonitruante et, surtout tuante, de rappeler au peuple le caractère politiquement truand des méthodes gouvernementales des squatters de l’Elysée, foncièrement répressif du régime oligarchique macronien. De notifier l’infléchissement belliqueux imprimé à la nouvelle gouvernance, illustrée par la participation de l’Etat français impérialiste à l’escalade des tensions armées en Ukraine, première ébauche de la guerre mondiale en préparation, pleinement assumée par le va-t-en-guerre Macron. Une chose est sûre, la France ne bascule pas du «démocratisme» à l’autoritarisme. Mais de l’autoritarisme bienveillant au totalitarisme tonitruant (tuant). Car la France a basculé de la prospérité économique à l’indigence économique.
Pour rappel, au cours de l’année 2022, 13 personnes ont été tuées dans le cadre de contrôles routiers après des refus d’obtempérer. Un record. Dernière personne tuée lors d’un simple contrôle routier suivi d’un refus d’obtempérer, un jeune lycéen âgé de 17 ans. Naël C. a été tué par un policier mardi 27 juin à Nanterre (Hauts-de-Seine) au volant de la voiture qu’il conduisait. «Ils ont tiré sur le cœur. Il n’a que 17 ans, mon petit-fils. C’est eux qui l’ont tué ! Il était lycéen et voulait faire de la mécanique», a témoigné la grand-mère de la victime.
Le policier a été placé en garde à vue pour «homicide volontaire», a indiqué le parquet de Nanterre. Par ailleurs, une seconde plainte pour «faux en écriture publique» sera déposée à l’encontre des policiers «qui ont affirmé que le jeune homme avait tenté de commettre un homicide sur leur personne en tentant de les percuter», ce qui, selon l’avocat de la famille, Yassine Bouzrou, est «formellement démenti» par le visionnage de deux vidéos.
«Tu vas te prendre une balle dans la tête» menace un policier avant d’abattre Naël
L’avocat Yassine Bouzrou a annoncé déposer plainte pour «homicide volontaire» contre le policier auteur du tir. «Son intention de donner la mort ne fait aucun doute puisqu’il résulte de la bande-son de la vidéo qu’il annonce avant son tir : je vais te mettre une balle dans la tête», a avancé Yassine Bouzrou. La plainte visera également, pour «complicité d’homicide volontaire», le second policier, «lequel semble faire injonction à son collègue de faire feu en disant shoote-le juste avant le tir», a ajouté l’avocat. Dans une interview diffusée sur une chaîne de télévision française, l’avocat Yassine Bouzrou a déclaré : «Le refus d’obtempérer est une infraction pénale punie par la loi, mais elle n’est pas punie par la peine de mort», exécutée sans autre forme de procès et séance tenante par la police, institution convertie en bourreau du peuple.
Dire que l’activité d’agent de force de l’ordre est appelée par euphémisme – ou cynisme – gardien de la paix. En effet, les policiers sont communément appelés gardiens de la paix. Nous dirions, pour notre part, plutôt gardiens de la guerre ou partisans de l’affrontement guerrier. Etant donné que la société est déchirée par une guerre de classe permanente, ces policiers, par leurs fonctions répressives affectées au service de la minoritaire classe dominante qui les rétribue, entretiennent et pérennisent cette guerre de classe. En vrai, de nos jours, en particulier en France, les policiers sont des soudards. Pour information, «soudard», mercenaire brutal et grossier, vient de «soudoyer», qui a fait «soldat» militaire qui reçoit une solde régulière. Historiquement, longtemps c’était un métier méprisé. Et comment peut-il en aller autrement ? Quoi de plus méprisable que de recevoir de l’argent pour violenter ou tuer des hommes (des adolescents) ? De surcroît, dans la majorité des pays développés capitalistes, les policiers sont devenus une véritable milice activant au service exclusif des puissants.
Après la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux, les réactions politiques se sont vite multipliées. Le maire de Nanterre, Patrick Jarry, a parlé d’«images accablantes». A gauche, on dénonce une «exécution sommaire». «Un refus d’obtempérer ne peut pas être une condamnation à mort. Pour personne. Jamais», a écrit sur Twitter la députée EE-LV Sandrine Rousseau. Pour sa part, Manuel Bompard, député LFI, a souligné que «la mort ne fait pas partie des sanctions prévues par le code pénal» pour un refus d’obtempérer. Pour son collègue, le député LFI Thomas Portes, «ici il s’agit d’une exécution sommaire par un policier sans que celui-ci soit en danger». «La police ne peut tirer qu’en cas d’absolue nécessité. Aucune vie ne semble pourtant en danger sur cette vidéo», a également pointé l’élu LFI du Nord David Guiraud. D’aucuns, notamment à gauche, parlent du permis de tuer, de la peine de mort appliquée par la police.
Evidemment, comme à l’accoutumée, en dépit des images accablantes, les médias stipendiés tentent d’atténuer la responsabilité du policier, sous couvert de la présomption d’innocence. Quant aux syndicats de la police, pour exonérer leur collègue, ils invoquent la légitime défense. Comme toujours, le récit policier cherche à invoquer la légitime défense, à criminaliser la victime pour justifier l’homicide.
Certains persistent à accréditer la fausse version initiale des deux policiers pourtant démentie par les vidéos, en affirmant que le jeune conducteur avait mis en danger leur collègue par son refus d’obtempérer. Aussi invoquent-ils la «présomption de légitime défense». Or, comme le dénoncent plusieurs avocats et associations de victimes de violences policières, cette revendication de présomption de légitime défense constitue ni plus ni moins qu’un «permis de tuer». Ils réclament l’abrogation de la loi L435-1 permettant l’élargissement de la légitime défense pour les policiers.
En tout état de cause, si la voiture était en infraction, quand bien même en délit de fuite, il suffisait aux policiers de relever le numéro d’immatriculation de la voiture pour pouvoir aisément et légalement retrouver ensuite le conducteur. A plus forte raison, quand bien même le policier pouvait user de son arme pour neutraliser le véhicule, logiquement, il devait viser les pneus. Et non directement le conducteur. Encore moins en braquant son arme sur le conducteur pour l’abattre à bout portant quasiment à l’arrêt.
Manifestement, selon l’avocat Yassine Bouzrou, le policier, en déchargeant sans sommation son pistolet sur Naël, a délibérément voulu le tuer.
«On a affaire à une exécution», estime pour sa part l’une des avocates de la famille du jeune conducteur tué, Maître Jennifer Cambla, interrogée sur BFMTV. «Ce n’est pas un langage juridique mais quand on abat quelqu’un sans raison valable avec cette brutalité j’imagine que c’est une exécution. Il le tenait en joue, il savait ce qu’il était en train de faire le policier, il ne pouvait pas être surpris. Ce n’est pas une sommation normale de menacer de tirer dans la tête de quelqu’un», a-t-elle ajouté.
La volonté de tuer est manifeste, comme le parquet de Nanterre l’a, du reste, retenu contre le policier, placé en garde à vue pour homicide volontaire. Pour autant, comme il est d’usage dans les affaires criminelles policières, le mis en cause sera remis probablement en liberté sous contrôle judiciaire, de surcroît sans interdiction d’exercer ses fonctions.
En France, depuis plusieurs décennies, comme ne cessent pas de le dénoncer de nombreux avocats et associations, tout se passe comme si l’abolition de la peine de mort au plan judiciaire a été remplacée par le permis de tuer accordé aux policiers. C’est ce qui s’appelle la justice meurtrière expéditive. Répétitive. Sans délibération. Ni condamnation. La justice du pistolet. Le verdict des balles guillotineuses. En particulier, quand il s’agit de jeunes issus de l’immigration. Au reste, apparemment, le jeune Naël abattu par le policier serait d’origine algérienne.
La France rythmée par les violences policières et les crimes policiers impunis
La France est ainsi, ces dernières décennies, rythmée par les violences policières et les crimes policiers. Dans cette période de crise multidimensionnelle et de délégitimation gouvernementale, marquée par l’exacerbation de la lutte des classes, l’Etat français protège et couvre de manière générale les policiers, son dernier rempart. La politique du gouvernement, en matière de répression, vise, quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte, l’absolution des violences policières systémiques, illustrée notamment par l’impunité dont bénéficient les policiers, auteurs d’exactions ou d’homicide.
Sans nul doute, ces dernières années, au nom de la «légitime défense d’Etat», initialement dans le cadre de la «lutte contre le terrorisme», puis de la gestion sécuritaire de la pandémie de Covid-19, on assiste à une extension significative des pouvoirs de la police. Cet accroissement exponentiel des pouvoirs de la police, symbolisé par le droit d’usage des armes, a été acté par l’adoption de la loi du 28 février 2017 autorisant les policiers à tirer, après sommation, sur des personnes en fuite. Comme le dénoncent de nombreux avocats et associations, il s’agit ni plus ni moins que d’un blanc-seing octroyé aux policiers. D’une forme déguisée d’absolution des crimes policiers.
De fait, historiquement, notamment en France et aux Etats-Unis, imprégnés par un racisme ethnique et social, la légitime défense, véritable meurtre dit défensif, fut toujours une cause d’irresponsabilité pénale accordée à certains individus au détriment d’autres, en vertu de leurs caractéristiques sociales ou statut professionnel supérieur ou étatique. Notamment aux policiers. Aux nantis, les hommes blancs des classes privilégiées, quand les victimes appartiennent aux classes défavorisées, particulièrement les populations issues de l’immigration, continuellement marginalisées, réprimées ou ostracisées. Ou accusées d’islamistes, voire de terroristes, quand elles sont de confession musulmane, pour légitimer leur répression – leur meurtre. Une cause d’irresponsabilité accordée également aux policiers en intervention, auteurs d’exactions comme d’homicide.
En France, dans les affaires de violences policières comme des crimes policiers, on assiste systématiquement à une inversion accusatoire. Les policiers, auteurs de meurtres, sont présentés comme les victimes et la ou les personnes tuées comme présumées coupables en raison de leurs dérisoires antécédents judiciaires de délinquance médiatiquement exhibés pour les stigmatiser, les anathématiser, les condamner. Aux yeux des médias comme de la justice, les victimes de violences policières et d’homicide sont jugées automatiquement comme violentes et délinquantes car «défavorablement connues des services de police», selon la formule médiatique consacrée. Donc, la présomption de culpabilité s’abat comme une chevrotine sur ces victimes doublement assassinées : la première fois par la police, la seconde fois par l’institution médiatique et judiciaire de la classe dominante.
Au reste, le mardi 27, BFM TV et Cnews se sont relayées toute la journée pour justifier la mort de Naël dans une surenchère rhétorique réactionnaire. Les journalistes n’ont pas cessé d’évoquer les «antécédents judiciaires» du jeune lycéen Naël pour l’accabler, justifier son «exécution». Comme si c’était un criminel en cavale. Or, il est connu des services de police pour uniquement conduite sans permis et refus d’obtempérer.
Or, le jeune homme, toujours lycéen, est décrit comme «un garçon adorable» par une voisine. «C’était une crème», a-t-elle confié au Parisien, précisant que Naël était le seul enfant de sa mère. En tout cas, la grand-mère de Naël ne décolère pas, et dénonce le gouvernement Macron. «Mon petit-fils est mort, ils ont tué mon petit-fils. Je ne suis pas bien du tout, je suis contre le gouvernement. Ils ont tué mon petit-fils, maintenant je m’en fous de tout le monde, ils m’ont pris mon petit-fils, je ne leur pardonnerai jamais de la vie, jamais, jamais, jamais», a fustigé la grand-mère de la victime.
Cela étant, cette inversion accusatoire est favorisée par la propagande médiatique et étatique qui propage le discours raciste faisant l’amalgame entre immigration et délinquance, massivement répandu par l’ensemble de la classe politique française, et le discours de mépris de classe faisant l’amalgame entre classe populaire et déviance, «classes laborieuses et classes dangereuses», théorisé par l’historien Louis Chevalier dans son livre éponyme publié en 1958.
En effet, historiquement, avant la stigmatisation des immigrés de confession musulmane, accusés de nos jours d’être vecteurs de délinquance et de criminalité, longtemps, tout au long du XIXe siècle, c’était la classe ouvrière «française» nouvellement formée et concentrée dans les villes, notamment à Paris, qui était fustigée pour ses soi-disant inclinations criminelles, sa brutalité et sa violence congénitale – les théories biologiques pour analyser et expliquer la criminalité étaient très en vogue à cette époque. La criminalité s’expliquait, selon les pénalistes et politiciens par des déterminismes biologiques, évidemment inhérents exclusivement aux populations populaires, jugées criminogènes.
La criminalité comme la violence étaient associées aux classes laborieuses – de nos jours, elles sont associées à la population immigrée de confession musulmane – définies biologiquement comme dangereuses, porteuses de vices. Donc, moralement et socialement inassimilables au modèle républicain bourgeois dominant. Ces populations d’extraction populaire étaient considérées par les élites, animées d’un mépris de classe politiquement assumé, comme «perdues pour la société civilisée française», car moralement corrompues. C’est ce mépris de classe – racisme de classe – qui explique les multiples répressions dont furent fréquemment victimes les classes populaires françaises tout au long du XIXe siècle. L’exemple le plus connu est le massacre sanglant des Communards de Paris par le gouvernement versaillais.
De nos jours, ce sont désormais les populations immigrées de confession musulmane, issues majoritairement des anciennes colonies françaises, qui sont considérées comme des catégories culturellement dangereuses, sociologiquement violentes, religieusement inadaptables, donc vouées à être contrôlées, surveillées, réprimées, voire impunément tuées, notamment par la police.
Les Algériens des bidonvilles de Nanterre massacrés par la police française
Les exactions policières et les crimes policiers sont ainsi ancrés dans la culture de la gouvernance de l’Etat français, actuellement en voie de radicalisation répressive. Le peuple algérien porte encore les stigmates des répressions et tueries subies durant 132 ans, perpétrées singulièrement par la police française, en particulier durant la Guerre de libération, entre 1954 et 1962. En effet, huit ans durant, le peuple algérien fut victime de ratonnades, de bastonnades, de chasse aux faciès, d’arrestations arbitraires, de torture, d’emprisonnement, d’exécutions sommaires, de pogroms, commis en toute impunité par la police française, notamment à Paris le 17 octobre 1961.
Pour rappel, la ville de Nanterre, où a été exécuté le jeune Naël, est connue pour avoir hébergé des bidonvilles habités principalement par les Algériens. A la fin des années 1950, plus de 10 000 ouvriers algériens logeaient dans des baraquements de tôle à Nanterre. Or, ce jour-là, le 17 octobre 1961, les habitants des bidonvilles décident de manifester dans les rues de Paris contre le couvre-feu imposé quelques jours plus tôt par la préfecture de Paris. La manifestation pacifique est organisée par le FLN. La réponse policière sera terrible. Des dizaines d’Algériens, peut-être entre 150 et 200, sont exécutés. Certains corps sont retrouvés dans la Seine. Les historiens s’accordent à reconnaître qu’il s’agit d’un des plus grands massacres de l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale.
Pour conclure, je présente toutes mes affligées condoléances à la famille de Naël, fauché dans la fleur de l’âge par les balles de la police française.
K. M.
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