Général Khaled Nezzar : l’homme qui a sauvé trois fois l’Algérie
Une contribution de Mourad Benachenhou – L’actualité est un fleuve torrentiel, qui ne s’arrête jamais, dont le cours charrie des faits divers, de tous types, des plus banals aux plus brutaux, et fait apparaître et disparaître des nageurs audacieux, qui tentent de remonter le courant, et dont certains survivent, et d’autres disparaissent sans laisser de traces. Dont les uns réussissent à rejoindre la rive, et dont les autres sont emportés par des flots impitoyables. Leurs noms sont oubliés et effacés définitivement des narrations historiques qui tentent de donner un sens aux événements et aux hommes emportés par ce fleuve.
Pourtant, parmi ceux qui ont su résister à ce fleuve puissant, qui semble condamner de prime abord à la défaite tous ceux qui osent le défier et le dévier de son cours, beaucoup sont oubliés, et peu d’entre eux reçoivent de leurs contemporains, comme de leurs compagnons, l’expression de la gratitude qu’ils méritent pour le rôle qu’ils ont joué dans l’histoire de leur pays. Souvent, ce sont des considérations de politique politicienne, des rancœurs personnelles créées par des ambitions frustrées, qui empêchent que soient rendus à ces hommes de valeur l’hommage et la reconnaissance nationale qui leur sont dus.
Khaled Nezzar fait partie de ces hommes qui ont changé le cours de l’histoire contemporaine de notre pays, dans la période la plus difficile qu’elle a traversée pendant la dernière décennie du siècle dernier et les premières années de ce siècle.
Comme l’a souligné Machiavel, l’être humain a une mémoire courte qui le pousse à l’ingratitude ; il vit dans l’instant et oublie rapidement les drames et les malheurs qu’il a vécus. Il est dans l’ordre de la nature comme de la société humaine d’effacer rapidement les traces douloureuses du passé et de ne retenir que les bonheurs vécus. Les hommes qui les ont aidés, à titre individuel ou à l’échelle de la société, pour ne pas dire de l’Etat et de la nation, replongent dans l’anonymat le plus total et ne se rappellent au souvenir des uns et des autres que par des détails et, évidemment lors de leur décès, pour, du moins, ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont pu être témoins de leurs services rendus.
Il y a plus de vingt années, à l’exception de quelques informations de presse, que le regretté Khaled Nezzar a disparu de la scène politique.
Et, pourtant, sans lui, l’Algérie aurait eu un parcours autrement différent de celui qu’elle a connu, parcours plus ou moins chaotique, plus ou moins difficile, mais parcours où ont été évitées non seulement les interventions étrangères, mais également un désordre armé savamment entretenu de l’extérieur, où les principes moraux proclamés cachent difficilement les intérêts économiques et stratégiques régionaux et internationaux.
Les ennemis extérieurs ne manquent pas, et chacun d’entre eux a son idée de ce que les choses devraient être dans notre pays, pour mieux servir les intérêts de puissances extérieures barbares et inhumaines, qui cachent leur vraie nature en prétendant défendre les droits de l’Homme, la démocratie, la liberté d’expression, les droits des minorités, etc.
Par trois fois l’Algérie s’est trouvée à la croisée des chemins, et par trois fois Khaled Nezzar a joué un rôle crucial pour lui éviter le chaos et l’effondrement.
On ne peut que les rappeler de manière brève, en souhaitant que des historiens, mieux armés intellectuellement et disposant de plus d’espace, de temps, et de sources, que l’auteur d’un bref hommage funèbre, reviennent de manière plus profonde et plus détaillée sur le parcours de cet homme exceptionnel, grâce auquel l’Algérie a pu passer d’un système de parti unique et d’économie totalement étatisée à un régime politique ouvert et la libération de l’initiative privée individuelle.
L’arrêt du processus électoral le 11 janvier 1992
Il n’y a pas de doute que la démocratie est le meilleur des systèmes politiques, car elle permet d’éviter que les élites au pouvoir oublient qu’elles ont pour mandat et pour responsabilité de servir le peuple, et de ne garder le pouvoir qu’autant qu’elles sont capables de trouver des solutions aux problèmes de la nation. Solutions qui ne peuvent évidemment pas satisfaire tout le monde, mais sont suffisamment acceptables parce qu’elles sont considérées comme globalement acceptables par la majorité des citoyens. La démocratie vise donc à l’amélioration des conditions de vie du peuple, et au maintien de la sérénité et de la paix permettant à chacune et chacun de vaquer à ses affaires, sans risques majeurs autres que les incidents et frustrations de la vie quotidienne.
Le programme des «islamistes» ayant déjà montré ses effets nocifs dans la manière dont ils ont administré les collectivités locales n’était pas de nature à donner au peuple algérien le futur qu’il attendait de ces élections pour lui et ses enfants. S’en tenir au formalisme de la démocratie, en oubliant son double objectif de progrès et de prospérité, et accepter les résultats d’un scrutin où la rancœur et la frustration circonstancielle l’ont emporté sur la raison, était tout simplement tomber de Charybde du mécontentement populaire, au Scylla du pillage et de la violence appuyée par l’appareil d’Etat au profit des tenants d’une conception fumeuse de la religion et de son rôle dans la politique. D’autant plus que cette conception mettait plus l’accent sur le respect des rites que sur le respect de la vie humaine, du devoir de solidarité, tout comme sur les valeurs morales qui font la force et la cohérence de la société.
Nezzar a pris sur lui de rejeter ce qui équivalait à entériner la fin de l’expérience démocratique en acceptant de laisser accéder au pouvoir un groupe politique, non seulement rétrograde, mais également acquis aux intérêts étrangers qui n’ont jamais voulu, et ne voudront jamais, du bien à ce pays.
Les réactions des pays impliqués dans cette tentative de tuer une fois pour toutes l’expérience démocratique algérienne ont prouvé plus la frustration d’avoir raté leur tentative de dicter au peuple algérien son futur au service exclusif de leurs intérêts, que leur amour pour «une démocratie jeffersonienne». On a vu alors se déverser sur cette opération de sauvetage du processus démocratique un flot de critiques et de condamnations, d’autant plus cynique, malhonnête intellectuellement, et de mauvaise foi que les conceptions idéologiques des islamistes étaient et sont en opposition totale avec les propres principes proclamés par ces critiques extérieures.
On ne saurait trop insister sur le leadership de Khaled Nezzar dans cette décision historique qui a sauvé l’Algérie du chemin dangereux de la radicalisation suicidaire et anachronique d’une tendance idéologique exclusivement encouragée par certaines puissances étrangères parce qu’elle servait leurs intérêts stratégiques et leur donnait l’excuse d’intervenir en flux continu dans les affaires intérieures tout comme dans la politique étrangère algérienne.
La lutte contre le terrorisme islamiste soutenu et armé par l’étranger
A partir de janvier 1992, les islamistes, tout comme leurs alliés extérieurs, ont décidé de répondre à l’entreprise de sauvetage de la démocratie et de maintien de l’indépendance nationale, par la violence totale, barbare, sanguinaire et sans pitié, déchaînée contre toutes les forces vives de l’Algérie et tous les acteurs du changement politique, social et culturel. Changement indispensable pour mettre le pays au niveau de défis du monde contemporain, des intellectuels, des professeurs, des instituteurs et des institutrices, en passant par les journalistes, les femmes au travail, les médecins et les dentistes, les fonctionnaires de l’Etat, quelle que fût leur activité, les agents et membres des forces de l’ordre, etc. Même les mœurs ont été attaqués, les enlèvements de femmes de tout âge, les viols collectifs, les meurtres d’écolières sont devenus «halal» et sacralisés par des fatwas donnant force de loi religieuse au stupre et à la fornication.
Pourtant, au lieu de condamner ce nihilisme et la criminalisation de la sainte religion musulmane, la transformation du Saint Coran en manuel du «parfait mécréant», voilà que ces mêmes bonnes âmes, pourtant exprimant à tout instant leur défense fanatique de la «laïcité», se demandent, à haute voix, «qui tue qui ?» et mettent tout le blâme de la violence sans limites déchaînée par ces hordes de criminels sur les héroïques forces de l’ordre et les volontaires. Ces derniers se sont courageusement attaqués à ces groupes de tueurs, de violeurs, de voleurs et de tortureurs.
Les forces armées algériennes se sont retrouvées frappées d’embargo et empêchées d’acquérir l’armement nécessaire pour la lutte contre ces criminels à la religiosité douteuse et dont la complicité avec les forces étrangères n’est plus un secret.
Là aussi, Nezzar a su mobiliser toutes les forces vives du pays pour affronter l’hydre islamiste et lui briser les reins. La détermination du peuple algérien à défendre ses acquis politiques, sociétaux et culturels a été incarnée et renforcée par la détermination avec laquelle l’ANP, en coordination avec toutes les institutions de maintien de l’ordre et la société civile, a mené le combat contre ces hordes criminelles qui voulaient, avec leurs complices et soutiens étrangers, faire de l’Algérie un second Afghanistan. On sait à qui est revenu le dernier mot, et c’est le peuple qui a récolté le fruit de cette détermination.
Il est vrai que la guerre civile est toujours cruelle. Ceux qui, avec l’encouragement et le soutien médiatique, matériel et financier venu de l’étranger, ont, au lieu de tenter de passer par le chemin de la politique et du compromis et d’éviter cette terrible tragédie, pris la responsabilité de choisir cette voie aventureuse et doivent en assumer les conséquences.
Nezzar a fait son devoir et a totalement assumé ses responsabilités dans cette époque terrible. Il est tout de même curieux que les mêmes Etats qui n’hésitent pas à défendre les régimes d’oppression et les Etats coloniaux, comme Israël, à planifier la destruction d’Etats membres de l’ONU jouent aux donneurs de leçons et pointent du doigt des actes de défense légitime d’institutions étatiques et de leurs responsables, qui ne font qu’accomplir leur devoir moral et constitutionnel de défense de la nation.
Le redressement financier et économique de l’Algérie
Il y a un aspect de la carrière politique de Khaled Nezzar qui est totalement ignoré, ou délibérément passé sous silence, c’est son rôle crucial dans le programme de sortie de la grave crise économique, financière et sociale dans laquelle est tombée l’Algérie entre 1986 et 1993. L’excessive dépendance du secteur des hydrocarbures, une politique d’endettement extérieure irresponsable ont conduit, à partir de 1986, le pays à une situation de cessation de paiement, aggravée par l’incohérence dans la solution de sortie de cette crise adoptée par les «réformistes» qui ont exacerbé la situation financière extérieure du pays en se lançant dans une frénésie d’emprunts à court terme pour financer les importations essentielles.
Le refus de recourir à un programme systématique de restructuration de la dette extérieure, accompagné de mesures de réformes cohérentes et d’une gestion stricte des finances publiques, a abouti à une impasse périlleuse, malgré les changements d’équipe gouvernementale et la mise en place d’institutions de transition au niveau national, et a rendu insoutenable la situation financière du pays.
Au cours du mois de décembre 1993 s’est tenue une réunion du Haut Comité d’Etat, alors l’organe suprême de gestion du pays, et dont le seul point à l’ordre du jour était l’examen de trois projets de sortie de crise, que l’on peut résumer ainsi, sans désigner les auteurs de ces projets, car il n’est nullement question ici de rouvrir un débat et de susciter des acrimonies en liaison avec un problème depuis longtemps dépassé.
La première proposition était de céder le bijou de famille, c’est-à-dire la Sonatrach, à des investisseurs étrangers et à utiliser les sommes ainsi acquises pour liquider totalement le principal de la dette extérieure algérienne, qui se chiffrait à 23 milliards de dollars à l’époque.
La seconde proposition était de vendre à l’avance la production d’hydrocarbures à une société pétrolière britannique et à conclure un emprunt extérieur sous forme d’obligations, permettant de compléter le montant acquis par cette vente pour couvrir la différence entre le montant ainsi collecté et le montant de la dette extérieure.
Une troisième proposition avançait la nécessité d’éviter de s’enfoncer encore plus dans la détresse financière en perdant à la fois le contrôle de la Sonatrach et la maîtrise des ressources en accentuant la dépendance financière extérieure. Cette proposition visait à arrêter l’endettement pyramidal et à négocier avec les créanciers extérieurs une sortie honorable et définitive de cette situation, par le rééchelonnement de la dette extérieure, en tenant compte des capacités nationales réelles d’échéancier de remboursement de cette dette, et par l’appel à l’intervention à la fois technique et financière du Fonds monétaire international (FMI).
Ce fut Khaled Nezzar qui insista pour l’adoption de la troisième proposition. Une proposition jugée plus systématique, plus claire, plus directe, plus complète, plus solide et plus proche de la volonté affichée de ne pas laisser l’avenir économique et financier de l’Algérie obéré par des solutions à court terme qui ignoraient la vraie cause de la situation de crise économique et financière par laquelle passait le pays. Crise qui ne pouvait persister sans avoir un effet destructeur sur la situation sécuritaire et politique extrêmement instable.
Le procès-verbal de cette séance du Haut Comité d’Etat, qui se trouvera versé un jour ou l’autre dans les archives nationales, corroborera le rapide compte rendu qui en est donné ici, pour prouver que le bon sens naturel de Nezzar lui a permis de mieux les tenants et les aboutissants de cette crise, que des hyper-diplômés et spécialistes du domaine n’avaient pas été capables de comprendre.
En conclusion
Il n’y a pas d’hommes sans défauts. Mais au-delà de la personnalité et des faiblesses de l’individu, il s’agit de s’attacher à l’essentiel du passage, ô combien rapide, de cet homme dans cette terre de pleurs et de larmes, où les instants de bonheur et de félicité sont comptés, surtout dans un pays qui a connu tant d’épreuves douloureuses dans son histoire contemporaine.
Nezzar a fait partie de cette élite qui a permis à notre pays d’éviter le désordre total que certaines puissances extérieures sont passées maîtresses à créer et à entretenir pour maintenir leur hégémonie et imposer leurs intérêts au-dessus des intérêts des peuples et des pays qu’ils ont dans le collimateur.
Ce bref hommage n’a eu pour autre ambition que de rappeler ce que notre pays doit, et l’a probablement largement oublié, au général Khaled Nezzar qui vient de nous quitter, mais laisse derrière lui, inscrite dans notre histoire, une trace indélébile de son influence bénéfique.
A Dieu nous sommes et à Lui nous retournons. Condoléances sincères et profondes à la famille du disparu.
M. B.
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