Crânes de résistants algériens : ma réponse aux élucubrations du New York Times
Une contribution d’Ali-Farid Belkadi – Il y a trois ans le 3 juillet 2020, vingt-quatre crânes de résistants algériens étaient restitués à l’Algérie. Parmi lesquels ceux de plusieurs chefs de la résistance à la colonisation française. On ne sait trop comment trois crânes de supplétifs indigènes engagés sous le drapeau français furent subrepticement glissés parmi ces combattants de la liberté.
Accord trouble entre les deux pays ? Ou coup fourré de certains politiciens français convertis en scientifiques, qui n’ont toujours pas réalisé que la guerre remportée par les Algériens en huit ans de lutte prodigieuse est terminée depuis soixante ans.
Plus le mensonge est gros, plus il passe, dit l’adage. De nombreux journaux ont repris l’article du journaliste Constant Méheut paru dans le New York Times du 17 octobre 2022 sous le titre «Done on the sly : France’s flawed return of skulls to Algeria», consacré aux crânes algériens du Muséum de Paris, en s’arrogeant le droit affecté d’en altérer le contenu.
On peut y lire ceci : «Des documents du musée (MNHN) et du gouvernement français, récemment obtenus par le New York Times, montrent que si six des crânes restitués étaient ceux de résistants, les autres ne l’étaient pas ou étaient d’origine incertaine.»
Le présent article vient mettre de l’ordre dans les élucubrations, véritables infox, de capricieux fonctionnaires du MNHN, reprises par le journal New York Times, dans le but est d’induire en erreur l’opinion à des fins inavouables.
Jacques Soustelle
Entre errements, erreurs et errances, ces fonctionnaires qui ne se sont jamais intéressés aux crânes algériens depuis leur entrée au MNHN, sous l’Algérie française, semblent appartenir à l’école Jacques Soustelle, sous-directeur émérite et ethnologue au Muséum de Paris en 1937, qui a joué un rôle déterminant dans les événements fascistes d’Alger en 1958. J. Soustelle a marqué de son empreinte politico-scientifique le MNHN de Paris, avant de fonder l’Union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française (USRAF) en 1958 et s’engager dans l’action dévastatrice de l’OAS qui abattait dans les ruelles d’Alger de pauvres femmes de ménage, massacrait des marchands de quatre-saisons qui osaient s’aventurer dans les quartiers européens, assassinait de vieux fleuristes ambulants.
Ainsi, du 1er au 5 avril 1962, il y eut 134 morts, tous algériens. Marxiste passé à l’extrême-droite, Jacques Soustelle fut ministre, supervisant les affaires atomiques sahariennes dans le gouvernement Debré ; on sait les retombées dramatiques sur les populations locales. Jacques Soustelle, qui fut un grand résistant auprès du général de Gaulle, n’a jamais reconnu le combat des Algériens pour recouvrer leur liberté.
Plus de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, des têtes algériennes décapitées gisent toujours décharnées, dans des cartons qui ressemblent à des boîtes à chaussures, dans les mêmes lieux lugubres, foulés jadis par les collectionneurs racistes Vital, Caffe, Fuzier, Mondot, Guyon, Flourens, Hagenmüller, Weisgerber et d’autres.
En vérité, les propos négateurs et révisionnistes des fonctionnaires du MNHN-nécropole, relevés çà et là dans les manchettes des journaux depuis quelques quelques temps, participent viscéralement à dissimuler la page monstrueuse du génocide perpétré par la France contre les Algériens. Un déni de l’histoire algérienne, qui voit ses vaillants combattants de la liberté transformés en détrousseurs de grands chemins.
Des dizaines d’insurrections
Voici quelques dates des plus notables insurrections qui se sont produites en Algérie dès le début du XIXe siècle, présentées selon un ordre chronologique minutieux qui en dit long sur la poursuite effrénée de l’agression militaire française contre les Algériens et les décapitations qui s’ensuivirent.
Le 6 décembre 1835, prise de Mascara par le général Clauzel. 13 octobre 1837, prise de Constantine par l’armée française. 5 février 1839, prise de la ville de Blida. 8 mars 1844, Biskra est occupée par l’armée française.18 juin 1845, enfumages des grottes des Ouled-Riah. 1845, insurrection du chérif Boumaza dans le Dahra. 31 octobre 1846, institution du séquestre. 1848-49, soulèvement de l’oasis de Zaatcha. 1851, insurrection du chérif Boubaghla en Grande Kabylie. Décembre 1852, prise de Laghouat. 1858, insurrection dans les Aurès. 1859, révolte des Béni Snassen. Mars 1864, insurrection des Ouled Sidi-Cheikh. Mars 1871, insurrection du Cheikh Aheddad qui s’étend à une grande partie de l’Est algérien et au Sud. 26 mars 1876, soulèvement d’El-Amri Biskra. 30 mai 1879, insurrection des Aurès. 10 mai 1881, insurrection de Bouamama (Sud oranais). 1882, occupation du M’zab. Mai 1901, soulèvement de Marguerite (Aïn Turki). Octobre 1911, exode en masses de jeunes Algériens en Syrie, ils fuient le service militaire obligatoire. Octobre1914, soulèvement des Béni Chougrane. 1916, soulèvement dans les Aurès. Mai 1945, imposantes manifestations algériennes noyées dans le sang, 45 000 morts, selon les sources locales.
Je m’arrête à cette dernière date car des crânes qui renvoient aux soulèvements énumérés plus haut ont continué à parvenir au MNHN jusqu’en 1954, comme l’indique la Base de données du Muséum, toujours négligée, voire méconnue par les responsables du MNHN. L’histoire entrevue à travers ses annexes, dont l’anthropologie, ne se construit pas avec des approximations incertaines et des appréciations évasives, ni en faisant son lit sur l’ignorance, voire l’indifférence de l’opinion publique. Elle se nourrit de documents, d’articles, de feuillets, de textes, selon une méthode qui a ses moyens et sa manière de procéder. Pour peu que l’on prenne le temps d’y réfléchir loyalement. Une question d’assainissement intellectuel.
Les raids des sanguinaires des colonnes de l’armée française
Vers le milieu du XIXe siècle, autour des années 1840-50, les Algériens, vaincus par l’Empire français triomphant, subissaient un impitoyable châtiment. Les raids des sanguinaires colonnes de l’armée française se poursuivaient sans relâche le jour et la nuit, à la lueur des villages en flammes, contre des populations désarmées. Les insurrections succédant aux révoltes et les mutineries aux séditions.
De la résistance d’Abdelkader dans l’Ouest algérien jusqu’en 1847, à la révolte tardive de Mohamed et Boumezrag Mokrani en Kabylie, de mars à octobre 1871, les combats se poursuivaient entre les résistants algériens et l’armée française, avec de rares répits, suivis de punitions collectives, de séquestres de terres, d’indemnités de guerre exorbitantes exigées des populations pauvres réduites aux abois. Un grand nombre de guerriers rescapés de la déroute de l’Emir Abdelkader, emmené prisonnier au château d’Amboise (France), alors que les Français lui avaient donné leur parole d’honneur de le laisser partir sain et sauf avec les siens en Orient, rejoignirent la lutte des mouvements chérifiens où se mêlaient étroitement religion et politique, en s’adossant au prestige des marabouts, Murabituns, des zaouïas et ses khouans. Des mystiques de congrégations soufies.
C’est de ceux-là dont il s’agit, que j’ai recherchés et dont j’ai retrouvé les têtes décapitées dans des boîtes en carton au MNHN. Des restes humains identifiés et traités comme de vulgaires objets.
Parmi lesquels la tête de Bouziane de l’oasis de Zaatcha (Biskra). Celle de son lieutenant Moussa Al-Darkaoui, tué en même temps que lui à l’issue du siège de l’oasis. Celle du chérif Bou Kedida, tué sous les murs de Tébessa. Celle de Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui, ainsi que la tête momifiée de Aïssa Al-Hamadi, le lieutenant de Boubaghla, qui ont, entre 1845 et 1854, prolongé la guerre menée par l’Emir Abdelkader sous la forme d’insurrections armées et de mouvements de guérilla, signes avant-coureurs de la lutte des maquis de la guerre d’indépendance du XXe siècle. Ce sont ces héros de l’Algérie qui sont traités de voleurs par des spécialistes du MNHN.
L’exemple du collectionneur Weisgerber
Qui est le voleur dans cette affaire, les résistants ou le collectionneur de cadavres et pilleur de tombes Weisgerber, qui déterrait les ossements appartenant à des défunts de la tribu des nomades Chaâmbas, dans les parages de l’oasis d’El-Goléa.. ? ?
Voici ce qu’écrivait dans une lettre adressée au MNHN ce collectionneur, Weisgerber, pilleur de tombes sahariennes isolées, au moment d’expédier les ossements au MNHN-nécropole : «Cette tombe est située auprès d’un ancien cimetière dont j’ai rapporté deux squelettes complets, un vieillard et une jeune femme, et un crâne de femme avec ses cheveux, une clavicule et un humérus, et dont je fais hommage à la Société. Ces squelettes me paraissent appartenir aux Chaâmbas.»
Weisgerber est chargé par le ministre des Travaux publics d’accompagner, en qualité de médecin, la mission envoyée sous les ordres de l’ingénieur en chef Ghoisy, dans le sud de l’Algérie, pour y étudier le tracé d’une ligne de chemin de fer entre Laghouat, El-Goléa, Ouargla, Touggourt et Biskra. Les travaux ne furent jamais entrepris. Weisgerber, qui se convertit immédiatement en préhistorien, amassa des silex taillés. «Nous en avons ramassé, dit-il, un grand nombre, dont j’ai eu l’honneur de présenter un certain nombre d’échantillons à la Société, qui confirme ce que l’on avait déjà dit de l’existence dans le Sahara d’une population ancienne assez dense.» Parmi ses dons à la Société d’anthropologie de Paris figure un crâne auquel manque le maxillaire inférieur, et attribué à un «Chaâmba Monadhi» (il porte la référence num. 33735, et il est entré au Musée national d’histoire naturelle de Paris en 2008).
Le terme Monadhi qui figure sur le registre du MNHN est inexact ; il est à remplacer par Mouadhi, un membre de la grande tribu saharienne des Chaâmbas.
Les tombes chaâmbas ressemblent à de petits murs d’étai, du fait de l’amoncellement de leurs pierres qui sont simplement élevées sur la roche, le défunt est étendu au préalable sur quelques poignées de sable. L’austérité des rituels funéraires, la simplicité des tombes qui sont surmontées de deux épaisses pierres, l’une au niveau des pieds, l’autre à la tête – une pierre supplémentaire étant placée au niveau du ventre pour signaler que la tombe est celle d’une femme – ont permis au Dr Weisgerber d’avoir un accès libre et facile aux vestiges humains. Le Dr Weisgerber vieillit à l’occasion les ossements dégagés d’une tombe récente, en les attribuant à l’antiquité lointaine. C’est comme si on déterrait un Auvergnat mort au début du XIXe siècle, dans la région de Glozel, pour attribuer délibérément sa dépouille à quelque guerrier de Vercingétorix.
Les Chaâmbas n’appartiennent pas au domaine de la préhistoire, il s’agit d’une ethnie nomade qui serait issue, dit-on, de la tribu arabe des Béni Souleim Ben Mansour de Médine. Ces Chaâmbas, traditionnellement, se sont parfois opposés aux Touaregs, avec lesquels ils continuaient, il y a encore quelques décennies, de partager le même mode de vie ambulant. Des affrontements sporadiques ont lieu régulièrement entre les Chaâmbas et les Berbères mozabites dans le périmètre Ghardaïa-Zelfana-Metlili, cette dernière ville est considérée comme la capitale des Chaâmbas. Au siècle dernier, les terrains de parcours des nomades chaâmbas s’étendaient d’El-Goléa à Ouargla.
Admettra-t-on un jour en France le caractère colonial des décapitations ?
La France, à travers ses musées, a adhéré à la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007, qui enjoint aux Etats (européens), dans ses articles 11 et 12, d’accorder réparation aux peuples autochtones.
Rien n’a été fait à ce jour. Les lois françaises dans ce domaine sont toujours là, fermes et bien en place. Elles redoublent de férocité dès qu’il s’agit de demandes de rapatriement d’ossements en provenance de l’Algérie.
Accorder réparation aux peuples autochtones
L’article 12 précise que «les Etats veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces, mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés». Des vœux pieux qui n’ont jamais été suivis d’actes de résipiscence.
Le code de déontologie de l’ICOM (Conseil international des musées), aboutissement de six années de révisions, a pourtant été formellement approuvé à Séoul en octobre 2004. Ce Conseil international a largement abordé la question de ce qui est encore pudiquement appelé le «matériel culturel et sensible». Un certain nombre de principes ont été fixés à cette occasion pour favoriser les retours des restes humains éparpillés dans les musées à travers le monde.
Savants politisés et politiciens qui jouent aux savants
De nombreux pays ont répondu favorablement à ces demandes. La France ne bouge pas. Sauf en ce qui concerne les restes maoris, qui ont été retournés au peuple aborigène australien et de petites bricoles appartenant à des pays africains. La France à travers ses savants, ses humanistes et ses politiques, refuse de reconnaître le caractère colonial de ses collections algériennes.
Ce refus est clairement exprimé par la majorité des participants français au colloque consacré aux «collections anatomiques aux objets de culte et traitement des restes humains conservés par les musées», qui s’est tenu les 22 et 23 février 2008, au Musée du Quai Branly, Paris.
Ces spécialistes dénient sans équivoque, au nom de la Science, à la Déclaration des droits de l’Homme, dont s’enorgueillit la France depuis 1789, le droit de s’immiscer dans les affaires coloniales passées de la France.
La déclaration qui clôturât la 21e assemblée générale à Séoul en octobre 2004, qui s’adresse à l’homme dans sa souveraineté primitive, est demeurée sans effet en France alors qu’elle devrait concerner ces cadavres d’êtres humains assassinés dans leur propre pays et détenus à l’étranger par le MNHN de Paris. Cela n’est pas sans rappeler la profanation des tombes de diverses communautés religieuses par des groupuscules extrémistes en France au XXIe siècle.
Le code de déontologie du Conseil international des musées va dans le même sens que la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007. Malgré cela, des savants politisés et des politiques qui jouent aux savants s’opposent toujours en France, à travers mille embûches dressées sur la route de ceux qui en font la demande, à la restitution de ces «objets sensibles» à leur pays d’origine.
Le compte rendu officiel du Sénat français confirmera, le 29 juin 2009, ce refus de restitution des restes mortuaires en déclarant : «Les lois bioéthiques ou les articles 16 à 16-9 du code civil ne concernent que la personne vivante et la protègent, par exemple, contre les expérimentations ou le trafic d’organes (…) Une telle restitution doit s’entourer de précautions. Il ne s’agit pas d’ouvrir la boîte de Pandore, ni de vider tous les musées de France ! Nous n’allons, certes, pas rendre à leurs supposés descendants tous les ossements de la préhistoire, toutes les momies de l’Egypte ancienne.» Cet amalgame fallacieux est indigne de figurer dans les Actes d’une réunion d’anthropologues et de savants internationaux.
Les restes mortuaires détenus par le MNHN de Paris, nous ne le répéterons jamais assez, sont ceux de résistants opposés à la colonisation de leur pays et décapités dans le cadre d’une guerre atroce que livraient les soldats français à des populations désarmées. Ce ne sont pas ceux d’un groupe d’hommes ayant vécu sur terre à l’époque néolithique ou durant le règne des pharaons égyptiens.
Il n’y a pas de problème à exposer dans les musées ou ailleurs, même à de petits enfants dans les écoles primaires, les sépultures de l’Homme de Florès, de l’Homme de Neandertal ou de Mechta Al-Arbi. Les momies égyptiennes, cela est connu, sont beaucoup moins tolérées par le public du fait de la présence de chair, dans les restes de corps, même séchée et entourée de bandelettes. Ici, nous parlons d’esprit et d’âme, d’êtres anciennement humains, d’anciens existants sur cette terre. De droits de l’homme et de femmes.
«C’est le squelette dans le placard, a déclaré Pierre Ouzoulias, un sénateur français du Parti communiste. Personne ne sait comment s’en sortir.» Ce sénateur français a bien raison de le souligner. Nous sommes au creux de la quadrature du cercle. Dans sa pièce Antigone, Sophocle (vers 441 avant J.-C.), se réclamant des décisions divines, évoque la loi qui interdit à Antigone d’accomplir les rites funéraires pour son frère Polynice, mort assassiné. Dans cette tragédie, qui se développe autour de la cérémonie mortuaire refusée par Créon, les morts, à défaut de sépulture, se retrouvent retenus chez les vivants.
Au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, les restes mortuaires de plusieurs dizaines de résistants algériens à la colonisation sont privés de rituels funéraires et de sépulture depuis le milieu du XIXe siècle. Ils sont regroupés par collections ethniques, par nationalité, dans des armoires métalliques dont les sûretés sont cryptées et honteusement entreposés dans des emballages «spécialement conçus afin d’éviter l’acidité des boîtes en carton ordinaire», selon la formule du directeur scientifique des collections d’anthropologie du MNHN de Paris. Nous laissons au lecteur le soin de juger de ces termes boîtes en carton qui rappellent tout de même des boîtes à chaussures.
L’argumentaire culturel ambigu avancé pour le maintien de ces restes au MNHN de Paris allègue de la nécessité de garder ces crânes afin de permettre à la science d’approfondir l’étude des groupements humains pour la postérité. Ces restes mortuaires algériens n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque étude scientifique, depuis leur entrée au MNHN de Paris, au milieu du XIXe siècle.
Certains savants se prévalent de la laïcité pour rejeter toute demande de restitution à caractère religieux.
Le patrimoine algérien en vadrouille
Les Algériens doivent payer l’entrée dans les musées en France pour pouvoir admirer les œuvres de leurs ancêtres. En effet, pour pouvoir admirer les œuvres archéologiques, spoliées aux différentes cultures nationales africaines, «l’Afrique aux Africains», disait le roi Massinissa en parlant de l’Algérie qui portait alors ce nom, des œuvres réalisées par leurs propres ancêtres, les Africains doivent s’acquitter d’un droit d’entrée dans les musées français. Au MNHN de Paris, il y a d’autres domaines escamotés au patrimoine algérien dont l’archéologie, la paléontologie, la botanique, plus de 400 météorites et bien d’autres choses encore. Une immense maraude.
Mon inventaire au musée du Louvre
Les réserves des musées français sont encombrées de biens patrimoniaux soustraits aux ex-colonies. L’obélisque de Louxor, qui s’élève place de la Concorde, a été escamotée aux Egyptiens par le vice-roi d’Egypte, Mehmet Ali, né en Grèce, de parents albanais, désigné le 18 juin 1805 par un gouvernement ottoman illégitime comme pacha d’Egypte. Des momies importées d’Egypte ont servi d’engrais pour fertiliser les campagnes françaises, selon Philippe Pomar, anthropologue et professeur au CHU de Toulouse : «Au XIXe siècle, après l’expédition de Bonaparte en Egypte, les sarcophages ont été pillés pour leurs trésors. On a même transformé des momies en engrais, puis en combustible pour locomotive à vapeur.» (La Dépêche du Midi, 23juin 2008.)
C’est ainsi que les ossements des résistants algériens à la colonisation, indûment conservés dans les réserves du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, sont considérés jusqu’à ce jour comme faisant partie du patrimoine culturel inaliénable français. Patrimoine est synonyme de bien, de propriété. Les Français sont donc les heureux propriétaires de crânes algériens. Des savants de notre époque, encore imprégnés des dispositions ségrégationnistes des anthropologues du XIXe siècle, Armand de Quatrefages et Ernest Théodore Hamy, en ont décidé ainsi.
La présence de ces restes au MNHN de Paris est un outrage dilatoire à la dignité humaine et l’une des expressions les plus abjectes de la domination coloniale.
Georges Cuvier terminator
Les convictions scientifiques racistes au milieu du XIXe siècle assignaient aux êtres humains des catégories ethniques et culturelles spécifiques. Selon les idéologues occidentaux de l’époque, le modèle blanc européen surpassait qualitativement les êtres humains des autres continents. «Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité», écrivait G. Cuvier dans un rapport adressé à l’Académie de médecine.
La légitimation de ce musée ombrageux misanthrope et antisocial, qui amassait et accumulait impunément au cours du XIXe siècle les restes de cadavres et de dépouilles profanés par la science, fut initiée en France par le même Georges Cuvier, qui dépeça Saartjie Baartman, surnommée la «Vénus Hottentote».
Décédé à Paris le 13 mai 1832, Cuvier, qui, par ses déclarations racistes, tournait le dos aux principes de la bienfaisance chrétienne, fut toutefois très religieusement inhumé à la division 8 du cimetière du Père-Lachaise.
Georges Cuvier, qui fut anatomiste et professeur-administrateur du Muséum de Paris, demandera à J. Polignac d’encourager les officiers de l’armée d’Afrique à «s’intéresser aux productions naturelles du pays» et de «procurer au Jardin du roi les animaux vivants qui lui font défaut». Cette demande insistante, appuyée par le ministre de l’Intérieur, fut adressée à Polignac le 23 juillet 1830, qui finira par donner son aval. La chasse fut déclarée ouverte.
La chasse aux têtes algériennes
C’est ainsi que la chasse aux têtes algériennes débuta de l’autre côté de la Méditerranée. Cuvier donne ainsi le coup d’envoi à la collecte de vestiges humains pour le Muséum. Les barils transportant des crânes algériens affluèrent par centaines au MNHN.
Sur son lit de mort, G. Cuvier désignera Pierre Flourens comme successeur au poste de secrétaire général perpétuel de l’Académie des sciences.
Flourens est connu en particulier pour sa collection de restes humains originaires d’Algérie, dont il s’enorgueillissait par lettres, et dont j’ai reproduit le contenu dans mes textes.
Georges Cuvier dira, en parlant des Africains de race noire : «(C’est) la plus dégradée des races humaines dont les formes s’approchent le plus de la brute, et dont l’intelligence ne s’est élevée nulle part au point d’arriver à un gouvernement régulier.» (George Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, vol. 1, Deterville, Paris, 1812, p. 105.)
Parmi les 24 crânes rapatriés à Alger au début du mois de juillet 2020, figurent six crânes de chefs de la résistance.
Ce sont :
1- MNHN-HA-5939. Aïssa Al-Hammadi.
2- MNHN-HA-5940. Chérif Boubaghla.
3- MNHN-HA-5941. Cheikh Bouziane.
4- MNHN-HA-5942. Moussa Al-Darkaoui.
5- MNHN-HA-5943. Bou Amar Boukedida.
6- MNHN-HA-5944. Mokhtar Al-Titraoui.
Concernant les autres têtes, mis à part trois supplétifs-fantassins indigènes de l’armée coloniale, il ne s’agit pas de «voleurs emprisonnés» selon la formule du New York Times empruntée à des responsables du MNHN, mais de prisonniers de guerre, qui à notre époque, auraient été protégés par la Convention de Genève. Ces prisonniers de guerre qui ont été formellement identifiés par moi, dans un inventaire remis aux autorités algériennes en 2017, sont énumérés dans les lettres adressées par les collectionneurs au MNHN de Paris.
Cette identification à laquelle je me suis attelé durant des mois, a servi de plateforme de travail aux deux commissions, algérienne et française.
Des prisonniers de guerre baptisés «voleurs» au MNHN
Voici la liste comprenant les références au MNHN ainsi que l’identité de ces résistants identifiés par moi en 2014.
1- MNHN-HA-295. Crâne de Braham Ben Ali, 40 à 45 ans, tribu des Béni Menacer, province d’Alger, prisonnier de guerre, mort à Alger le 21 avril 1843. Don de Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique.
2- MNHN-HA-299. Crâne de Mohamed Ben Hadj, âgé de 17 à 18 ans. «Kabyle de la grande tribu des Béni Menacer, prisonnier de guerre, mort à Alger le 8 mai 1843. Don Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique», selon le MNHN.
3- MNHN-HA-3834. Crâne de Moril Cherfa. «Marabout des montagnes du Djurdjura, Algérie, mort à Alger le 16 décembre 1843. Don Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique.» Fait prisonnier comme il parcourait le pays pour exciter à la guerre, mort à Alger le 16 décembre 1843.
4- MNHN-HA-3874. Crâne de Mohamed Ben Siar. «Kabyle de la tribu des Issers. Don Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique. Archives : né dans la tribu des Issers (est de la Mitidja), mort prisonnier de guerre à l’hôpital du Dey, le 13 juin 1837.»
5- MNHN-HA-5943. Crâne de Yahia Ben Saïd. «Arabe de la tribu des Béni Salem, 44 ans, voleur, mort au pénitencier de l’île Nou, en Nouvelle Calédonie. Don Dr Cailliot A.» (Entrée en 1881 au MNHN.) Yahia Ben Saïd est un résistant déporté en Nouvelle-Calédonie suite à sa participation à l’insurrection attribuée à El-Mokrani.
6- MNHN-HA-6962. Crâne de Salem Ben Messaoud. «Arabe des environs d’Alger. Don Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique.» Archives : «Tête de Salem Ben Meçaoud, Arabe des environs d’Alger, mort à l’hôpital le 6 décembre 1838, venant de la prison militaire. Cet homme, qui passait pour avoir volé, avait été envoyé à l’hôpital avec de profondes plaies gangréneuses aux fesses, suite à une bastonnade qu’il avait reçue un mois auparavant.» («Notes sur les têtes d’indigènes envoyées à M. Flourens par le courrier parti d’Alger le 4 mai 1839.»)
7- MNHN-HA-6968. Crâne de Kaddom Ben Makhloud. «Arabe des environs d’Alger mort à l’hôpital le 12 décembre 1838, venant, comme le précédent, de la prison militaire. Il passait également pour avoir volé et fut aussi envoyé à l’hôpital, par suite de lésions produites par une bastonnade.» («Notes sur les têtes d’indigènes envoyées à M. Flourens par le courrier parti d’Alger le 4 mai 1839.») Don de Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique.
8- MNHN-HA-6976. Crâne de Saadi Ben Raoui. «Kabyle de la tribu des Béni Mehenna, 25-26 ans, Skikda (Philippeville), Société phrénologique (entrée 1874-8 1).» «Appartenait à la tribu des Béni Mehenna (cercle de Philippeville), il était né au pied du Djebel Allia qui domine à l’est le village Valée. Ce fut en 1845 qu’il commença la série de crimes qui ont amené à sa mort. […] il a été tué le 15 septembre 1847.» (Lettre du capitaine du Bureau arabe, Philippeville, 18 novembre 1847). Société phrénologique.
9- MNHN-HA-1106. Crâne de Saad Ben Salah Ben Agoun, dit Chaoui, assassin du lieutenant de Kerguen, exécuté à Annaba (Bône), 1882, Algérie. Don de Hagenmüller, de Bône, mission Hamy et J. E. de la Croix (entrée 1887. Paul Hagenmüller (mort en 1900), fut le médecin-chef de l’hôpital de Bône (Annaba, Algérie) vers 1884-1885.
10- MNHN-HA-11070. Crâne de Messaoud Ben Haouel, exécuté à Annaba (Bône), en 1882, Algérie. Don Hagenmüller, de Bône, mission Hamy et J. E. de la Croix (entrée 1887-17).
11- MNHN-HA-11071. Crâne d’El Khodja Ben Amar, exécuté à Annaba (Bône) en 1882, Algérie. Don Hagenmüller, de Bône, mission Hamy et J. E. de la Croix (entrée 1887-17).
12- MNHN-HA-217. Crâne de Saïd, marabout kabyle décapité en 1841 à Bab Al-Loum, Alger. Don Bory de Saint Vincent. Il s’agit du marabout que décrit Bory de Saint-Vincent : «Le num. 1 fut un marabout, saint personnage kabyle pur-sang, natif du Sahel, décapité dans l’un des faubourgs d’Alger où il avait été pris en flagrant délit prêchant ouvertement, au nom de Dieu, la révolte et le meurtre.» (Bory de Saint-Vincent. Sur l’anthropologie de l’Afrique française. In : Magasin de zoologie, d’anatomie comparée et de paléontologie, année 1845, 1849 : 1-19.)
13- MNHN-HA-33733. (Non identifié). Crâne d’un chef kabyle mort à l’île Sainte Marguerite. Située au large de la ville de Cannes, l’île est connue pour avoir servi de bagne pour les résistants algériens rescapés des troupes de l’Emir Abdelkader. Le chérif Boubaghla y aurait été emprisonné. Coll. Broca 0.116.
14- MNHN-HA-29043. (Non identifié). «Tête d’Arabe algérien conservée par le mercure et la dessiccation solaire, 1865. Dons M. Périer à la Société d’anthropologie de Paris. […] Voici maintenant une tête arabe, celle d’un jeune guerrier de la tribu des Hadjouts, coupée aux environs d’Alger, le 7 mars 1839. J’étais alors chirurgien du Bureau arabe d’Alger, et je dois dire comment cette tête vint en ma possession. Les Hadjouts, tribu révoltée, faisaient des incursions jusque dans la Mitidja et terrifiaient toute la contrée. Nos gendarmes maures (cavalerie du Bureau arabe) étaient sans cesse en campagne dans le but de surprendre ces redoutables maraudeurs et quand il y avait des rencontres, malheur aux vaincus. Un jour, ils coupèrent trois têtes qu’ils rapportèrent dans un sac. J’en demandai une au directeur des affaires arabes, le commandant Pélissier et, voulant la conserver, je résolus de la dessécher en la momifiant.» (Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, séance du 4 mai 1865, 1865, 6 : p. 224.)
15- MNHN-HA-33653. Eddine Ben Mohammed (?). «Crâne d’Arabe tué en 1895, un des premiers insurgés, meurtrier du lieutenant Weinbrenner en 1881. Don du Dr Beaussenat à la Société d’anthropologie de Paris. Dans cette affaire, celui qui avait déclenché tous ces événements, Eddine Ben Mohammed, l’assassin de Weinbrenner, trouvait la mort.» (Pierre Boyer. L’Odyssée d’une tribu saharienne : les Djeramna (1881-1929. Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1971, 10: 27-54.) Eddine est l’ancêtre du recteur de la Mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubekeur. Il fut le chef de l’insurrection des Ouled Sidi-Cheikh. Je lui en ai fait part de son identification, il m’en a remercié chaleureusement.
16- MNHN-HA-298. Crâne de Mohamed Ben Arbi, 18 à 20 ans. «Kabyle de la tribu des Béni Menacer, province d’Alger, prisonnier de guerre, mort à Alger le 26 avril 1843. Don Flourens, coll. Guyon, chirurgien de l’armée d’Afrique.»
Soit au total 16 prisonniers de guerre, officiellement identifiés dans les archives du MNHN.
Un prisonnier de guerre n’est-il pas un résistant ?
Pierre Dubreuil, directeur général du MNHN de Paris, dans une déclaration à la rédaction du journal Liberté d’Alger, le 22 décembre 2017, semble n’avoir jamais consulté les documents du MNHN que j’ai utilisés dans mes travaux. Il déclare : «On est en mesure de dire qu’il y a au plus de sept crânes de résistants algériens dans les collections du Muséum national d’histoire naturelle.»
Un prisonnier de guerre n’est-il pas un résistant, un partisan emprisonné pour avoir porté les armes contre l’ordre établi ?
De même que Bruno David, président du MNHN, qui dit : «(Il y a) à la fois des résistants, des Algériens ayant combattu avec les Français mais aussi possiblement des droits communs (…) Pour le moment, nous avons pu établir que sept crânes sont, de manière indubitable, ceux de résistants algériens…»
Pour Alain Froment, un autre fonctionnaire du MNHN, ces crânes appartiennent à des voleurs, des bandits de droit commun.
Un bandit d’honneur est-il un combattant de la liberté ?
Messaoud Ben Zelmat (Ug Zelmad en berbère), un bandit d’honneur de Tkout dans les monts Aurès, qui était considéré de 1917 à 1921 par les autorités françaises, armée, police et gendarmerie, comme un malfaiteur, fut pour la population des Aurès un héros aussi estimable que ne l’est Robin des Bois ailleurs.
Nous avons aussi l’exemple du grand révolté Krim Belkacem surnommé «le Lion des djebels», qui vécut pendant des années dans le maquis avant le déclenchement de la Guerre de libération algérienne. Chef historique du Front de libération nationale (FLN) durant la Guerre d’indépendance algérienne, il fut le signataire des Accords d’Evian en tant que vice-président du Gouvernement provisoire de la République algérienne. Krim Belkacem repose au Carré des martyrs à El Alia, à Alger.
«Fellaga», «hors-la-loi», «bandit»
Durant la Guerre de libération 1954-62, les résistants algériens, combattants de la liberté, étaient qualifiés de hors la loi, de bandits. Le mot le plus utilisé, emprunté à l’arabe maghrébin, est celui de fellaga, pluriel de felleg, «bandits de grands chemins qui rançonnaient les voyageurs» ou encore «pourfendeur, casseur de têtes, fauteur de troubles». Par la suite, il désignera les «rebelles soulevés contre l’administration française». Il suffit de se reporter aux journaux de l’époque : L’Echo d’Alger, La Dépêche quotidienne, Dernière Heure, etc.
Les mots «bandits», «hors-la-loi», «brigands» ont commencé à être employés par les Français dès le matin du 1er novembre 1954, le premier jour de la guerre d’indépendance 1954-62, lorsque l’autocar qui assurait la liaison entre Biskra et Arris fut arrêté par les premiers «rebelles» dans le massif des Aurès. Les premiers résistants de la Guerre de libération s’en prirent ce jour-là au caïd Hadj Sadok, dont le rang militaire était celui de lieutenant de réserve de l’armée française. Le premier drame qui augurait du début de la fin de l’Algérie française allait avoir lieu. Le caïd Hadj Sadok, déclarant refuser de «discuter avec des bandits», tenta de saisir le pistolet qu’il cachait sous son ceinturon. Il fut abattu, de même que l’instituteur français qui l’accompagnait.
Toutes les révolutions qui emportent des vies sont cruelles. La Révolution algérienne a été, et reste, le modèle et le symbole de la libération pour les pays du tiers monde, comme d’autres. La Révolution française, qui reste un modèle pour les pays européens, pour avoir proclamé l’égalité des citoyens devant la loi et les libertés humaines fondamentales, fut impitoyable envers ses «traîtres».
Trois crânes de supplétifs de l’armée française
A propos de cette restitution, on ne sait trop comment trois crânes de supplétifs indigènes engagés sous le drapeau français furent subrepticement glissés parmi les six commandants de différentes insurrections et les prisonniers de guerre restitués à l’Algérie.
Accord trouble entre les deux pays ? Ou coup fourré de certains politiciens métamorphosés illico en scientifiques et qui n’ont toujours pas réalisé que la guerre remportée par les Algériens est terminée depuis soixante ans.
Ces trois supplétifs indigènes engagés dans l’armée française, pour la préservation de l’Algérie française, rapatriés à Alger le 3 juillet 2020 et qui ont été inhumés au Carré des martyrs d’El-Alia sont les suivants :
1- MNHN-HA-296. Amar Ben Sliman, tirailleur au service de la France.
2- MNHN-HA-300. Belkacem Ben Mohamed El Djennadi, tirailleur au service de la France.
3- MNHN-HA-3860. Ali Kalifa Ben Mohammed, soldat aux Zouaves (né à Constantine en 1812, «d’un Arabe et d’une négresse», selon la fiche d’identification qui figure sur l’emballage cartonné de ces ossements).
L’historien Benjamin Stora s’emmêle les pinceaux en attribuant tous les crânes à la bataille de l’oasis de Zaâtcha. Alors que Boubaghla et Al-Titraoui menèrent leurs insurrections dans des lieux différents, en Grande et Basse Kabylie.
«On parle beaucoup de la guerre d’Algérie (1954-62) mais, dans le fond, on connaît mal la période de la conquête coloniale. Ces 24 crânes sont ceux de résistants, combattants algériens qui se sont battus au pied des Aurès et dont le chef, Cheikh Bouziane, a été décapité», indique l’historien sur TV5 Monde du 4 juillet 2020.
A propos de crânes non identifiés
Parmi les crânes non identifiés figure celui portant la référence MNHN-HA-29043. «Tête d’Arabe algérien conservée par le mercure et la dessiccation solaire, 1865. Don de M. Périer à la Société d’anthropologie de Paris (SAP)», une structure fondée en 1859 par un groupe de scientifiques dirigé par le médecin et anthropologue Paul Broca. Deux crânes devaient être remis aux Algériens lors d’une cérémonie à Paris fixée au 28 juin 2021. «Mais contre toute attente, écrit le journal Le Monde, les Algériens ne sont pas venus les récupérer.» L’Algérie refusait-elle d’être bernée une seconde fois ? Honte à qui me trompe une fois, honte à moi si on me trompe deux fois, dit l’adage.
Le cas abject du crâne nommé : la «sorcière de Blida»
MNHN-HA-247. «Sorcière de Blida» (non identifiée) «Sorcière de Blida. Donnée par le Dr Caffe (1854)», Algérie.
Sous cette référence est dissimulée la tête «d’une jolie petite fille algérienne âgée de 7 à 8 ans». Aucun renseignement, ni aucune archive sur cette enfant n’existe sur cette dissimulation ignoble d’une information à caractère scientifique. Cette tête a été donnée par le Dr Caffe, qui a contribué aux collections en 1854.
Aucune identité de la fillette. Sa filiation, la région en Algérie dont elle est originaire ont disparu, ni ne sont accessibles dans la base de données du Muséum. Le crime parfait. Un procédé ignoble qui en dit long sur la barbarie coloniale, sur le déni de l’appartenance à l’humanité de ces «indigènes» hommes, femmes, vieillards et enfants sur laquelle elle était fondée, ainsi que sur la complicité de nombreux savants et collectionneurs français de l’époque, avec la vision raciste de l’univers qui imprégnait l’Europe à cette période.
Les Français décapitaient des fillettes
Cette «sorcière de Blida» n’est pas la seule enfant à subir ce sort.
Au cours du mois de décembre 1845, la tête d’une autre enfant a été envoyée au Muséum de Paris, dans un baril qui servait ordinairement à transporter du vin. On installa cette tête entre un fœtus de 6 à 7 mois et des portions de peaux qui trempaient dans du formol, prélevées sur plusieurs femmes algériennes. L’expéditionnaire de cette tête d’enfant rajouta à la fin de sa lettre : «Je conserve encore dans l’alcool plusieurs têtes d’hommes et de femme.» Deux enfants qui commençaient à peine à vivre, à l’âge où ailleurs, en France, les petites filles jouent à la poupée.
En conclusion
Pourquoi les autorités françaises se sont-elles débarrassées en catimini de ces trois supplétifs ? Est-ce pour causer du tort aux Algériens, en désacralisant le Carré des martyrs où sont enterrés la plupart des héros de l’Algérie indépendante ? Ou alors s’agit-il de relents de xénophobie larvée et surannée, politico-scientifique, à laquelle on assiste chaque jour que Dieu fait à travers les médias en France, tous supports confondus (chaînes de la télévision, radios, journaux) ?
Autre hypothèse : les Algériens étaient-ils au courant de l’identité des crânes litigieux ? «Bien sûr, c’est dans le rapport qui n’a pas été rendu public, il y a l’ensemble de la documentation, avec des photos. Nous n’avons conservé que ceux dont on a été certains de l’identité, il n’y a pas d’anonyme», ajoute l’ancien coprésident du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
«Pourquoi les autorités algériennes ont-elles choisi d’inhumer des crânes qui ne sont pas ceux de résistants dans un haut lieu symbolique ? Pourquoi ne pas les avoir écartés ? Négligence ? Précipitation ?» Des questions du journal Le Monde qui restent ouvertes.
Le président Emmanuel Macron récupère mon idée en catimini
En 2017, les autorités algériennes, après des années de lourd et intenable silence, ont enfin exprimé le désir de rapatrier ces crânes. Suite à la visite à Alger du président Emmanuel Macron qui avait exprimé son accord pour rendre les crânes des martyrs algériens, un comité franco-algérien est mis en place pour identifier les restes pouvant être restitués. C’est à ce moment-là que les autorités algériennes, à travers le CNERH, un organisme étatique, me demandèrent d’établir un nouvel inventaire qui servirait de plateforme de travail pour le rapatriement des crânes. J’ai fait également partie de cette commission avant d’en claquer la porte, des mois plus tard, pour incompatibilité scientifique, ne voulant pas cautionner n’importe quoi.
Le lundi 15 mai 2017, j’ai adressé dans la foulée une lettre à Emmanuel Macron qui débutait par : «Monsieur le Président, comme beaucoup d’Algériens, j’ai applaudi à votre position courageuse, à propos des crimes commis contre les Algériens par la France, de 1830 à 1962… J’ai découvert au cours d’un travail de recherche au Muséum de Paris, au début du mois de mars 2011, les restes mortuaires de plusieurs dizaines de résistants algériens. Des commandants, de simples soldats qui luttaient pour la liberté. De simples citoyens et compatriotes, hommes et femmes, des enfants. Je lutte depuis mars 2011 pour le rapatriement de leurs restes en Algérie, leur sol natal…»
Quand ma suggestion à Emmanuel Macron est adoptée
Ma lettre se terminait par une simple suggestion à Emmanuel Macron : «Le 5 juillet est une date symbolique. C’est celle officielle de la conquête de l’Algérie par le Corps expéditionnaire français en 1830, et c’est surtout la date à laquelle mon pays opprimé fut réintégré à l’Histoire en 1962. Ce serait un beau geste de votre part que le choix de cette date prochaine pour la restitution aux Algériens des restes mortuaires de leurs héros.»
Je n’ai pas reçu de réponse à ma lettre. Par contre, ma précieuse recommandation fut retenue par l’entourage du président Macron. S’ensuivirent une cavalcade effrénée et une course de fond contre la montre pour que l’affaire des crânes soit close et ficelée pour le 5 juillet 2020.
L’approfondissement de la recherche et de l’identification des crânes fut interrompu sur les instructions de M. Macron, qui voulait à tout prix que les crânes soient rendus avant le 5 juillet 2020, jour anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Le président Tebboune, qui n’en demandait pas tant, fut touché et se réjouit du choix si attentionné de cette date hautement symbolique adoptée par le président de la République française, Emmanuel Macron.
Festival de tartuffes
C’est ainsi que par empressement et beaucoup d’impatience, agenda oblige, qu’a eu lieu l’inhumation dans un même lieu des têtes de trois supplétifs collaborateurs de l’armée coloniale et de l’Algérie française, opposés à la libération de l’Algérie du joug impérialiste, aux côtés de grands noms de l’Algérie libre et de résistants héros de la Guerre de libération.
Le 5 juillet 2020 à Alger, ce n’est rien d’autre qu’une défaite cuisante déguisée en victoire assourdissante. Une farce de l’histoire. Un peuple mystifié.
Paraphrasant Caton, le censeur qui voulait détruire Carthage, je me demande comment deux spécialistes chauvins du MNHN, en pensant à cette triste affaire, peuvent se regarder sans rire.
Une contribution d’Ali-Farid Belkadi –
A.-F. B.
Anthropologue, historien
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