Quand le Mali occupé par sept Etats fait preuve d’ingratitude envers l’Algérie
Par Mohamed K. – La dénonciation de l’Accord d’Alger par Bamako n’est pas chose nouvelle. Des accords, il y en a eu quatre depuis le siècle dernier, preuve que le problème de l’unité nationale au Mali n’a pas encore été tranché depuis l’indépendance de ce pays voisin. Pourquoi quatre accords ? «Cela est dû au fait que le Mali n’a pas connu des périodes de stabilité qui s’inscrivaient dans la durée», expliquent des sources proches du dossier. «A chaque fois qu’un nouveau régime arrive au pouvoir, il se donne comme priorité de résoudre le problème des mouvements activant au Nord-Mali à travers des tentatives qui durent généralement quelques années, avant que ceux qui essayent de recourir aux moyens militaires découvrent que la solution armée n’est pas possible, alors, ils se tournent vers l’Algérie et demandent une médiation», font constater nos sources.
C’est ainsi qu’il y eut le premier Accord d’Alger en 1990. Plusieurs années plus tard, un nouveau pouvoir, qui avait pris les rênes du pays, avait considéré que celui qui l’avait précédé avait manifesté une faiblesse et, s’estimant plus puissant, avait privilégié à son tour la solution militaire, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on soit parvenu au quatrième Accord d’Alger signé en 2015, dont l’annulation par le régime militaire malien est mû par trois desseins machiavéliques.
Il y a d’abord ce que les putschistes dans le Sahel – au Mali, au Niger, au Burkina Faso et en Guinée –, appellent le «néo-souverainisme», euphémisme qui permet de ne pas parler de coup d’Etat. Il y a ensuite la volonté de se maintenir au pouvoir pour réaliser l’«union sacrée» à travers l’exacerbation d’un sentiment de rejet par les peuples de ce qu’ils appellent l’«atteinte à la souveraineté nationale par des puissances étrangères». Il y a enfin une manière rusée de se soustraire à leur engagement de rétablir l’ordre constitutionnel par les urnes.
D’aucuns auront remarqué que la dénonciation de l’Accord d’Alger intervient à quelques encablures du scrutin qui était annoncé pour l’année en cours. Or, en réalité, aucun article n’a été consacré aux dépenses inhérentes à la tenue de ces élections dans le budget de l’année 2023, ce qui prouve que les autorités maliennes n’avaient aucunement l’intention de respecter cette échéance.
Tous ces éléments révèlent que la décision de mettre fin à l’Accord d’Alger par le régime de Bamako ne date pas d’hier et qu’elle était dans l’air depuis deux ans. Deux ans durant lesquels le pouvoir a commencé à ignorer les invitations qui lui étaient adressées par les plus hautes autorités algériennes en tant que garantes de l’Accord parrainé par les Nations unies. Puis, il s’en est suivi un refus déclaré de prendre part aux rencontres inter-maliennes, sous le prétexte que les pourparlers devaient avoir lieu à Bamako. Les nouveaux dirigeants maliens autoproclamés ont été jusqu‘à remettre en cause l’impartialité et la crédibilité de la médiation internationale et de la MINUSMA.
Dans le même temps, Assimi Goïta intensifiait l’achat d’armements sophistiqués, notamment 23 drones turcs de type Bayraktar, qu’il a utilisés dans son attaque contre Kidal, cependant que l’Algérie s’emploie à mobiliser des ressources conséquentes pour la construction d’écoles, de centres de soins et le forage de puits d’eau potable au profit des populations maliennes.
Les risques induits par le reniement de Bamako sont autrement plus importants que dans les années 1990. «A l’époque, il n’y avait qu’un seul front, tandis que la menace terroriste est plus que jamais présente au Mali actuellement», avertissent des experts. Dans un rapport datant de juillet dernier, l’ONU a indiqué que la superficie occupée par les groupes islamistes armés au Nord-Mali a doublé en 2022. Des informations confirmées révèlent, par ailleurs, que le terrorisme a désormais atteint le centre du pays.
Une situation d’autant plus dangereuse que de grandes quantités d’armes sont déversées à partir de Libye, où la situation est chaotique depuis le renversement et l’assassinat de Mouammar Kadhafi en 2011. En outre, si dans les années 1990 il n’y avait qu’une seule puissance étrangère présente dans le pays, à savoir la France, actuellement, sept Etats y sont impliqués directement, dont la Turquie, les Emirats arabes unis, la Russie et l’Iran. Parmi ces puissances étrangères, certaines sont mues par des intentions malveillantes, «car un tel niveau d’armement démontre qu’il y a des parties qui préparent le terrain à une guerre civile», alertent ces experts.
Au Mali, où le régime de Goïta a sacrifié l’accord d’Alger par soif de pouvoir, les données internes ont été autrement plus déterminantes dans la détérioration de la situation que la présence étrangère qui en est la conséquence et non point la cause.
Les autorités maliennes ont bien caché leur jeu, à travers leurs réponses «tranquillisantes», soulignant sans cesse leur «attachement à l’Accord d’Alger», si bien que le ministre malien de la Défense avait affirmé à ses interlocuteurs algériens qu’«il ne peut y avoir de stabilité au Mali sans l’Accord d’Alger» – qui avait été revitalisé après un gel de dix-huit mois –, alors qu’Assimi Goïta martelait, de son côté, qu’«il ne peut y avoir de référendum sans Kidal».
L’agenda de Bamako et celui d’Alger divergent diamétralement. Si Bamako cherche à maintenir le statu quo de sorte que le pouvoir demeure entre les mains des militaires, Alger œuvre à garantir la stabilité au Mali et, par-delà, dans toute la région du Sahel, dans le cadre de la médiation que lui a confiée l’ONU. Dans le sillage, des sources qualifient les accusations contenues dans le communiqué malien contre l’Algérie de «ridicules», assurant que «si celle-ci avait effectivement des agendas cachés, cela voudrait dire que les Maliens étaient incapables de les déceler pendant plus de trois décennies et ce n’est que maintenant qu’ils s’en seraient rendu compte». «C’est absolument absurde !», martèlent ces sources.
L’audience accordée par le président Tebboune aux dirigeants des mouvements et organisations signataires de l’Accord d’Alger avait pour but de demander à ces derniers de faire montre de sang-froid et d’éviter de s’engager dans une action violente qui replongerait le Mali dans la confusion et le désordre. «En tant qu’Etat garant de l’Accord de paix et de réconciliation au Mali, l’Algérie, qui a toujours joué un rôle pacificateur, a le droit de recevoir les parties signataires et cesser de prendre langue avec elles signifierait qu’elle serait dans son tort», notent nos sources.
Les leviers de l’Algérie sont intacts et les relations ne sont pas rompues avec le Mali, quand bien même les rapports entre les deux pays sont tendus. Les Algériens déplorent, cependant, l’attitude ingrate du régime malien à l’égard de l’Algérie qui a toujours œuvré à réconcilier les Maliens sans rien demander en contrepartie, contrairement aux mercenaires russes de Wagner qui ont obtenu l’exploitation de deux mines d’or contre leur intervention, avant que ce groupe ne soit dissous et rattaché au ministère de la Défense russe qui l’a rebaptisé «Africa Corps».
L’accord d’Alger n’est ni mort ni enterré. L’ONU, qui a consacré un budget colossal de 1,2 milliard de dollars pour le Mali pendant huit ans, sans qu’il y ait eu un retour sur investissement, a demandé à l’Algérie de ne «surtout pas» lâcher le dossier malien, car, fait-on savoir à New York, où on affirme compter énormément sur notre diplomatie, si l’Algérie venait à renoncer, ce serait «la catastrophe dans tout le Sahel».
M. K.
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