BRICS : ces facteurs géostratégiques omis par les «experts» et les journaleux
Une contribution d’Ali Akika – Rappelons des évidences pour ne pas dire des lapalissades dans les rapports internationaux. L’appartenance des Etats à un même groupe et autres associations ne fait pas disparaître leurs contradictions et le corollaire de ces contradictions se retrouve, habite les rapports de force au nom des intérêts bien compris de chaque Etat. En dépit de ces contradictions, les BRICS ont acté l’entrée de six nouveaux membres lors de leur réunion du 22 au 24 août 2023. On remarquera que le résultat de cette rencontre n’a pas échappé aux Américains au regard de leur réaction assez «douce». Il en est de même pour le président français, obligé de faire une lecture prenant en compte la dynamique enclenchée par les BRICS dont son pays ressent les effets, la conjoncture africaine en est un signe (1).
Quant aux réactions des journaleux, l’un d’eux, particulièrement haineux à l’encontre de l’Algérie, fit l’analyse suivante pour apaiser son dépit : «Je veux expliquer aux Algériens les raisons de l’échec de leur pays aux BRICS» (ce sont ses mots exacts). J’étais rassuré par le mot «échec» dans la bouche de ce perroquet qui fait partie de cette servile armée qui bassine l’opinion avec les «échecs» des Russes et les «succès» tonitruants des Ukrainiens (2). Je ne vais donc pas utiliser la méthode de ce journaleux qui a un respect douteux des mots en les mettant au service de la fabrique du mensonge qui veut faire passer ses fantasmes pour LA «vérité». Et les munitions de ce type de journaleux que l’on retrouve dans certains réseaux sociaux ont pour nom rumeur, préjugé de caniveau sentant bon le racisme.
Comme dans mon précédent article, j’ai aligné les facteurs de la géostratégie qui ont concouru à l’élection des six nouveaux membres des BRICS. Dans le présent article, je m’appui sur deux informations parues dans la presse qui peuvent donner une idée sur la manière utilisée par les membres des BRICS pour surmonter les écueils de certaines de leurs contradictions et qui se sont soldées par l’admission de nouveaux entrants.
La première information fait état de la position de l’Inde qui «menacerait» de baisser les importations de pétrole russe. La seconde information, c’est la décision de l’absence du président chinois qui sera représenté par le Premier ministre à la prochaine réunion du G20 présidée par l’Inde. La première information touche la Russie qui vend du pétrole à l’Inde qui ne respecte donc pas les sanctions occidentales. La «menace» de l’Inde de diminuer ses importations russes obéit-elle à des pressions américaines après la visite triomphale du Premier ministre indien aux Etats-Unis ? Ou bien ladite menace est-elle une carte pour forcer la Russie à augmenter la remise qui est déjà généreuse dont le taux est de 30% ? Ce petit jeu de marchand de tapis ne marchera pas avec les Russes, d’autant qu’ils savent que l’Inde achète leur pétrole, le raffine et le vend à l’Europe assoiffée – somme de bénéfice doublement rondelette. Donc, celui qui a perdre à ce petit jeu, c’est l’Inde.
De plus, il ne faut pas oublier que l’Inde dépend de l’armement russe car les Etats-Unis ne leur vendent pas des armes pour protéger leur allié, le Pakistan, en guerre «ouverte» avec l’Inde depuis leur indépendance sur le contentieux frontalier hérité de la perfide Angleterre. Et c’est aussi un contentieux frontalier qui sépare l’Inde et la Chine. Toutes ces contradictions au sein des BRICS n’ont pas empêché la réussite de la rencontre mais ont laissé des traces. Résultat des courses, l’Iran, qui est le cauchemar des Américains et des Israéliens, a été admise au sein des BRICS. L’Inde a dû se contenter de quelques miettes mais l’union de la Russie et de la Chine a balayé les réticences de l’Inde. L’Iran est une pièce maîtresse de par sa géolocalisation stratégique, sa puissance militaire et ses différents relais maritimes et terrestres de la Route de la soie de la Chine. Il est évident que la Chine et la Russie n’allaient pas s’asseoir sur les accords avec l’Iran d’autant que la Chine est garante du rapprochement Iran-Arabie Saoudite, deux puissances pétrolières et les dollars qui viennent avec…
Ainsi, c’est ce tableau où s’enchevêtrent des acquis géostratégiques, d’immenses intérêts économiques et financiers et, enfin, une carte politique qui esquisse les contours de nouvelles données pour faire émerger le multilatéralisme qui garantit l’égalité entre les pays, qui a été exposé au monde le 24 août. Ledit tableau explique la «modération» des Américains, après les coups d’Etat en Afrique, pour éviter de connaître des ennuis comme la France. Leurs diplomates envoyés en Arabie Saoudite, en Algérie, ont pour but de calmer le jeu au Moyen-Orient et au Sahel.
Voici donc les effets engendrés par les nouvelles cartes géostratégiques après la réunion des BRICS sur lesquels les «experts» et autre journaleux ont fait l’impasse. Ces experts ont préféré s’intéresser à la main de Moscou au Sahel comme au bon vieux temps de la colonisation «classique». Après cela, ils se sont intéressés à leur obsessionnelle Nostalgérie qui aurait été «recalée» en omettant de signaler d’autres pays «recalés» tout aussi importants et méritants que l’Algérie. Notons l’Indonésie, pays où naquit en 1955 la conférence des Non-Alignés et économie émergente comme l’indomptable Vietnam, lui aussi émergent économiquement. Le Venezuela, Cuba, amis de la Chine et de la Russie n’ont pas été élus, preuve que tous ces pays ont besoin de se préparer pour ne pas être un boulet pour les BRICS, et donc élever le niveau de l’appareil de production pour avoir des marchandises à échanger. Et ce n’est pas tout : être dans un an capable de présenter un dossier sur la monnaie nationale pour faciliter les échanges et devenir un actionnaire de la banque des BRICS. Une monnaie nationale qui servirait d’instrument d’échange des BRICS est à l’ordre du jour de la prochaine rencontre en 2024, en Russie. Difficile de l’aborder dans cet article.
La monnaie, problème ardu sur le plan théorique et terrain jonché d’embûches, mérite d’être traitée sérieusement. Sérieusement comme l’ont été des contributions aussi bien de chez nous que dans des réseaux sociaux français qui ont calmé les ardeurs et l’hystérie de la faune qui s’obstine à croire à l’invincibilité de son navire qui prend l’eau de toute part et qui aura du mal à rejoindre un port d’attache qui le protégerait de la tempête qui s’annonce.
Un dernier mot : les onze chefs d’Etat qui vont se réunir l’an prochain vont prendre leur décision en s’appuyant sur les données et les atouts économiques et politiques de chaque pays et non sur le mode de vie ; c’est le principe de base des BRICS. Ils n’ont ni le temps ni l’envie de s’appuyer sur le mode de vie de l’Inde où les vaches circulent librement dans les rues (3). Le 22 août, en Afrique du Sud, ils ont signifié à l’Inde qu’il était de son intérêt de rester dans les BRICS et non d’être la voix de son maître. L’originalité des BRICS, c’est d’être libre de ses mouvements sur la scène internationale, mais de ne pas gêner les mouvements des autres pour faire plaisir à un quelconque gendarme.
A. A.
(1) Déclaration de Macron à la conférence des ambassadeurs de France où il note l’émergence et le rôle des BRICS. Adaptation nécessaire au moment même du coup d’Etat au Niger, suivi le lendemain de celui du Gabon.
(2) Les mots servent à traduire la pensée des hommes pour comprendre la complexité et les mystères du monde. Avec la guerre en Ukraine, on a atteint le summum de l’insulte de l’intelligence. Les mots ne servent plus de moyens de comprendre le monde mais de le soumettre aux délires d’un système à bout de souffle.
(3) Je fais allusion au statut sacré de la vache chez les Indiens qui renseigne sur les cultures des mondes préférables aux préjugés et autres lieux communs dans certains articles et posts qui insupportent.
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