Créer partout des Comités Palestine de Base à l’image des Comité Viêt Nam de Base
Une contribution de Kaddour Naïmi – La Palestine actuelle est le Viêt Nam du passé. Les personnes de ma génération se souviennent : notre adolescence reçut le baptême de la conscience internationaliste durant la résistance populaire vietnamienne. J’étais étudiant à Strasbourg, dans les années 1966-1968 (1). Alors, nous découvrions avec stupeur et indignation la vérité : la prétendue «défense du monde libre contre le communisme», proclamée par l’oligarchie états-unienne, se révélait une criminelle guerre d’agression impérialiste, à la méthode de guerre nazie dans ses actions (napalm, massacres de villageois civils, punitions collectives, terre brûlée, etc.) et dans sa propagande inspirée de Joseph Goebbels : «Plus le mensonge est gros, plus il passe». La majorité du peuple états-unien crut à ses représentants oligarchiques, à leurs médias, à ses intellectuels et artistes.
Quelques-uns d’entre nous, au Comité Viêt Nam de Base, proposâmes au camarade vietnamien, membre de notre comité à Strasbourg, de rejoindre le Viêt Nam pour combattre aux côtés des patriotes vietnamiens. Ce camarade nous remercia puis nous déclara : «Le peuple vietnamien est en mesure de se défendre tout seul, mais il apprécie un soutien extérieur pour démasquer la propagande impérialiste en révélant la réalité sur la résistance vietnamienne aux peuples des nations impérialistes, bienvenue aussi à une aide matérielle.»
Au Comité Viêt Nam de Base, j’apprenais à distinguer entre la propagande impérialiste et la vérité sur la résistance populaire vietnamienne. Ma conscience sociale, éthique, idéologique et politique s’améliorait. De ma conception patriotique nationaliste algérienne, acquise lors de la Guerre de libération nationale de mon pays de naissance, je parvenais à une conscience internationaliste : le combat vietnamien n’était pas seulement national patriotique, mais s’inscrivait dans le combat de l’humanité entière pour se libérer de toute domination impérialiste, en particulier celle exercée par l’oligarchie états-unienne, chef de file des autres oligarchies vassales.
On sait combien de décennies dura la résistance du peuple vietnamien, combien elle endura de crimes de guerre commis par les armées impérialistes successives : japonaise, française, états-unienne. On connaît la menace de l’officier états-unien : réduire le Viêt Nam à «l’âge de pierres». On se souvient combien les bombes et le napalm se déversèrent sur le peuple vietnamien. Devant ces crimes de guerre impunis, je me rappelle nos moments de désespoir et la demande angoissée : «Le peuple vietnamien tiendra-t-il ?» On savait que s’enterrer représentait pour les combattants une manière de résister aux bombardements, qu’ils disposaient d’une direction militaro-politique ferme et clairvoyante, capable de transformer la faiblesse matérielle en force spirituelle, à son tour matérielle. Nous constations que le peuple états-unien prendrait conscience des crimes de «son» armée et commencerait à la contester seulement quand ses boys soldats tomberont sur le champ de bataille en un nombre retenu excessif. Telle est la conscience humaine : elle ne se réveille à l’injustice qu’après le versement de sang des membres de sa famille.
L’actuel siège du ghetto de Gaza par l’armée coloniale israélienne ne rappelle-t-il pas le siège du ghetto de Varsovie par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale ? Et la résistance actuelle du peuple de Gaza ne rappelle-t-elle pas celle du peuple de Stalingrad au cours de la même guerre mondiale ? Et les résistants juifs dans le ghetto de Varsovie, comme ceux russes de Stalingrad assiégée, ne furent-ils pas traités de «terroristes» par les nazis ?
Les représentants des oligarchies impérialistes sont des cancres aveuglés par leur stupidité, enivrés par leur prétendue intelligence, incapables d’apprendre les leçons de l’histoire : est-ce un hasard si l’auteur de cette observation est le général vietnamien Giap, double vainqueur du colonialisme français puis de l’impérialisme états-unien ? Rappel historique : pour les colonisateurs européens du territoire amérindien, «un bon Indien est un Indien mort» ; pour les impérialistes états-uniens, «un Viêt-Cong bon est un Viêt-Cong mort» ; pour les colonialistes français, «un bon Arabe est un Arabe mort» ; pour les colonialistes israéliens, «un bon Palestinien est un Palestinien mort». Seuls les Amérindiens, impuissants à éliminer le colonialisme européen fort de ses armes et de sa perfidie, furent victimes de génocide, se virent contraints à parcourir le très douloureux «chemin des larmes» (2) pour survivre en pitoyables «indigènes» dans des «réserves».
De la religion
Si le peuple palestinien se voit le mieux défendu par une résistance d’idéologie religieuse, à qui la faute ? N’est-ce pas l’oligarchie israélienne qui encouragea sinon donna naissance à l’organisation Hamas pour contrecarrer celle laïque du Fatah ? Tandis que le Fatah considérait l’occupation israélienne comme un phénomène colonial, le Hamas voyait cette occupation d’abord comme un phénomène juif antimusulman. Cette dernière vision arrangeait les sionistes, parce qu’elle occultait l’aspect colonial. Ainsi, l’oligarchie israélienne, soutenue par son suzerain états-unien, suivi par ses vassaux européens, présente le conflit palestinien comme une opposition entre une nation «juive» et des nations «arabo-musulmanes». N’est-ce pas Blinken, le secrétaire d’Etat états-unien, qui déclara lors de sa récente visite en Israël, y venir en tant que «juif», alors qu’en réalité, il venait comme marionnette de ses maîtres oligarques états-uniens ? Ne devient-il pas clair que le conflit en Palestine n’est pas d’ordre ethnique-religieux, mais entre colonisateurs et colonisés ? Mettez fin à la colonisation, vous mettrez fin à ses conséquences religieuses, ethniques ou autres !
Celui qui voudrait une résistance palestinienne non à prépondérance religieuse, qu’il le démontre par son soutien à cette résistance au nom de son idéal laïc, qu’il montre ainsi la nature réelle du conflit : entre colonisateurs et colonisés. Que les premiers soient de religion juive et les seconds en majorité musulmane est une conséquence. La preuve ? Avant la création de l’Etat israélien, des juifs habitaient en Palestine pacifiquement aux côtés des Arabes palestiniens.
Ainsi, on démasque la tactique propagandiste impérialiste-sioniste. Elle cache l’enjeu véritable de la résistance palestinienne, un combat anticolonial, pour faire croire à une prétendue opposition «civilisationnelle» : «civilisés» contre «sauvages», «Blancs» contre «gens de couleur», «humains» contre «animaux», un langage inspiré de la propagande nazie de la «race aryenne supérieure» contre les «untermenschen» (sous-hommes).
Remonter à la cause première
Scène de rue. Un passant voit un homme gifler un autre et l’accuse pour son acte violent, tandis que le giflé crie son innocence. Un autre témoin qui, de sa fenêtre, avait suivi la scène depuis son début intervint : «Non ! Le gifleur n’est pas à accuser pour son geste car j’ai vu le giflé commencer, lui, a donné des tas de gifles, tellement de gifles que la victime, d’abord, tenta de convaincre l’agresseur de cesser sa brutalité, mais ce dernier continua à gifler l’autre qui, excédé, se vit contraint de se défendre, de la même manière, par une gifle contre l’agresseur.»
Signification de l’anecdote : pour juger d’un acte, il est indispensable de remonter à sa cause première. Autrement, on se trompe et on commet une injustice. D’où la question : quelle est la cause première des actions de violence de la part de Palestiniens ? Les violences israéliennes. Cela commença quand les sionistes décidèrent de créer un «foyer juif» en Palestine. Pour y parvenir, ils commirent une série de crimes de guerre contre le peuple palestinien, jusqu’à le contraindre à l’abandon de ses maisons et de ses terres, pour fuir comme réfugiés hors de sa patrie, en suivant, comme les Amérindiens, son «chemin des larmes», qu’il appela Nakba (catastrophe), et survivre dans les «réserves» concédées par le colonialisme sioniste vainqueur.
Cependant, le peuple palestinien n’est pas la seule victime du sionisme colonialiste. Une partie du peuple juif, elle aussi, fut et en demeure la seconde victime. Explication : l’oligarchie sioniste entreprit une immense manipulation psychologique, basée sur une interprétation opportuniste de l’Ancien Testament, pour convaincre les juifs d’Europe d’aller en Palestine, leur déclarant que «c’est une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Il y eut, aussi, une seconde manipulation qui visa les juifs idéalistes : les dirigeants sionistes leur firent briller l’utopie du socialisme des kibboutz. Troisième argument : offrir une terre d’asile aux survivants de la «solution finale» nazie, ce qui satisfaisait les intérêts allemands et européens qui se voyaient, enfin, sans trop de juifs sur leur territoire – «bon débarras chez les Arabes !»
Alors, des juifs vinrent en Palestine pour divers motifs : asile pour les survivants de l’holocauste, légitime «retour» biblique, création d’une communauté fraternelle socialiste. Et tous étaient dirigés par la nouvelle oligarchie sioniste coloniale, avec le soutien de la finance capitaliste internationale correspondante. Et voilà une enclave d’un colonialisme sous nouvelle forme au sein du Moyen-Orient : un Etat nommé Israël, dont l’oligarchie s’enrichit, se gonfla d’orgueil et d’arrogance pour elle-même, de mépris et d’exactions pour les vaincus, les Palestiniens. Quelle réussite du «génie occidental» ! Ovation de Machiavel.
Conclusion : la paix en Palestine exige la fin du colonialisme et la reconnaissance ses droits légitimes du peuple palestinien.
On peut retourner encore plus loin dans le passé à la recherche d’une cause originelle. Qui, le premier, réduisit des juifs en un peuple méprisé, dominé, exploité ? N’est-ce pas les premiers évangélistes ? Après eux, qui contraignit les juifs à vivre dans un ghetto avec interdiction d’exercice de certains métiers ? N’est-ce pas les Européens ? Quand les nazis entreprirent leur «solution finale», qui refusa aux juifs survivants (pas les riches, les pauvres) un asile, pour les envoyer plutôt en Palestine ? N’est-ce pas les Européo-Etats-uniens, avec l’accord, hélas, de l’Union soviétique ? Qui, aujourd’hui, utilise le territoire israélien comme «tête de pont», «poste avancé», «barrière de la civilisation occidentale» aux portes de l’Asie «barbare» ? N’est-ce pas les sionistes et leur suzerain états-unien, avec l’appui de ses vassaux européens ? Dès lors, qui sont les vrais responsables de la situation actuelle en Palestine, avec un peuple colonisateur et l’autre colonisé ?
Au sein de la bête
Devant les crimes actuels d’inspiration nazie – qui croit cet adjectif exagéré, qu’il consulte les faits historiques jusqu’à l’actuel bombardement massif de Gaza – de l’armée colonialiste israélienne, il est temps de former des Comités Palestine de Base partout dans le monde, en particulier dans les nations dominées par une oligarchie impérialiste. Comme durant la résistance vietnamienne, les Comités Palestine de Base revêtent une extrême importance. Ils montreront que le conflit en Palestine n’est pas entre juifs (ou judéo-chrétiens) contre musulmans, «Occidentaux» contre «Arabes». Vous vous souvenez des «museaux jaunes», expression des impérialistes européens puis états-uniens pour désigner les Asiatiques – les Chinois puis les Vietnamiens ? Vous vous souvenez des «fellaghas», terme des colonialistes français pour parler des résistants algériens ? Pour les colonialistes israéliens, les résistants palestiniens sont pire encore : des «animaux», dixit le ministre sioniste de la Défense.
Les Comités Palestine de Base doivent démasquer les fausses «démocraties» et autre «liberté d’expression» des oligarchies impérialistes. Ainsi, ils montreront que des citoyens de ces nations ne cautionnent pas, par leur silence ou leur vote, les crimes de leurs dirigeants nationaux, mais déclarent «Not in our name !» (pas en notre nom).
On peut comprendre que ces citoyens honnêtes de nations impérialistes soient restés inactifs avant le 7 octobre 2023. Alors, le peuple palestinien semblait incapable de résister suite à l’abandon général qui tendait à l’effacer comme peuple.
Mais le 7 octobre 2023 rappela que le peuple palestinien existe encore. Mieux ! Pour la première fois, il démontra plusieurs nouveautés. Israël n’est pas l’Etat superpuissant invincible, mais souffre de failles militaires, désormais sa survie nécessite le secours des porte-avions de son suzerain états-unien. Le combat n’est plus sur la terre d’autres pays arabes ou sur le territoire occupé, mais sur le territoire israélien. Le combat n’est plus entre armées arabes et armée israélienne, mais entre la résistante palestinienne et l’armée israélienne. Si des dirigeants de pays arabes et/ou musulmans ont vendu la cause palestinienne en échange de vils intérêts matériels, le peuple palestinien, lui, est capable de poursuivre sa résistance seul. Si les dirigeants de l’Autorité palestinienne ont trahi la cause du peuple qu’ils sont censés représenter, d’autres organisations de ce peuple sont en mesure de poursuivre la résistance avec succès.
Vu les mesures liberticides dans les nations dominées par des oligarchies impérialistes, la constitution de Comités Palestine de Base rencontrera une répression plus ou moins pesante de la part des autorités dominatrices. C’est le prix à payer pour montrer la solidarité internationaliste entre les peuples, vitale pour le salut de l’humanité. Juifs et Arabes, musulmans et chrétiens, religieux et laïcs, Israéliens et Palestiniens, «Occidentaux» et «Orientaux», tous les humains traités en «animaux» doivent comprendre qui est leur ennemi commun – les oligarchies coloniales, néocoloniales, impérialistes dirigées par leur suzerain états-unien – et qui est leur ami – toute personne, sans distinction de «race», de croyance, de couleur de peau, qui agit pour un monde de réelles liberté, égalité et solidarité.
Un pas consiste à créer des Comités Palestine de Base partout dans le monde, pas seulement pour porter une aide à la résistance palestinienne, mais à l’humanité entière et, par conséquent, à soi-même comme individu membre de cette humanité. Que vaut la musique d’une vie si elle n’existe pas dans la symphonie de la dignité humaine ?
K. M.
(1) Un Mai libre et solidaire : la traversée de 68 par un jeune Algérien, Editions Atelier de création libertaire, avril 2018.
(2) Voir le film Cheyenne Autumn de John Ford.
Comment (21)