La différence de traitement des réfugiés renseigne sur le racisme institutionnel de l’Europe
Une contribution de Khider Mesloub – Dès le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, en l’espace de quelques jours, plusieurs millions d’Ukrainiens ont fui leur pays pour se réfugier dans de nombreux Etats européens. Dès le début de la guerre en Ukraine, le sort des habitants de l’Ukraine qui fuyaient le conflit a provoqué immédiatement un véritable émoi populaire à travers toute l’Europe. Un élan de solidarité spontané. Les migrants ukrainiens ont été accueillis avec promptitude et sollicitude par l’ensemble des pays européens.
Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) a comptabilisé près de 8 millions de réfugiés ukrainiens. Cela représente 20% de la population du pays. Un peu plus de la moitié de ces citoyens ukrainiens exilés – 4,8 millions – ont trouvé refuge dans un Etat membre de l’Union européenne et le Royaume-Uni. Cet exode est le plus massif en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Sans hésitation ni discrimination, tous les pays membres de l’Union européenne ont ouvert leurs frontières pour accueillir les réfugiés ukrainiens. Aussitôt, ils leur ont accordé le statut de protection temporaire.
Pour rappel, la protection temporaire permet à ses bénéficiaires et à leur famille d’obtenir automatiquement un droit au séjour dans l’Etat membre de leur choix, ainsi qu’un accès au marché du travail, au logement, à la santé, à l’éducation et à l’assistance sociale. La protection temporaire dure au minimum un an mais peut être prolongée jusqu’à trois ans. Voire au-delà.
Depuis leur arrivée dans les pays de l’UE, les Ukrainiens bénéficient de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), bien qu’ils ne soient pas demandeurs d’asile. Le montant de l’allocation est fixé à 6,80 euros par jour pour une personne, majoré à hauteur de 3,40 euros par personne supplémentaire dans le foyer, dans l’hypothèse où il est logé aux frais du contribuable. Et de 14,20 euros/jour si aucune solution d’hébergement n’est proposée au demandeur. A cette allocation s’ajoutent les aides personnalisées au logement (APL), la Protection universelle maladie, c’est-à-dire l’assurance maladie, qui leur permet de bénéficier gratuitement des soins médicaux. Les migrants ukrainiens peuvent également s’inscrire à Pôle emploi pour décrocher un travail ou poursuivre une formation professionnelle.
Mieux. Les réfugiés ukrainiens, automatiquement bénéficiaires de la protection temporaire, peuvent également effectuer des demandes d’inscription au répertoire des métiers ainsi que des demandes d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés afin d’exercer une profession indépendante.
En outre, tous les jeunes mineurs ukrainiens peuvent s’inscrire dans un établissement scolaire. Pareillement pour les jeunes majeurs, ils peuvent prétendre poursuivre des études dans l’enseignement supérieur, ou intégrer des centres de formation pour adultes. Bénéficier de bourses d’études. Etre hébergés dans les résidences universitaires. Bénéficier de repas en restaurant universitaire à 1 euros et de subventions pour l’achat de matériels scolaires et de livres.
Pour rappel, uniquement en ce qui concerne la France qui n’accueille pourtant que 115 000 migrants ukrainiens, le coût moyen par réfugié ukrainien en 2022 aura été d’environ 5 462 euros par personne, sans compter la rémunération versée aux familles d’accueil. Le coût total dépensé est de 630 millions d’euros. Pour l’année 2023, ce sera plus d’un milliard. A l’échelle de l’Union européenne, pour la prise en charge des 8 millions de réfugiés ukrainiens, cela représente plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Le contraste entre l’accueil réservé aux ressortissants ukrainiens et celui réservé ordinairement aux exilés d’autres nationalités, notamment les réfugiés orientaux, maghrébins et subsahariens, est frappant. La différence de traitement est flagrante. Les migrants du tiers-monde subissent un traitement violent et dégradant dans tous les pays européens, notamment en France.
Ainsi, deux poids et deux mesures dans l’accueil des exilés provenant d’autres pays. Pour preuve. L’accueil réservé au débarquement de 6 000 réfugiés africains sur l’île italienne de Lampedusa. Tous ces réfugiés viennent de pays où sévissent la pauvreté ou les conflits régionaux provoqués par le capitalisme mondialisé et les pays impérialistes occidentaux.
Et pourtant, en guise d’accueil, les autorités de la petite île ont décrété immédiatement l’état d’urgence. L’état d’urgence est normalement une mesure prise par un gouvernement en cas d’atteinte grave à l’ordre public, de troubles graves. Il se traduit par un renforcement des pouvoirs de police, des restrictions de certaines libertés publiques ou individuelles.
Pour information, à Lampedusa se trouve l’un des nombreux «hotspots», appelés de manière euphémistique «centres d’accueil et de tri pour les migrants». Au vrai, ce sont de véritables prisons à ciel ouvert, installées principalement en Italie et en Grèce. Récemment, le site d’information Info Migrants avait décrit les terribles conditions de vie réservées aux réfugiés parqués dans ces camps de rétention : «En juillet 2022, des photos publiées dans la presse, montrant l’intérieur du centre croulant sous les ordures et des exilés contraints de dormir à l’extérieur sur des matelas en mousse, avaient poussé les autorités à l’évacuer d’urgence.»
Comme il fallait s’y attendre, dans la majorité des pays européens, notamment en France, la droite et l’extrême-droite sont aussitôt montées au créneau pour instrumentaliser la situation et, surtout, déverser leur haine xénophobe et prôner des mesures racistes et répressives contre les réfugiés africains arrivés sur l’île de Lampedusa. Pour Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres en Italie, l’arrivée de tant de migrants représente un «acte de guerre». L’année dernière, en février-mars 2022, en quelques semaines, 175 000 migrants ukrainiens avaient déferlé sur l’Italie. Le traitement bienveillant réservé à ce déferlement de migrants ukrainiens orchestré par les instances européennes avait été qualifié d’«acte d’amour». D’«acte d’humanité». Les Italiens étaient invités à ouvrir leur cœur pour accueillir cet afflux de migrants ukrainiens, mais également leur maison pour offrir le gîte et le couvert à ses slaves venus d’Ukraine. Les migrants africains n’ont jamais bénéficié d’un pareil accueil. Notamment les derniers arrivés sur l’île de Lampedusa. Pourtant, ce ne sont pas 8 millions de réfugiés africains qui ont débarqué en Europe, mais 6 000.
En France, Marine Le Pen, emboîtant le pas à Matteo Salvini, a tweeté : «Qui refusera encore de parler de submersion quand il arrive en quelques heures l’équivalent de la population d’une île ? Bien sûr, ces migrants ne resteront pas à Lampedusa.» Quant à sa nièce, Marion Maréchal, elle a déclaré sur BFMTV qu’il s’agit de «défi civilisationnel». Et a ajouté : «Ce n’est que le début […], on peut parler d’une submersion migratoire.»
La crise des réfugiés africains arrivés sur l’île de Lampedusa vient nous rappeler que l’humanitarisme occidental est à géométrie variable. En Occident, les règles d’hospitalité ne sont pas les mêmes selon l’origine ethnique des réfugiés, autrement dit, la pigmentation de la peau de l’exilé. Cette hospitalité à deux vitesses est aussi la marque du racisme sous-jacent qui imprègne la politique migratoire de l’Union européenne, notamment la France qui refuse catégoriquement d’accueillir des réfugiés «extra-européens» dans les centres d’hébergement.
Aux yeux racistes de certains Occidentaux, les réfugiés qui comptent sont les exilés blancs. Comme l’illustre l’exemple des Ukrainiens. Par rapport aux autres réfugiés, la qualité reconnue aux réfugiés ukrainiens est celle d’être blanc, aryen. L’Occident a accueilli favorablement les Ukrainiens par solidarité raciale.
La différence de traitement des réfugiés nous renseigne sur le racisme institutionnel et décomplexé des Etats Occidentaux. L’hospitalité sélective des pays européens nous renseigne également sur le racisme des politiques migratoires en vigueur.
K. M.
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