Meurtre de Naël : penser et combattre les violences des forces de l’ordre
Une tribune d’Olivier Le Cour Grandmaison – Dans l’Hexagone, de 1953 à la mort dans les circonstances que l’on sait de Naël, le 27 juin 2023, le nombre des victimes racisées, tombées pour différentes raisons sous les balles des forces de l’ordre, se comptent par centaines. Quelques rappels.
A Paris, lors de la manifestation pacifique du 14 juillet 1953, appelée par de nombreuses organisations des gauches politiques et syndicales, les policiers ouvrent le feu sur les militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj. Bilan : 6 morts et 44 blessés dans leurs rangs[1].
Quelques années plus tard, suite aux «événements» d’Algérie, certaines méthodes de la guerre contre-révolutionnaire – torture, exécutions sommaires, disparitions forcées –, mises en œuvre dans cette colonie par «le général Massu et les colonels Godard et Trinquier», sont «transplantées» dans la capitale par le préfet de police Maurice Papon et ses «tortionnaires[2]», avec l’aval du gouvernement, du Premier ministre, Michel Debré, et du chef de l’Etat, le général de Gaulle. En témoignent les pratiques de la police, de la gendarmerie et des supplétifs harkis, et le massacre des Algériens rassemblés pacifiquement à l’appel du FLN le 17 octobre 1961 à Paris et dans plusieurs quartiers populaires d’Ile-de-France pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé.
Autant de crimes d’Etat, rapidement dénoncés par certains contemporains[3] qui fustigent également le racisme des autorités. Ils estiment, en effet, que ce dernier perdure puisque les «Français musulmans d’Algérie» forment une catégorie à part en raison des caractéristiques ethniques et religieuses qui leur sont imputées. A preuve, le syntagme officiel – «FMA» – employé pour circonscrire, à l’intérieur du corps national prétendument composé d’hommes libres et égaux, une «communauté» singulière dont les membres sont altérisés, infériorisés et jugés dangereux par les élites politiques, policières et administratives.
Dès 1957, Henri Frenay et Michel Rocard le notent : l’égalité, ce «principe de base de [la] Constitution, n’a jamais été pratiqué dans les domaines politique et économique, et la discrimination n’a cessé de jouer au bénéfice des Français et au détriment des musulmans[4]». Si l’ampleur et la gravité de la situation confirment que les Nord-Africains d’Algérie sont soumis à des conditions de travail et d’existence particulières qui les distinguent des autres nationaux, le constat reste général.
Publié un an plus tôt, l’ouvrage de la sociologue Andrée Michel, qui repose sur une exhaustive enquête de terrain, objective l’existence de ces discriminations systémiques liées aux politiques publiques et aux pratiques du patronat, et en précise la diversité et les conséquences. Ces discriminations sont «partout», écrit le conseiller d’Etat, Pierre Laroque, en introduction. A l’«emploi, dans l’embauche» et dans «l’habitat[5]» car la majorité des travailleurs algériens logent dans des appartements dégradés ou insalubres et dans les nombreux bidonvilles qui se sont multipliés à la périphérie des villes et de la capitale. Sous-prolétaires, victimes du racisme et de nombreuses discriminations, ils étaient en Algérie française et ailleurs, sous-prolétaires ils demeurent en métropole.
Si depuis la fin de la Guerre d’Algérie, le temps des massacres d’Etat commis dans l’Hexagone n’est plus – il en va différemment en Guadeloupe et en Kanaky-Nouvelle-Calédonie[6] –, des enquêtes, de nombreux rapports et des ouvrages ont établi l’existence sur la longue durée de pratiques policières discriminatoires à l’endroit des jeunes hommes racisés des quartiers populaires. Lorsqu’ils sont perçus comme «noirs» ou «arabes», la probabilité qu’ils soient soumis à un contrôle d’identité est, pour les premiers, six fois plus élevée que pour les personnes identifiées comme blanches, et huit fois pour les seconds.
Dans une publication de l’ONG Open Society de 2013, reposant sur des sources académiques et institutionnelles, on lit ceci : «Toutes les études convergent (…) vers le même constat : en France, les personnes issues des minorités visibles sont contrôlées bien plus fréquemment que leurs homologues blancs[7].» Précision essentielle : ces pratiques ne sont pas celles d’une institution policière qui agirait à l’insu du ministère de l’Intérieur et du gouvernement ; elles sont les conséquences directes, souhaitées et assumées d’une politique publique depuis longtemps défendue par des majorités de droite comme de gauche. Dès 1995, suite aux attentats commis par Khaled Kelkal, entre autres, et à la mise en place du plan Vigipirate, les unes et les autres ont soutenu puis renforcé ces orientations au nom de la lutte contre le terrorisme.
Depuis, la situation n’a guère changé.
Un rapport précis, documenté, illustré par de nombreux témoignages et publié en 2020 révèle ceci : 80% des jeunes hommes perçus comme «noirs» ou «arabes» déclarent avoir été contrôlés dans les cinq années précédant une enquête conduite en 2016, contre 16% pour le reste des personnes interrogées. Les forces de l’ordre ne sont pas seules à procéder à ces «traitements différenciés», ils concernent aussi toutes les «administrations» avec lesquelles les «descendants et descendantes d’immigrés» sont en contact. L’étendue et la permanence de ces situations, poursuit l’auteur, démontrent que les «actions publiques» ont échoué à s’attaquer «à la dimension systémique des discriminations fondées sur l’origine et peinent à construire des registres d’action adaptés». Fort de ces constats, le même formule plusieurs recommandations afin d’améliorer la condition des «minorités visibles». Placer la lutte contre ces discriminations au cœur de l’action gouvernementale en y associant de nombreux ministères afin d’apporter des réponses systémiques aux discriminations systémiques est l’une d’entre elle.
De plus, pour saisir au mieux leur ampleur et leur diversité et «assurer la traçabilité des contrôles d’identité», comme cela existe en Grande-Bretagne, au Canada et en Espagne depuis des années, le développement de «la statistique publique» est recommandé. La réforme du code de procédure pénale et l’interdiction des «contrôles (…) fondés sur des critères légaux de discrimination[8]» sont également préconisées.
L’auteur de ces propositions ? Jacques Toubon, ancien ministre RPR de la Justice puis de la Culture, devenu défenseur des droits. C’est sous sa responsabilité que ce rapport a été élaboré et publié en juin 2020. Au mois de décembre de cette même année, le profilage ethnique a également été condamné par la haute commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Mme Bachelet. Après s’être inquiétée «du racisme et des contrôles au faciès», elle a «exhorté la France (…) à examiner sérieusement [les] méthodes» de la police et de la gendarmerie pour que cessent enfin leurs agissements «discriminatoires» à l’encontre de «certains groupes[9]».
Anciennes et depuis longtemps constatées, ces pratiques sont, entre autres, légitimées par des conceptions particulières du maintien de l’ordre. A l’origine conçues pour s’appliquer dans les quartiers populaires habités par de nombreuses personnes racisées, elles sont en partie inspirées de la doctrine de la guerre contre-révolutionnaire élaborée et mise en œuvre pendant les conflits coloniaux menés par la France en Indochine puis en Algérie.
Les moyens juridiques, matériels et humains employés lors des émeutes de novembre 2005 à Villiers-le-Bel, qui ont servi de laboratoire grandeur nature, en attestent. L’application de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, votée en pleine guerre d’Algérie, le confirme. De même, le recours par les forces de l’ordre à de nombreuses armes létales et sublétales –, les désormais célèbres lanceurs de balles de défense (LBD)[10] –, à des blindés de la gendarmerie, à des drones et à des hélicoptères qui ont opéré de jour comme de nuit. D’abord utilisés dans les zones urbaines ghettoïsées, nombre de ces équipements ont été mobilisés par la suite contre les Gilets jaunes, de l’automne 2018 au printemps 2019.
Soutenues par l’autoritarisme grandissant des dirigeants de la République, lorsqu’ils sont confrontés à d’importants mouvements de contestation, ces orientations et ces pratiques confirment l’extension-banalisation de dispositifs d’exception à l’ensemble des manifestations. Quant à la brutalisation du maintien de l’ordre à la française, elle constitue, au sein des Etats membres de l’Union européenne, une singularité condamnée par la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe[11].
L’ensemble de ces faits permet de conclure que nous sommes bien en présence de pratiques d’autant plus généralisées qu’elles sont légitimées par un ensemble de représentations particulières qui affecte les individus racisés et détermine les rapports que les fonctionnaires de police et de gendarmerie entretiennent avec eux. En effet, s’ils sont sur-contrôlés et soumis à des violences symboliques et langagières auxquelles s’ajoutent souvent des violences physiques, ce n’est pas à cause des actes commis mais en raison des caractéristiques qui leur sont imputées.
Ajoutons ceci : indépendamment de leurs opinions personnelles, les agents des forces de l’ordre, qui se livrent à ce profilage ethnique, le font en se conformant à l’habitus de leurs collègues, aux pratiques de l’institution[12] et en obéissant aux consignes de leurs supérieurs lesquels appliquent une politique publique arrêtée depuis longtemps par divers gouvernements et ministres de l’Intérieur. Qui plus est, en dépit des recommandations du défenseur des droits et de plusieurs organismes internationaux, chargés de lutter contre les discriminations, cette politique continue d’être mise en œuvre. Eu égard à la somme de ces éléments, la qualification de racisme institutionnel est adéquate puisque c’est bien la direction, toute la chaîne hiérarchique et le personnel d’un corps essentiel de l’appareil d’Etat qui sont impliqués.
L’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2016 et celui de la Cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 obligent à prolonger l’analyse puisque toutes deux se sont prononcées, en des termes précis et sévères à l’endroit des pouvoirs publics, contre le profilage racial auquel se livre la police.
Sans rentrer dans le détail des arguments employés par la plus haute juridiction, retenons le sixième considérant. Il est ainsi rédigé : «La discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse qui, compte tenu de ses conséquences dangereuses, exige une vigilance spéciale de la part des autorités, lesquelles doivent recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme…»
La gravité des pratiques visées et celle de leurs effets pour les personnes concernées déterminent les obligations qui pèsent sur les pouvoirs publics. Ils sont ainsi tenus de s’abstenir de toutes discriminations et de les combattre lorsqu’elles existent. Au regard des principes majeurs qui ont été bafoués, de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et des faits établis : l’encerclement par les forces de l’ordre de la personne visée en raison de «considérations raciales» suivi d’un contrôle d’identité, de «palpations», de «propos désobligeants» et du tutoiement, auxquels s’ajoute le constat que la «pratique des contrôles au faciès [est] une réalité quotidienne», les juges de la Cour de cassation écrivent : une «violation aussi flagrante des droits fondamentaux» constitue «une faute lourde engageant directement la responsabilité de l’Etat[13]».
Reconnu coupable, ce dernier est donc condamné, pas les fonctionnaires puisqu’ils ne sont que des exécutants qui agissent conformément aux directives de leur institution et de leur ministère.
Etayée sur ces différents éléments, la conclusion est claire. Les faits incriminés, leur contextualisation, qui permet aux membres de la Cour d’affirmer que les contrôles au faciès ne sont pas l’exception mais la règle, la mise au jour des responsabilités et la définition juridique des manquements observés appellent une qualification précise. En ayant recours au profilage ethnique, les autorités françaises commettent des discriminations raciales depuis longtemps avérées et réitérées car elles sont les conséquences d’orientations anciennes et consensuelles parmi les forces partisanes de gouvernement.
Il s’agit donc d’une politique qui a pour auteur et défenseur l’Etat ce pourquoi il est adéquat de soutenir qu’il s’agit bien d’un racisme d’Etat. Il permet de mieux comprendre aussi l’existence et la persistance du racisme institutionnel au sein de la police, lequel perdure, entre autres, parce que ses origines se trouvent au sommet des pouvoirs publics qui, de facto, l’encouragent. Les récentes recommandations faites, en décembre 2022, par le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale le confirment. Après avoir noté la poursuite des contrôles affectant de «manière disproportionnée certaines minorités, en particulier les personnes africaines, d’ascendance africaine, d’origine arabe, les Roms, les gens du voyage et les non-ressortissants français», il est demandé à la France d’y mettre un terme et de réformer sa législation pour interdire le «profilage racial ou ethnique[14]».
Le 8 juin 2021, dans une affaire similaire et au terme d’une étude particulièrement fine des actes commis par les policiers incriminés : sélection de trois lycéens de terminale sur des critères ethniques alors qu’ils étaient entourés de personnes de type européen, séparation du reste du groupe, contrôle d’identité, violences verbales et fouille des bagages, la Cour d’appel de Paris a de nouveau estimé que l’Etat avait commis une faute lourde[15]. Cette seconde condamnation prouve que l’Etat est désormais en situation de récidive cependant que la réitération des contrôles au faciès révèle ceci : présidents, gouvernements et ministres s’obstinent, en dépit de ces arrêts, à méconnaître des principes fondamentaux de la Déclaration des droits, de la Constitution et de plusieurs conventions internationales sans qu’il soit possible de mettre un terme à leurs agissements.
Extraordinaire impunité où se découvrent les limites inquiétantes de l’Etat de droit tant vanté par certains. Bien que déjà sanctionnées, les plus hautes autorités continuent d’ignorer ces décisions de justice qui demeurent sans effet sur les orientations mises en œuvre. Permanence de la raison d’Etat. Dans ce cas d’espèce, elle n’est autre que la raison de police érigée en principe recteur de la politique des pouvoirs publics. Cette raison est sans foi ni loi puisqu’en étant au-dessus des lois, elle prive les personnes concernées du bénéfice de leurs garanties. Force de la Loi fondamentale et des lois ? Impuissance de toutes, en vérité, et des jugements prononcés. De là cette conséquence : les arrêts rendus sont frappés d’une vanité partielle car si les victimes ont obtenu gain de cause, le coupable, lui, persévère sans se soucier des condamnations prononcées[16].
A droite comme à gauche, beaucoup ne voient dans ces contrôles et les violences parfois mortelles infligées par des policiers aux jeunes français comme aux jeunes étrangers, noirs et maghrébins, des quartiers populaires que «manquements regrettables» ou «inacceptables», selon la terminologie délicate employée en ces circonstances.
Sans le savoir, ces doctes mais aveugles responsables – pour nombre d’entre eux, cette cécité est volontaire car idéologiquement construite – pratiquent l’art subtil de la «vaccine». Cet art consiste à «confesser» le «mal accidentel d’une institution[17]» – ici la police – pour «mieux masquer le mal principiel» qui l’affecte lorsque les forces de l’ordre agissent dans ces quartiers. Passé les multiples frontières intérieures, qui divisent le territoire national en espaces hétérogènes et ségrégués sur le plan économique, social, urbain, financier et ethnique, la police, qualifiée de «républicaine», se fait police d’exception qui use et abuse de pratiques de même nature. Pareillement lorsque cette police est en présence de jeunes racisés dans certains lieux de la capitale où ils sont victimes d’une présomption de culpabilité et (mal) traités en conséquence.
Au mépris des principes démocratiques et des règles déontologiques, c’est cette police qui multiplie les contrôles au faciès, humilient, rudoient, tutoient, infligent des violences symboliques et physiques presque permanentes, et tuent parfois ceux qu’elle identifie comme étant d’origine maghrébine ou africaine.
Quant à la République, louée par un chœur consensuel dont les membres se recrutent à droite comme à gauche, dans les quartiers populaires, son visage n’est pas celui de la libre, douce et fraternelle Marianne. En lieu et place de cette dernière se dressent les faces agressives et menaçantes des forces de police et de gendarmerie chargées de défendre l’ordre établi, celui-là même qui entretient inégalités, discriminations et racismes systémiques infligés à des millions d’hommes et de femmes, héritiers des immigrations coloniales et postcoloniales et aux étrangers.
Tous sont méprisés, stigmatisés, en raison des menées séparatistes dont ils sont désormais accusés par les plus hautes autorités de l’Etat, les droites de gouvernement et les extrêmes-droites, et considérés comme des parias dont les revendications, pourtant exprimées depuis fort longtemps, ne sont jamais entendues. Pis encore, traités de «sauvageons» et de «racailles», et livrés ainsi au tribunal de l’opinion publique et de certains médias, les plus jeunes sont réputés former une plèbe indigne et dangereuse qu’il faut mater par des violences réitérées et, au besoin, par le recours à des dispositions d’exception – la loi sur l’état d’urgence – aux origines coloniales avérées.
Que les membres du parti de l’Ordre et beaucoup d’autres avec eux soient surpris par les violences aujourd’hui commises est surprenant, pour le moins. Leur étonnement n’est pas seulement étonnant, il est aussi d’une démagogie obscène au regard de la situation dont ils sont les premiers responsables. On ne méprise pas, on ne discrimine pas, on ne ruine pas tant d’existences pendant des années impunément. Des émeutes de novembre 2005, ils n’ont rien appris parce que leur seul souci, dans ces quartiers populaires, c’est d’y assurer ce qu’ils osent nommer l’«ordre républicain» qui n’est autre le train-train de la domination, de l’exploitation et de l’oppression à «bas bruit».
Aux vociférations haineuses, mensongères et illibérales des extrêmes-droites et des droites de gouvernement toujours plus radicalisées, qui exigent de concert l’application des dispositions précitées, aux vocalises convenues du gouvernement et du chef de l’Etat, qui en appellent au respect des institutions républicaines, à la moraline dérisoire et politiquement stérile de certaines formations de la gauche et de quelques associations, qui condamnent les actes de la police sans s’attaquer véritablement à leurs causes politiques, institutionnelles et juridiques, il faut, a minima, opposer les revendications suivantes : abrogation de la loi du 28 février 2017, initiée par le très socialiste Bernard Cazeneuve puis votée par sa docile majorité. «Rédigée à la hâte» pour satisfaire les syndicats de police, dixit Le Monde du 29 juin 2023, cette réforme a permis aux forces de l’ordre d’user plus largement de leurs armes, ce qui a évidemment favorisé le drame que l’on sait et ceux qui l’ont précédé.
Il faut y ajouter l’interdiction immédiate des contrôles au faciès, la délivrance obligatoire par les fonctionnaires de police d’un récépissé aux personnes contrôlées, la suppression des LBD et des grenades de désencerclement, le retrait des fusils d’assaut HK G36 mis à la disposition des policiers et des gendarmes – une exception en Europe, comme le notait François Sureau[18] qui s’est indigné de cette situation et de ses conséquences liberticides, qui sont parfois également homicides. De plus, l’IGPN doit être supprimée et remplacée par une institution administrative indépendante.
Rappelons que le défenseur des droits et plusieurs ONG ont exposé et soutenu nombre de ces revendications. Les gauches politiques, syndicales et associatives doivent désormais les mettre au plus haut de leur agenda et, avec les nombreux collectifs des premiers concernés, organiser des manifestations dans toute la France pour les défendre et contribuer ainsi à faire entendre celles et ceux dont les voix sont au mieux tenues pour négligeables, au pire systématiquement disqualifiées, et dont les vies sont mutilées, au propre comme au figuré, par la situation qui, depuis si longtemps, leur est imposée, et quelquefois détruites. Et pour défendre aussi ces libertés fondamentales que sont la liberté d’association et de manifestation désormais systématiquement attaquées par un Etat et des politiques toujours plus autoritaires.
O. L.-G.
Universitaire, dernier ouvrage paru, avec O. Slaouti (Dir), Racismes de France, La Découverte, 2020.
[1]. Y. Benot estime que cette sanglante répression est l’expression d’un «racisme d’Etat». Massacres coloniaux 1944-1950. La IVe République et la mise au pas des colonies, Paris, La Découverte, 2005, p. 171. Sur cet événement, cf. le documentaire (2014) de D. Kupeferstein, Les Balles du 14 juillet 1953.
[2]. Vérité. Liberté, n° 13, novembre 1961, pp. 1 et 7. Publication dirigée par P. Vidal-Naquet, entre autres. Cf. P. Péju, Ratonnades à Paris précédé de Les Harkis à Paris, (1961), Paris, La Découverte, 2000, J. L. Einaudi, La Bataille de Paris : 17 octobre 1961, Paris, Seuil, 1991 et J. House et N. MacMaster, Paris 1961 : Les Algériens, la terreur d’Etat et la mémoire, Paris, Tallandier, 2008.
[3]. Un article des Temps modernes dénonce les «raids des harkis», le «lynchage organisé» des Algériens et, le 17 octobre, les «flics» lâchés comme des «chiens pour la curée» par «le préfet qui ordonne, le ministre qui autorise» et le «gouvernement qui couvre l’ignoble déchaînement du racisme». Vérité. Liberté, op. cit. , p. 7.
[4]. M. Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, Paris, Mille et Une Nuits, 2003, p. 42 (souligné par nous.)
[5]. P. Laroque, «Préface» à A. Michel, Les Travailleurs algériens en France, Paris, éditions du CNRS, 1956, p. 3.
[6]. Cf. sur les événements de Point-à-Pitre (26-28 mai 1967), E. Dorlin, mai 67. Massacrer et laisser mourir, Paris, Libertalia, 2023. En 1985, G. Lemoine, secrétaire d’Etat aux DOM-TOM, estimait le nombre de manifestants tués par les forces de l’ordre à 85. Et le massacre d’Ouvéa, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le 5 mai 1988. La veille, J.-M. Le Pen affirmait : les «terroristes rebelles» ont le choix entre «la soumission ou l’extermination». Le Monde, 5 mai 1988. Cf. I. Leblic, «Chronologie de Kanaky Nouvelle-Calédonie (1774-2018)», in Journal de la société des océanistes, n° 147, 2018, pp. 529-564.
[7]. L’Egalité trahie. L’impact des contrôles au faciès, Open Society Justice Initiative, 2013, p. 5 et F. Jobard et R. Lévy, «Police, justice et discriminations raciales en France : état des savoirs» in CNCDH, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, Paris, La Documentation française, 2010. En 1992, une enquête au sein de la police révélait que «le racisme le plus évident est anti-Arabes, et anti-Noirs, anti-Turcs éventuellement» et «anti-gitans». M. Wieviorka, La France raciste, Paris, Seuil, 1992, p. 30. Lors du quinquennat de François Hollande, Mediapart a rendu public un mémorandum de «l’agent judiciaire de l’Etat» justifiant le contrôle de «la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère». Mediapart, 26 février 2016.
[8]. Défenseur des droits, discriminations et origines : l’urgence d’agir, 2020, pp. 2, 5, 9-10. «Il ressort» des «études et données à la disposition du défenseur (…) que les discriminations fondées sur l’origine restent massives en France et affectent la vie quotidienne et les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs trajectoires de vies et leurs droits les plus fondamentaux.» Idem, p. 1. En février 2021, la nouvelle défenseure des droits Claire Hédon a de nouveau demandé la traçabilité des contrôles d’identité. En vain.
[9]. Le Monde, 9 décembre 2020.
[10]. La défenseure des droits Claire Hédon note que cette arme et les grenades de désencerclement ne sont pas employées dans «les pays du Nord», en «Allemagne» et en «Grande-Bretagne». Le Monde, 29 mars 2023. En dépit des dénégations officielles, ces armes sont classées comme des armes de guerre par l’article R 311-2 du code de la sécurité intérieure.
[11]. De novembre 2018 à mai 2019, 2 500 manifestant-e-s ont été blessés, selon un rapport d’Amnesty International qui demande l’interdiction des LBD, comme le défenseur des droits et la commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Le Monde, 14 mars 2023. Le 24 mars 2023, Duna Mijatovic, la commissaire précitée, s’est «alarmée d’un usage excessif de la force par les agents de l’Etat» lors des manifestations contre la réforme des retraites.
[12]. «En France comme à l’étranger», les études «concluent à la réalité d’un discours raciste généralisé qui constitue pour les policiers une véritable norme à laquelle il est difficile, lorsqu’on est policier de base, d’échapper et plus encore de s’opposer. On n’entre pas dans la police parce qu’on est raciste, on le devient à travers le processus de socialisation professionnelle.» R. Zauberman et R. Lévy, La police française et les minorités visibles : les contradictions de l’idéal républicain, in Y. Cartuyvels, Fr. Digneffe, A. Pire et Ph. Robert (dir.), Politique, police et justice au bord du futur. Mélanges pour et avec Lode van Outrive, Paris, L’Harmattan, 1998, pp. 293-294.
[13]. Arrêt de la Cour de cassation, Chambre civile 1-9 novembre 2016, 15-24. 210, p. 3, 6, 11. (souligné par nous.) En 2019, avant de se mettre au service de la macronie et de sa politique antisociale et autoritaire, P. Ndiaye jugeait indispensable de «déracialiser la société» française, condamnait les contrôles au faciès et estimait que sur ces sujets la politique du président Emmanuel Macron était difficile à discerner et qu’il y manquait même «un point de vue consistant». Le Monde, 13 juillet 2019, p. 24.
[14]. Le Monde, 2 décembre 2022 (souligné par nous.) Ce même Comité condamne aussi l’absence de traçabilité de ces contrôles «souvent accompagnés de propos et d’actes racistes et discriminatoires».
[15]. Arrêt de la Cour d’appel pôle 4, chambre 13, 8 juin 2021, n° 19/00867.
[16]. C’est pour tenter d’y mettre un terme qu’en juillet 2021, six organisations de défense des droits humains, parmi lesquelles Amnesty International, Human Rights Watch et Open Justice Initiative Society, ont engagé une action de groupe devant le Conseil d’Etat France : Action de groupe contre l’Etat pour mettre fin aux…
[17]. R. Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1970, p. 238.
[18]. Fr. Sureau, Sans la liberté, Paris, Tracts Gallimard, 2019, p. 7.
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