Comment le système judiciaire esclavagiste américain renfloue les caisses des oligarques
Une contribution de Khider Mesloub – Certes, initialement, la politique d’incarcération massive amorcée au début des années 1970 au lendemain des émeutes de 1967 était motivée par des raisons de répression, de renforcement des mesures prophylactiques contre-insurrectionnelles. Mais c’était également, début de la crise économique obligeait, pour maximiser la profitabilité des prisons, ces établissements pénitentiaires devenus depuis l’abolition de l’esclavage des entreprises d’exploitation, c’est-à-dire des goulags capitalistes où sont embastillés principalement les Afro-Américains.
Depuis cette période, on assiste à une forte inflation carcérale. Le taux d’incarcération par habitant a quintuplé entre 1970 et aujourd’hui. Aux Etats-Unis, on parle d’incarcération de masse de la population, en majorité afro-américaine. Pour une population étasunienne de 333 millions de personnes, 2,3 millions sont emprisonnées ou en probation (plus de 3,5 millions), ou en liberté conditionnelle (près de 900 000).
Les Etats-Unis sont les champions du monde de l’incarcération. Ils affichent le taux d’incarcération le plus élevé du monde avec 655 détenus pour 100 000 habitants – presque 6 fois plus qu’en Chine.
Pour quel motif l’Etat étasunien, c’est-à-dire sa justice de classe blanche, applique-t-il cette politique d’incarcération démesurée en dépit du coût censément élevé de la gestion des prisons ? Car aux Etats-Unis, plus de 80% des détenus travaillent en prison, notamment pour le secteur privé. Un business qui génère plusieurs milliards de dollars de profits par an.
Tous les dirigeants américains, démocrates et républicains confondus, prônent le travail des prisonniers. Et pour cause. Grâce à cette main-d’œuvre pénitentiaire corvéable et exploitable à merci, la bourgeoisie peut durcir sans crainte sa politique carcérale à l’encontre des populations afro-américaines systématiquement interpellées, et offrir aux capitalistes l’opportunité de valoriser leur capital à bon compte.
Cette politique de «goulaguisation» des prisonniers, c’est-à-dire de travail pénitentiaire quasi gratuit, permet ainsi de réduire une grande partie des coûts de détention (80 milliards de dollars en 2019), tout en enrichissant les capitalistes.
Aux Etats-Unis, pays façonné par la logique mercantile, le système carcéral est un marché comme un autre. Une entreprise capitalistique comme une autre. L’Etat, autrement dit le département de la Justice, met gracieusement des détenus de prison à disposition d’entreprises privées, de plusieurs multinationales, notamment McDonald’s, Walmart, Victoria’s Secret, Starbucks, etc.
C’est pour cette raison que la privatisation des établissements pénitentiaires s’est amplifiée ces quatre dernières décennies. Les prisons américaines constituent une formidable manne financière pour les capitalistes grâce aux salaires en moyenne inférieurs à 1 dollar de l’heure. Pour rappel, le salaire horaire moyen de tous les salariés du secteur privé non agricole aux Etats-Unis s’élève à 34,55 dollars américains. Dans certains Etats du Sud, les travailleurs prisonniers ne sont carrément pas rémunérés, comme à l’époque flamboyante de l’esclavage.
C’est précisément pour ce mobile lucratif que les entreprises préconisent un taux minimal d’occupation carcéral compris entre 80 et 100%. C’est pour la même raison pécuniaire qu’elles militent en faveur des peines de prison. Les juges condamnent à tour de bras pour fournir des bras aux négriers des temps modernes, les capitalistes.
L’univers concentrationnaire américain représente un remarquable marché économique, favorisé par la gestion privée des prisons. Deux grandes entreprises, la Corrections Corporation of America (CCA) et GEO group, leaders mondiaux de l’industrie carcérale, se partagent le marché du goulag américain.
Pour rappel, goulag signifie camp de travail forcé et concentrationnaire. Comment pourrait-on qualifier le système carcéral américain qui, depuis 1865, embastille systématiquement la population afro-américaine, sous divers actes d’accusation véniels, saugrenus et captieux, pour la contraindre au travail forcé, sinon de goulag ?
Comme on le constate, aux Etats-Unis, au pays de l’argent facile, de l’enrichissement sans scrupule, les prisons constituent des lieux de production comme les autres, des établissements d’exploitation comme les autres. A la différence que dans les prisons, la main-d’œuvre est composée d’esclaves.
Ce sont de véritables goulags capitalistes dans lesquels sont enfermés en majorité les Afro-Américains, contraints de trimer comme des esclaves. En effet, les conditions de travail sont assimilées par les détenus eux-mêmes à de l’esclavage. Ils sont parfois forcés de travailler toute la journée pour quelques centimes. Dans certains établissements pénitentiaires, le travail s’apparente à de l’esclavage. En Louisiane, dans la prison d’Angola, les prisonniers y triment dans des champs en plein soleil, encadrés par des gardes à cheval, comme au temps de l’esclavage.
Historiquement, aux Etats-Unis, l’esclavage a certes été aboli, mais c’est pour être remplacé par le goulag. Et cette transformation de l’esclavage en système de goulag, c’est-à-dire la pratique quasi-systématique du travail forcé, a été opérée par le 13e amendement de la Constitution (blanche) qui stipule que l’abolition en 1865 justifie néanmoins le recours au travail forcé ou à la servitude à l’occasion de condamnations pénales : «Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dument condamné, n’existeront aux Etats-Unis.» Autrement dit, le 13e amendement de la Constitution américaine abolit l’esclavage, sauf pour les personnes incarcérées.
Machiavéliques, les dirigeants américains, à la suite de la guerre civile de 1861-1865, se sont certes résolus officiellement à abolir l’esclavage. Mais en l’assortissant d’une disposition constitutionnelle qui permet de le pérenniser dans les prisons. La preuve que les travailleurs pénitentiaires sont considérés comme des esclaves : ils ne sont pas assimilés à des salariés de droit commun. Pire, la plupart des Etats interdit également à ses détenus de voter. Les prisonniers américains, pourtant contraints de travailler, ne bénéficient ni du statut de salarié ni de celui de citoyen.
Les Etats-Unis ne disposent d’aucune autorité indépendante pour surveiller les conditions de détention et assurer des normes en matière de santé et de sécurité. Aussi les établissements pénitentiaires privés édictent discrétionnairement leurs propres règles.
Au lendemain de l’abolition officielle de l’esclavage, qui s’est traduite pour les Etats sudistes par la perte de 4 millions de main-d’œuvre esclave, officieusement, il a été aussitôt rétabli par le moyen de la politique d’incarcération démesurée.
La justice de classe blanche s’est chargée de fournir cette main-d’œuvre servile sous la forme de travail forcé. C’est dans ce contexte ségrégative qu’il faut inscrire l’adoption, au cours des années suivant l’abolition de l’esclavage, de nouvelles mesures coercitives permettant d’embastiller les populations noires pour simple «vagabondage», ivresse, négligence familiale ou professionnelle, petit vol, provocation verbale, tenue désordonnée, etc. N’est-ce pas le tout-carcéral adopté aujourd’hui par le régime macroniste en France ?
Les Afro-Américains sont passés du régime des plantations au régime d’incarcération. Des plantations aux prisons.
De nos jours encore, les Afro-Américains, représentant pourtant moins de 13% de la population américaine, comptent en revanche pour 44% des détenus. Et parmi les 20-34 ans, un jeune Noir sur neuf est derrière les barreaux. Pour les Blancs, seul un adulte blanc sur 106 est emprisonné. Selon toutes les observations, ce phénomène d’incarcération disproportionnée des Afro-Américains s’explique par les inégalités sociales intrinsèques à la société américaine et par le fonctionnement raciste de la justice qui condamne plus injustement les Noirs, pour alimenter les entreprises en main-d’œuvre quasi gratuite.
Et, comme aux temps des plantations, les détenus triment durement dans les goulags capitalistes américains.
Plus de 80% des détenus américains sont contraints de travailler. Selon une étude intitulée «Travail captif : l’exploitation des travailleurs incarcérés», les travailleurs pénitentiaires des goulags américains produisent des biens et des services d’une valeur supérieure à 11 milliards de dollars chaque année.
Selon cette étude, l’immense majorité (plus de 80%) est employée à la bonne marche de la prison en tant que personnel de ménage, cuisiniers ou encore électricien ou plombier, pour des salaires compris entre 0 et 1,24 dollar de l’heure. Autrement dit, les prisonniers américains, en particulier les Afro-Américains, subissent non seulement une incarcération souvent arbitraire, mais doivent assurer eux-mêmes l’entretien de leur goulag. Ils se font exploiter non seulement par les patrons des entreprises privées, mais également par leurs geôliers dans l’établissement pénitentiaire.
Le travail des détenus américains rapporte des milliards de dollars, quand eux touchent des «centimes», voire ne touchent rien. En effet, nombreux sont les détenus qui se voient saisis leur modique «salaire» d’esclave pour rembourser leurs frais de justice.
Dans ces goulags américains, les détenus doivent non seulement obligatoirement travailler, mais subir des conditions de détention épouvantables. Les meurtres en détention, facilités par l’abondance d’armes, les overdoses et les agressions constituent leur lot quotidien.
L’absence d’autorité indépendante de régulation entraîne des dérives et des mauvais traitements dans les prisons américaines. L’utilisation de l’isolement est très répandue. Dans les goulags américains, les détenus sont privés de lumière naturelle et de contacts sociaux des années durant, avec pour effet l’explosion des maladies psychiatriques.
Le goulag a été inventé par la démocratie américaine bien avant la dictature stalinienne russe. Pourtant, aucun politicien démocrate occidental, ni défenseur des droits de l’Homme, ni historien n’a jamais condamné l’ancestral goulag américain.
Et pour cause. Avec le contrôle totalitaire qu’ils exercent sur l’ensemble de la planète, la russophobie aidant qui leur aura permis de porter la focale exclusivement sur le goulag stalinien, les dirigeants américains ont réussi à imposer une chape de plomb paradigmatique sur ce sinistre chapitre de l’histoire étasunienne : le remplacement des plantations esclavagistes par les goulags pénitentiaires.
Ce n’est pas la première fois que ces faussaires de l’histoire trafiquent les faits historiques. Par leur hégémonie, les Américains s’attribuent, depuis plusieurs décennies, toutes les vertus. Ils affirment, toute honte bue, incarner le camp du bien.
Or, les Américains sont les initiateurs des génocides, les innovateurs des bombardements nucléaires, les promoteurs de la perversion de la civilisation humaine, les inventeurs de la propagande, les inspirateurs de la pornographisation de la culture, les précurseurs des fusillades, les fondateurs de la gadgetisation de l’économie. Et, bien sûr, les introducteurs du goulag.
K. M.
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