L’hypocrisie des anti-avortement américains

anti-avortement manif
Manifestation anti-avortement aux Etats-Unis. D. R.

Une contribution de Khider Mesloub – Les activistes américains anti-avortement, dénommés également pro-vie, en majorité fervents chrétiens et électeurs républicains, se présentent volontiers comme des humanistes. Ils proclament défendre le «droit à la vie», à travers l’opposition au «droit à l’avortement».

Le mouvement anti-IVG considère les fœtus comme des personnes et l’avortement comme un meurtre. Aussi prône-t-il l’interdiction de l’avortement également en cas de viol et d’inceste. Dans certains Etats, les médecins pratiquant des avortements sont passibles d’une réclusion à perpétuité. Les militants pro-vie soutiennent que l’enfant à naître doit bénéficier du droit à la vie. Il faut donc le protéger par la loi car, selon eux, la vie commence à la conception. Ils militent pour accorder au fœtus une personnalité juridique.

Du reste, si le terme pro-vie a été adopté en lieu et place du terme «anti-avortement», c’est pour rappeler que les partisans dénoncent l’avortement comme «la prise d’une vie humaine».

Ainsi, au pays de la liberté, l’avortement est inaccessible pour de nombreuses femmes. Nombreux sont les Etats qui ne disposent même pas de cliniques réalisant des avortements. Aussi les femmes doivent-elles se rendre dans d’autres Etats pour avoir accès à l’avortement. Toutefois, dans certains Etats, notamment au Texas, les anti-IVG empêchent les femmes enceintes de prendre l’autoroute pour se faire avorter dans des Etats où cela est encore légal. De nombreuses femmes n’ont pas les moyens de mettre un terme à leur grossesse.

Du fait de ces sévères restrictions et interdictions, les Etats-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé de tous les pays développés, mortalité provoquée par les interruptions de grossesse clandestines. Par ailleurs, les mouvements anti-avortement mènent régulièrement des actions très médiatiques à travers des sit-in aux abords de cliniques réalisant des avortements, en bloquant, parfois violemment, l’accès.

Au reste, on recense de nombreux actes de violence commis par les militants anti-avortement. Des attentats à la bombe, des meurtres, des fusillades, des assassinats de médecins et des personnels soignants des cliniques pratiquant des avortements défrayent régulièrement la chronique.

Pourquoi, depuis exactement cinquante ans, les Etats-Unis sont les seuls au monde à placer l’avortement au cœur du débat politique ? Pourquoi les controverses sur l’avortement ont commencé, curieusement, en 1973 avec l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême qui a institué le droit constitutionnel des Américaines à avorter. Jusqu’alors, l’avortement n’était pourtant pas une question prioritaire.

Cet arrêt est pris en 1973, date de l’entrée des Etats-Unis dans la crise, leur phase du déclin. Il intervient également dans une période de radicalisation des mouvements politiques, incarnés par les militants contre la guerre du Vietnam.

Comment dévoyer la population, endiguer la contestation sociale, sinon en jetant dans l’arène politique un nouveau sujet de controverse. Pour la classe dominante américaine de l’époque, l’avortement pouvait devenir un bon vecteur de mobilisation électorale, en lieu et place des mobilisations sociales et antiguerres menées dans les usines et la rue.

La lutte ne doit plus être menée entre les anti-impérialistes et les pro-impérialistes, les anticapitalistes et les pro-capitalistes ; en un mot, entre travail et capital, mais entre les militants anti-avortement et pro-avortement, pro-choix et anti-choix avortement. En tout cas, ce sujet de controverse permet surtout d’escamoter les vrais débats politiques.

Ces dernières décennies, le mouvement anti-IVG aura profondément influencé la politique, parasité les enjeux socioéconomiques. De nos jours encore, il demeure l’enjeu politique dans l’élaboration du programme et des campagnes électorales. A chaque élection, le mouvement pro-life donne le tempo. Assurément, le mouvement anti-IVG a su forger un électorat pour lequel l’avortement est la seule question qui importe, en particulier parmi les électeurs républicains. Le mouvement est devenu attractif. Et la lutte pro-life un dérivatif. Une diversion. Un divertissement.

Depuis 1973, date de l’arrêt Roe v. Wade, militants et responsables politiques opposés à l’avortement se mobilisent en vue de faire annuler cette décision. Les anti-avortement occupaient la scène politique, assiégeaient les cliniques et harcèleraient les dirigeants pour obtenir l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade.

En butte à une crise économique et institutionnelle inédite, pour désamorcer la fronde sociale et dévoyer la population, la classe dominante américaine a décidé récemment de renverser la tendance contestataire anti-IVG en annulant l’arrêt Roe v. Wade grâce à six juges conservateurs de la Cour suprême.

Depuis lors, militants et les responsables politiques pro-choix se mobilisent, à leur tour, en vue de faire annuler cette décision d’interdiction de l’IVG. Il s’agit d’un vrai jeu de bascule. Mais surtout d’un jeu de dupes.

Quoi qu’il en soit, ce qui caractérise les anti-IVG américains, c’est leur hypocrisie. Ainsi que nous l’avions souligné plus haut, les partisans du mouvement pro-vie, en majorité chrétiens et républicains, combattent l’avortement au nom du droit à la vie. Pour ces anti-avortement, parce que la vie commencerait à la conception, il faut donc protéger le fœtus. Notamment par l’interdiction de l’avortement et la vente de pilules abortives.

Hypocrisie en effet, car ce sont les mêmes individus qui militent pour l’interdiction de l’avortement et des pilules abortives qui défendent avec acharnement, au sein de leur puissant lobby, la liberté de la vente des armes, responsables pourtant de milliers d’homicides par an, de tueries de masse. Sans compter qu’ils défendent également le complexe militaro-industriel américain, responsable des guerres impérialistes et des millions de morts innocents de par le monde.

Les Etats-Unis détiennent le record mondial à la fois du nombre d’armes en circulation et de décès par armes à feu. A eux seuls, les habitants des Etats-Unis possèdent près de la moitié des armes à feu détenues par des civils dans le monde.

Selon plusieurs études, le ratio est de 120 armes pour 100 habitants, y compris en comptant les enfants. Plus 390 millions de pistolets, fusils d’assaut ou autre engins meurtriers seraient détenus par les Américains. Ce nombre très élevé est dû à une législation permissive. La vente libre des armes est responsable de l’accroissement des violences létales. Et des fusillades dans les milieux scolaires.

Cela étant, le nombre de morts par arme ne cesse de croître aux États-Unis. Selon les dernières données, en 2023 le pays a dénombré 656 fusillades dont 40 tueries de masse, pour un total de plus de 48 000 morts. Depuis 2012, il y a eu 3 865 fusillades de masse. Depuis 2020, il y a eu chaque année en moyenne presque 700 fusillades, soit plus d’une fusillade par jour, en majorité commises par des adolescents. 25 mineurs meurent chaque semaine par balle et 91% des enfants tués dans le monde par des armes à feu le sont aux Etats-Unis. Ces carnages quotidiens infantiles ne suscitent pas le même émoi, le même effroi, la même indignation, la même fureur parmi les activistes américains anti-avortement. Et pour cause. Ils sont directement responsables de ces homicides par leur soutien apporté au lobby pro-armes.

En effet, comble du cyclisme, la majorité des partisans pro-life sont membres du puissant lobby des armes à feu, la National Rifle Association (NRA). Son influence est redoutable. La NRA est accusée de bloquer toute avancée législative qui limiterait l’accès des Américains aux armes à feu. La NRA revendique plus de cinq millions de membres, dont la plupart sont également adhérents d’associations anti-avortement.

Ainsi, comble d’hypocrisie, d’un côté les partisans pro-life, au nom de la soi-disant   défense de la vie du fœtus, combattent le recours à l’avortement et la vente des pilules abortives ; de l’autre, ces artisans de la mort, au nom de la liberté de tuer, militent pour la vente libre des armes à feu pourtant responsables de milliers de morts.

Au niveau gouvernemental, c’est la même hypocrisie et imposture qui règne au sommet. Les dirigeants américains affirment être démocrates, proclament défendre la démocratie et la paix. Or, ils sont les instigateurs de tous les coups d’Etat, responsables de toutes les guerres déclenchées dans le monde. Actuellement, ils fournissent sans scrupule des armes au régime fasciste israélien qui mène une guerre génocidaire contre les Palestiniens.

  1. M.

 

 

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