Hommage : Algeriepatriotique reproduit l’interview du défunt Roland Dumas
Roland Dumas a rejoint ce mercredi son compagnon des combats justes Jacques Vergès. Nous reproduisons l’interview qu’il nous a accordée en avril 2015, en hommage à ce grand avocat et ancien ministre français des Affaires étrangères, grand ami de l’Algérie.
Algeriepatriotique: Les élections départementales ont de nouveau fait basculer la France à droite. Quelle lecture en faites-vous ?
Roland Dumas : Celles-ci ont été défavorables à la majorité et au pouvoir, à savoir le Parti socialiste et ses alliés. Ce n’est pas surprenant. La politique qui a été suivie et qui est une politique qui «resserre tous les boulons» devait amener ce changement d’opinion.
Vous avez déclaré récemment que «dans la vie politique française, il y a une zone sacrée et qu’il ne faut pas toucher à ce qui concerne l’existence juive». La France est-elle à ce point sous la botte du sionisme ?
Je ne réponds pas à ces questions puisqu’elles sont utilisées ensuite comme pièces justificatives d’une campagne.
La France a connu des événements tragiques qui ont fait plusieurs victimes civiles à Paris. Nonobstant, certains médias et hommes politiques persévèrent dans leur attitude mitigée vis-à-vis du terrorisme islamiste…
En effet, la France a connu ces événements tragiques au début de l’année comme elle n’en a jamais connu d’aussi insupportables, d’aussi excessifs dans son histoire. Il faut rechercher sans doute les causes, mais cela n’excuse rien dans la politique qui a été suivie vis-à-vis du monde arabe. Il faudrait, là, engager une grande réflexion et un vrai débat.
L’Algérie n’a pas connu le chaos qui règne actuellement en Libye, en Syrie, en Egypte et au Yémen. Selon vous, les initiateurs de ce chaos dans le monde arabe ne visaient-ils pas l’Algérie ou n’ont-ils pas pu y faire ce qu’ils ont réussi à faire dans ces pays ?
Toutes vos remarques sont exactes. C’est en réalité la politique mondiale. Elle a pris à partie les peuples arabes qui se retournent aujourd’hui contre l’Occident.
L’Algérie est devenue une destination prisée par les dirigeants politiques français depuis la réélection de Bouteflika. Mais Paris tente de maintenir un savant équilibre entre Rabat et Alger. Quels sont les intérêts actuels réels de la France dans ses deux anciennes colonies ?
La situation est beaucoup plus compliquée que cela. La réélection de Bouteflika est, en effet, un facteur important, mais il faut retenir que l’Algérie a, depuis son indépendance, voulu rétablir des relations convenables avec la France. Malheureusement, les séquelles de la guerre qui a eu lieu pour l’indépendance des Algériens n’ont rien arrangé. Il faut faire des efforts pour entreprendre des négociations et la signature d’un traité d’amitié entre l’Algérie et la France. La France a des intérêts à la fois en Algérie et également au Maroc. Elle en a également avec la Tunisie qu’il ne faut pas négliger car elle fait de gros efforts.
Y a-t-il réellement une convergence de vues et une coopération «sincère» entre l’Algérie et la France dans les dossiers malien et libyen, ou n’est-ce qu’une entente d’apparence ?
La situation dans le Proche-Orient est très complexe. La Libye est, depuis la mort de Kadhafi, dans un état lamentable. Je me suis battu pour que l’on maintienne des relations avec la Libye de Kadhafi. C’est le contraire qui s’est produit puisque la France a contribué à l’éviction de Kadhafi. Je pense que c’était une erreur.
Sarkozy est intervenu militairement en Libye, appuyé par Bernard-Henri Lévy qui y a joué le rôle de «détonateur». On parle d’une volonté de l’ancien président français de faire taire celui qui a «arrosé» la classe politique française…
C’est la France qui a mené le jeu contre la Libye et j’ai toujours pensé que le travail que j’avais accompli auprès de Kadhafi avait été utile. Le colonel Kadhafi «tenait» son pays. Aujourd’hui, ce pays est devenu ingérable. Ce ne sont pas les va-t-en-guerre qui ont présidé à cette mise en scène qui me feront changer d’avis. L’avenir nous dira ce qu’il en résultera.
Paris a armé et formé l’opposition syrienne, permis aux trafiquants d’armes de se servir dans les stocks libyens, participe ouvertement au conflit qui oppose les pro-russes au régime de Kiev en Crimée… Qu’est-ce que la France a à y gagner ?
La France n’a rien à gagner en créant des troubles comme elle le fait en Syrie. C’est, en effet, avec le président Al-Assad qu’il fallait négocier et je ne suis pas le seul à le dire.
Après avoir semé le chaos en Syrie et isolé l’Iran, les Américains veulent négocier avec Al-Assad et discutent avec les Mollahs. Est-ce un aveu d’échec ou était-ce programmé depuis le début, Washington estimant (peut-être) que ces pays sont suffisamment «affaiblis» ainsi ?
Tout ce que vous dites est exact. Mais la politique américaine semble évoluer avec l’Iran. Tant mieux. Après avoir voulu évincer et peut-être abattre Bachar Al-Assad, les Américains veulent traiter avec lui. C’est une bonne chose. Je ne pense pas qu’ils croient que la Syrie est suffisamment affaiblie, mais ils peuvent s’en servir contre des ennemis plus redoutables. C’est une politique qui est une politique de «gribouille». Le personnage de Gribouille était un personnage ridicule qui se mettait dans l’eau de mer pour ne pas se mouiller lorsqu’il pleuvait.
L’Etat Islamique jouit de moyens militaires et de propagande tellement puissants que personne ne croit à l’évolution de ce mouvement terroriste à partir du néant. Qui l’a créé et à quelles fins, selon vous ?
Nous n’en sommes qu’au début. Les choses vont s’aggraver et peut-être connaîtrons-nous la vérité. J’ai déjà parlé de la rencontre que j’avais eue à Londres avec des Syriens qui voulaient en temps de paix intervenir en Syrie pour détruire le régime. C’est exactement ce qui s’est produit. Il ne sert à rien, aujourd’hui, de se cacher derrière son petit doigt.
Interview réalisée par M. Aït Amara
Comment (7)