Jeu trouble d’Abuja : le gazoduc Nigeria-Europe passe par l’Algérie ou le Maroc ?
Par Houari A. – A quoi jouent les autorités nigérianes qui changent leur discours avec une facilité déconcertante, en dépit de l’enjeu stratégique et économique important du gazoduc qui doit irriguer plusieurs pays africains jusqu’à l’Europe ? Abderrahmane Mebtoul relève que «nous assistons, depuis des années, à des déclarations contradictoires de différents responsables du Nigeria concernant le gazoduc Nigeria-Europe, une fois c’est avec l’Algérie, une autre avec le Maroc». Le président de la commission transition énergétique des 5+5, qui s’est tenue en Allemagne en 2019, rappelle la dernière déclaration en date, celle du ministre d’Etat nigérian de l’Energie, Ekperikpe Ekpo, qui a affirmé, le 3 décembre dernier, que «les travaux des infrastructures du projet du gazoduc Nigeria-Maroc débuteront en 2024, suite à l’accord conclu avec les pays qui seront traversés par le pipeline».
«Le Nigeria doit clarifier sa position une bonne fois pour toutes, car plusieurs hauts responsables nigérians avaient déclaré officiellement, courant 2022, que ce gazoduc passerait par l’Algérie», rappelle l’expert algérien, en ajoutant qu’«on ne doit jamais oublier qu’il faut tenir compte impérativement de la rentabilité de ce projet avant sa réalisation». Selon lui, «ce parasitage s’explique par le fait que cela dépasse le cadre strictement économique car, comme le démontre une importante étude de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui a également son mot à dire, est sous-tendu par des enjeux géostratégiques importants pour la région».
Le professeur Mebtoul fait constater que le coût du gazoduc Nigeria-Maroc est estimé par l’IRIS à environ 30 milliards de dollars, pour une durée de réalisation allant de 8 à 10 ans, tandis que la réalisation du gazoduc Nigeria-Algérie reviendrait, selon une évaluation de la Commission européenne, à environ 20 milliards de dollars, pour une durée de réalisation de 5 ans. La comparaison tourne donc allègrement à l’avantage de l’Algérie, d’autant plus que la longueur de la canalisation est de 1 532 kilomètres plus courte que si elle devait passer par le Maroc.
Le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Energie déclarait, dans une interview à la chaîne de télévision CNBC, en marge de la conférence Gastech, que son pays avait commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Europe via l’Algérie, qui possède trois canalisations opérationnelles.
La rentabilité du projet Nigeria-Europe suppose trois conditions, souligne l’économiste : «La mobilisation des financements qui devra impliquer des groupes internationaux ; la concurrence d’autres sources d’énergie, dont les énergies renouvelables, la percée de l’hydrogène vert et de la concurrence internationale qui influe sur sa rentabilité ; et, enfin, la sécurité, qui ne pourra être garantie que par des accords avec certains pays, le gazoduc traversant plusieurs zones instables qui mettent en péril sa viabilité».
«Les investissements dans le gaz sont très lourds et tout dépendra de l’évolution de la demande qui sera fonction du nouveau modèle de consommation énergétique mondial, lequel s’oriente vers la transition numérique et énergétique, avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et de l’hydrogène, qui déclassera une grande part de l’énergie transitionnelle», conclut le professeur Abderrahmane Mebtoul, en précisant que «l’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des Etats et de leurs politiques de sécurité», et que «les nouvelles dynamiques économiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent les recompositions politiques à l’intérieur des Etats, comme à l’échelle des espaces régionaux».
H. A.
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