Quand l’Algérienne en or Imane Khelif donne une leçon d’humilité aux Français
Par Fatiha S. – Imane Khelif, la championne olympique des derniers Jeux olympiques 2024 de Paris, a accordé une interview à l’émission «Clique» de la chaîne française Canal+. 57 minutes et 44 secondes durant lesquelles, Imane, tout en sourire, se prête au jeu des questions-réponses de son intervieweur, resté admiratif, devant cette jeune femme de 25 ans qui lui déroule en toute simplicité sa vie, de son enfance à la femme en or qu’elle est devenue.
Aux questions en français que lui pose le journaliste, Imane dans son arabe simple, avec des mots limpides, parce que ne maîtrisant que la langue de Shakespeare, sourit et apporte les réponses à ses admirateurs et à ses détracteurs qui ont essayé par tous les moyens de la briser, sans y parvenir bien évidemment. De son enfance à Tiaret où elle est née et a grandi à la femme en or connue mondialement, Imane raconte et se laisse écouter.
A la première question que lui pose le journaliste : «Réalisez-vous aujourd’hui que vous êtes championne olympique ?» Avec ce sourire qui ne la quittera qu’une seule fois tout au long de cette émission, elle lui répond : «Croyez-moi que je ne le réalise toujours pas à 100%. Chaque matin que je me réveille je me pose la même question si c’est vrai que je suis une championne olympique. Et je n’en suis pas encore consciente à 100%.»
Des petites anecdotes aux souvenirs qui remontent à la surface, en passant par des vérités à assener, Imane raconte la petite fille qui allait vendre du pain que lui préparait sa maman pour pouvoir se payer le bus qui l’emmènera au centre-ville de Tiaret où elle étudiait au collège et où elle s’entraînait à la salle de boxe. «Une enfance très difficile, peut-être que la chose que je ne pourrai pas oublier, c’est quand je vendais du pain aux abords de la route. Les gens voyaient en moi une petite fille, ils avaient de la peine pour moi alors ils m’achetaient le pain et me donnaient quelques pièces en pourboire pour que je puisse gagner ma vie, me disaient-ils. Je ne peux oublier cela. C’est quelque chose que je raconte à chaque occasion qui se présente», narre-t-elle la gorge serrée.
«Une médaille olympique, c’est le rêve de tout athlète. La médaille d’or, et notamment cette médaille, ma médaille, je l’ai savourée. Comme vous le savez, je viens d’un petit village (150 habitations), un père soudeur qui n’a pas un travail stable, une mère femme au foyer, une fratrie de six, l’éloignement du centre-ville pour aller faire ses études (10 km)… le rêve était quasi impossible, un parcours très difficile.»
On lui montre juste après des extraits d’un reportage fait par TV5 Monde dans lequel elle revoie son cousin et sa tante parler d’elle et les quelques mots qu’Imane a eus sont bouleversants. «Ma tante et mon cousin avec qui je vendais le plastique et la ferraille que je ramassais avec eux montrent ce que j’ai vécu. Ces images me renvoient au cœur de ma souffrance mais, justement, c’est cette souffrance qui fabrique les héros. Oui, toute personne qui rencontre des obstacles durant son parcours, au final vous verrez que cette personne réussit, quel que soit le domaine. Nous voyons de nombreuses histoires dans les livres, les films… et nous voyons que les héros naissent de la souffrance (…).»
2016, 2022, 2024
En 2016, Imane prise d’une panique refuse de monter sur le ring pour affronter sa première adversaire dans le cadre du championnat national n’était la sagesse de son entraîneur qui a su lui trouver les mots. Non seulement, elle montera sur le ring mais finira par gagner. En 2022, c’est la grande victoire en Turquie pour un autre championnat où elle termine 2e. Elle est consacrée aussi aux Jeux méditerranéens et Jeux arabes de boxe. Mais ce qui va suivre est un cauchemar pour Imane.
Elle explique : «Beaucoup de gens ne connaissent pas la vérité et ne connaissent pas l’histoire et comment les choses se sont passées. Evidemment moi, depuis 2018, je participe avec la Fédération internationale IBA jusqu’en 2023, et j’ai donc grandi avec eux. Oui, je peux vous dire que j’ai grandi avec cette fédération. J’ai participé à tous les championnats, africains, méditerranéens… Et par la suite, tu te retrouves suspendu du championnat international. J’ai été désolée. Les procédures de l’IBA étaient illégales. La loi ne permet pas de procéder à des tests avant le combat. J’avais participé au premier combat et finalement on m’a privée de finale alors que j’avais fait les deuxième, troisième et quatrième combats. Et ils m’ont privée de la finale. Ils auraient pu me laisser y participer et après on aurait pu faire les autres procédures.
Aussi, pour être claire avec vous, et avec le monde entier, la procédure et les analyses de l’IBA étaient aléatoires, elles n’étaient pas étudiées, ils n’avaient pas connaissance pourquoi les analyses étaient positives, et c’est ce qui a mené à la catastrophe et parce que l’IBA prenait des décisions anarchiques. Lorsque vous regardez aujourd’hui la loi, vous verrez bien que celle-ci ne permet pas de faire des analyses du genre. Ils ne voulaient même pas comprendre comment mener ces analyses. Heureusement que la médecine s’est développée mais ce qui me désole, c’est comment les choses ont été faites. Permettez-moi de remercier le Comité international olympique qui a étudié le dossier médical avec précision avec des experts. Je voudrais les remercier aussi car aux JO 2024 à Paris, ils m’ont soutenue. Ils m’ont accompagnée avec une équipe de psychologues.»
Rencontre avec Macron
C’était en 2022 lors de la visite du président Macron en Algérie. Imane a été invitée à le rencontrer et ce jour-là elle lui apprend qu’elle est en préparation des Jeux olympiques. Le président français lui répond alors que si elle est qualifiée et si elle arrive à la finale des JO 2024, il viendra assister à son combat. Et Imane trouvera des excuses à la promesse non tenue parce qu’Emmanuel Macron n’est pas venu bien évidemment. Le journaliste en face d’elle, tout en éclatant de rire, lui dira : «Même à nous, il nous a promis pleins de choses en 2022 !»
1er août 2024 face à l’Italienne Angelina Carini
Ce jour-là, après 46 secondes, l’Italienne encaisse un direct au visage, décide de quitter le ring sans serrer la main à Imane. Ce ne sont évidemment pas les valeurs du sport, avance le journaliste devant une Imane qui se remémore cet évènement et ne cache pas, aujourd’hui encore, son étonnement face à ce comportement car, dit-elle : «Elle me connaît depuis des années, on s’est entraînées ensemble et on faisait des stages en Italie, j’ai même des photos avec elle quand on effectuait des stages ou des entraînements en Italie. Et je me souviens qu’elle m’avait dit : j’espère qu’on se retrouvera à la finale (…).»
«Vous n’êtes pas une femme !»
La polémique éclate. Et les réseaux sociaux s’enflamment. Célébrités du monde artistique, personnalités politiques, etc. tous se liguent contre elle et n’ont qu’un but : faire sortir Imane par la plus petite des portes. Peine perdue. Non seulement, elle tiendra le coup mais arrachera sa médaille d’or, devenant ainsi la première femme africaine à remporter l’or dans cette discipline, et fera retentir l’hymne national Qassaman envers et contre tous.
A Donald Trump, qui «gardera ses hommes hors du sport féminin» ou Elon Musk, qui, lui, écrira : «Les hommes n’ont pas leur place dans le sport féminin» ou encore J.-K. Rolling (Harry Potter)… Imane ne cachera pas son étonnement face à tant de méchanceté parce que «ce sont des personnes qui ne me connaissent pas et que je ne connais pas, ou alors qu’elles apportent les preuves de leurs dires (…)».
Et quand le journaliste lui demande ce qu’elle ferait si on lui remettait la baguette magique de J.-K. Rolling, Imane, tout sourire, dira : «Non, je ne ferai rien. Même si j’ai cette baguette magique, je ne l’utiliserai pas pour faire du mal.»
Et la plainte qu’elle a déposée ? Pas grand-chose à dire là-dessus sauf qu’elle profite du temps à elle pour récupérer, passer du temps avec sa famille parce qu’il y a une équipe qui s’en charge.
Imane finira cette interview en parlant de ses projets, des propositions qu’on lui fait, et il y en a beaucoup. Mannequinat ? Pourquoi pas. Son histoire adaptée à la télévision ? Très intéressante l’idée, à condition que «je joue moi-même mon rôle. Je voudrais transmettre mes émotions, des émotions vivantes. Faudrait que tout le monde reconnaisse Imane dans le film», et les propositions pour Imane, il y en a à la pelle mais elle prend son temps pour les étudier et reste ouverte à toute proposition.
F. S.
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