Maître Zoubida Assoul : «Nous avons besoin de renforcer le front interne»
Les élections présidentielles pourraient constituer une opportunité pour rompre avec l’exclusion et la mauvaise gouvernance, notre économie est toujours dépendante des revenus des hydrocarbures, le chômage bat son plein, Tebboune pour un second mandat… Sur ces questions et d’autres, la candidate à la prochaine élection présidentielle Zoubida Assoul apporte des éclairages. Interview
Algeriepatriotique : Des partis politiques ont été conviés par le président de la République à une rencontre avec plusieurs partis politiques. Quel commentaire faites-vous de cette initiative ?
Zoubida Assoul : La question pour moi est la suivante : quel est l’objectif de cette démarche au regard du timing ? Je crois que le chef de l’Etat, depuis son arrivée et à travers la Constitution de 2020 et la loi électorale de 2021, avait fait le choix de marginaliser les partis politiques et essayer de les faire substituer par ce qu’il qualifie de société civile, bien qu’à son investiture il avait promis de tendre la main à l’opposition et au hirak, ce qui ne fut pas le cas durant son mandat.
Surtout que le sujet de l’heure n’était pas évoqué, celui relatif au climat et des conditions d’organisation de l’élection présidentielle du 7 septembre 2024. Je crois que cette démarche s’inscrit dans un seul objectif, celui de préparer son deuxième mandat.
A l’approche de l’échéance électorale présidentielle, on commence à en entrevoir les contours, avec l’annonce des candidatures : Bengrina, Hanoune, etc. Votre parti compte-t-il présenter le sien ou la sienne ?
L’UCP a été le premier parti politique à avoir décidé de présenter ma personne à la candidature, le premier mars 2024, suite à la réunion du conseil national du parti le même jour. Cette candidature n’a été relayée par aucun des médias nationaux, publics comme privés, excepté par les journalistes des médias électroniques et la presse étrangère. De ce fait, je suis bien la première candidate à avoir annoncé ma candidature à la présidentielle.
Une alliance de plusieurs partis pour présenter un seul et même candidat est-elle envisageable ?
Pour le candidat consensuel, nous avons tenté avec d’autres partis politiques d’en avoir un ; nous avons appelé à cela et avons œuvré durant l’année 2023. Hélas, nous n’y sommes pas parvenus.
La désaffection des Algériens pour la politique ne sera-t-elle pas, encore une fois, un inconvénient majeur lors des prochaines présidentielles ?
La confiance des citoyens a été ébranlée par les comportements et agissements des dirigeants du pays, puisqu’ils ne respectent pas les droits et libertés du citoyen, en ajoutant l’injustice, l’arbitraire, la marginalisation et l’exclusion de toutes les compétences.
La déception du citoyen à l’égard des dirigeants est énorme. Elle s’est fait exprimer, notamment, après le hirak, à travers un taux de boycott inédit dans toutes les consultations.
Comment inciter les Algériens sceptiques à se rendre nombreux aux urnes, selon vous ?
Ce ne sera pas facile de convaincre le citoyen d’aller aux urnes, mais nous ferons le maximum pour le convaincre, pour autant que les conditions soient respectées, à savoir la libération des détenus politiques et d’opinion, l’ouverture des médias et espaces publics pour un débat contradictoire entre tous les candidats, l’impartialité de l’Anie, l’égalité de chance des candidats et, enfin, l’interdiction de l’utilisation des deniers publics à des fins électorales.
Avez-vous palpé le pouls de la société ? Quelle est la tendance générale ?
En l’absence d’institutions de sondage, nous ne pouvons être affirmatifs sur la tendance, excepté que les avis de bouche à oreille sont plutôt mitigés. Il y a beaucoup de nos compatriotes qui partagent mon avis, qui croient que le boycott arrange le système et n’a rien apporté au citoyen, et d’autres pensent que le système ne laissera pas passer un candidat porteur d’un projet alternatif qui pourrait changer de paradigme dans le mode de gouvernance de notre pays. Nous le saurons après avoir tenté l’expérience du vote massif des citoyens.
Le président et le chef d’état-major de l’ANP mettent en garde contre de nombreuses menaces extérieures. Le front intérieur est-il suffisamment soudé pour y faire face, selon vous ?
Les risques qui entourent notre pays sont réels. Pour y faire face, nous avons besoin de renforcer le front interne à travers une solution politique concertée ce qui n’est point la démarche du pouvoir en place.
Les élections présidentielles pourraient constituer une opportunité pour rompre avec l’exclusion et la mauvaise gouvernance, en allant vers une élection ouverte qui va permettre un saut qualitatif vers l’Etat de droit, des institutions fortes et une justice indépendante seule garante des libertés et de la paix sociale.
Quel bilan faites-vous du premier mandat du président Tebboune ?
Si le pays disposait d’institut d’analyse indépendant et d’un accès libre aux chiffres et données économiques, cela permettrait d’apporter une appréciation objective. Cela dit, si nous observons le quotidien du citoyen algérien depuis 2019, nous constaterons une dégradation et un recul sans précédent des libertés fondamentales du citoyen, l’installation d’un climat de peur dans toutes les sphères de la société et une instrumentalisation excessive de la justice pour régler des problèmes politiques, parfois même une justice sélective. Notre économie est toujours dépendante des revenus des hydrocarbures. Le chômage bat son plein, notamment chez les jeunes diplômés et le pouvoir d’achat s’est effondré.
Quand, en 2024, le citoyen n’accède pas, ou peu, au droit à l’eau potable, et ce dans plusieurs religions du pays alors qu’il est garanti par la Constitution, cela devient inquiétant et pose un problème de gouvernance de notre pays. En l’absence d’institutions de planification, de prospective et d’évaluation des politiques entreprises, nous ne pouvons parler de bilan.
Le Président sortant n’a pas encore fait savoir s’il comptait rempiler ou non. Y a-t-il des signes qui indiquent que Tebboune sera candidat à sa propre succession ?
Le Président n’a toujours pas déclaré officiellement sa candidature, mais il y a d’autres qui l’ont fait en son nom, la compagne électorale a déjà commencé pour eux et ce en violation de la loi électorale. Tous les signes portent à croire que le chef et ses soutiens veulent un deuxième mandat.
Juridiquement, il a le droit de se porter candidat, mais politiquement et moralement, si j’étais à sa place, je ne le ferais pas.
Etes-vous pour un second mandat du Président en exercice ?
Si le président Tebboune est candidat à sa propre succession, nous verrons d’abord son bilan, ensuite pour quel projet. Il y a aussi les résultats du vote dès le premier tour et si un second tour aura lieu ou non. Il y a beaucoup d’inconnues dans l’équation. En conclusion, nous ne sommes pas sortis du pouvoir des personnes au détriment des institutions et du devenir du pays.
Propos recueillis par Nabil D.
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