La crise de la gouvernance ou la politique bourgeoise à l’ère de la récession économique (V)

AN résistances
Assemblée nationale française, une instance dépourvue de tout pouvoir législatif ou juridique. D. R.

Dossier réalisé par Khider Mesloub – A l’orée du XXe siècle, le capitalisme triomphe des dernières résistances des anciennes formations sociales et économiques féodales. Désormais, il régnera en maître absolu sur l’ensemble du globe terrestre. La terre entière devient objet d’exploitation effrénée agricole, d’extraction minière et pétrolière ; les peuples entiers sont métamorphosés en sujets à oppression et exploitation.

Cependant, cette triomphale victoire «géographique» signe le début de sa défaite économique. En effet, avec la conquête du monde entier, le capitalisme se heurte aux limitations expansives géographiques, illustrées par la restriction objective des marchés, par la contraction de l’écoulement de sa production toujours plus abondante obtenue grâce à l’augmentation exponentielle de la productivité. Dès lors, le capitalisme amorce son déclin, matérialisé par ses permanentes périodes de crises économiques et de guerres génocidaires, locales et mondiales.

Ces répétitifs cycles d’instabilité économique et récurrentes phases de conflits armés entraînent le capital à procéder à des restructurations drastiques au niveau de son appareil d’Etat, notamment dans la sphère politique désormais réduite à sa plus expression idéologique.

Du fait de l’exacerbation permanente des tensions commerciales entre les différentes bourgeoisies nationales et de la recrudescence de la lutte des classes impulsée par la révolution bolchevique et les tentatives avortées européennes, l’Etat, dès les années 1920, pour assurer l’ordre social, prend une place prépondérante dans la société capitaliste déchirée par des contradictions (cette tendance au totalitarisme étatique est devenue la règle de gouvernance de la bourgeoisie, accentuée, de nos jours, à la faveur de l’aggravation de la crise économique déguisée en crise sanitaire, climatique, etc.).

Les partis politiques se vident de leur pouvoir de pression sociale et d’orientation économique. Ils deviennent de simples instruments au service de l’Etat, lui-même soumis au grand capital. Le Parlement devient une simple chambre (à coucher du capital) d’enregistrement (des ébats lucratifs du capital).

Le pouvoir politique se transpose de l’instance législative à l’appareil exécutif, lui-même désormais régenté par le grand capital international (Big Pharma, Gafa). Comme l’a déjà souligné avec perspicacité et précocité l’International communiste lors de son 2e Congrès tenu en 1920 à Moscou : «L’attitude de la 3e Internationale envers le parlementarisme n’est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du Parlement même. A l’époque précédente, le Parlement en tant qu’instrument du capitalisme en voie de développement a, dans un certain sens, travaillé au progrès historique.

Mais dans les conditions actuelles, à l’époque du déchaînement impérialiste, le Parlement est devenu tout à la fois : un instrument de mensonge, de tromperie, de violence et un exaspérant moulin à paroles (tout un chacun peut le vérifier actuellement en France où l’Assemblée nationale comme le Sénat, sans oublier le Conseil constitutionnel, sont devenus des instances dépourvues de tout pouvoir législatif ou juridictionnel, note de l’auteur). A l’heure actuelle, le Parlement ne peut être en aucun cas, pour les communistes, le théâtre d’une lutte pour des réformes et pour l’amélioration du sort de la classe ouvrière, comme ce fut le cas dans le passé. Le centre de gravité de la vie politique s’est déplacé en dehors du Parlement, et d’une manière définitive.» (A plus forte raison actuellement, à notre époque marquée par la domination totalitaire des puissants qui dictent les – leurs – lois).

Ainsi, avec l’introduction du capitalisme d’Etat dans tous les pays, l’ère des réformes achève son mandat politique, désormais verrouillé par le capital. Les classes laborieuses n’auront plus rien à conquérir par voie parlementaire, car le Parlement sera totalement dessaisi de tous ses pouvoirs politiques, monopolisés par l’Exécutif, lui-même devenu simple succursale du grand capital international.

Avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de domination totalitaire, le parlementarisme, conforté par la nouvelle religion désignée sous le nom de démocratie, sert uniquement d’exutoire électoraliste au malaise social, de dévoiement spectaculaire de la politique.

Cependant, au sein du mouvement ouvrier institutionnel, désormais dominé par l’idéologie stalinienne, la tactique du «parlementarisme révolutionnaire» continue à être prônée comme moyen d’accession au pouvoir ou d’infléchissement de la politique antisociale. S’appuyant sur des principes politiquement surannés, les partis ouvriers institutionnels s’accordent pour préconiser la participation aux élections bourgeoises. Par opportunisme politique et compromission idéologique avec la classe dominante, cette «tactique parlementariste» constitue depuis lors la feuille de route de tous les partis socialistes et communistes, y compris trotskystes et maoïstes.

Contre cette orientation parlementariste bourgeoise, quelques marxistes, demeurés fidèles aux principes prolétariens, se dresseront pour dénoncer cette dérive contre-révolutionnaire. A commencer par Amadeo Bordiga, représentant de la Gauche italienne, qui préconise le rejet total de toute activité électorale. La gauche hollandaise, avec Anton Pannekoek à sa tête, développe la même critique du parlementarisme car, selon Pannekoek, toute participation aux élections ne peut conduire qu’à une politique de compromission avec l’idéologie de la classe dominante, à raviver une institution à l’agonie, à incliner le prolétariat vers l’apathie et l’atomisation.

Depuis les années 1920, date du début de la stalinisation des partis ouvriers, pour les marxistes demeurés fidèles à l’action révolutionnaire, l’antiparlementarisme, autrement dit la non-participation aux élections, est devenue une frontière de classe entre organisations prolétariennes et partis ouvriers bourgeois.

En effet, du point de vue du mouvement prolétarien, l’adhésion à la gestion politique de la société bourgeoise participe directement de la contre-révolution. Car la politique, placée sous la dictature du capital, impose, par le respect du cadre légal de la démocratie, des restrictions au prolétariat, cristallisées par son intégration officielle au mode d’organisation institutionnelle capitaliste.

Aussi les partis révolutionnaires prônent-ils l’abstentionnisme, le refus de participer aux mascarades électorales. Au reste, contrairement aux élucubrations léninistes, selon lesquelles la conscience est infusée aux ouvriers par l’avant-garde socialiste représentée, par ailleurs, au Parlement, utilisé comme tribune de défense de la cause ouvrière, c’est leur force de travail dans son affirmation, autrement dit la lutte, qui est à l’origine de l’idéologie ouvrière. Ce ne sont pas les partis institutionnels socialistes, dont la fonction est de représenter la classe ouvrière au sein de l’Etat (donc dans le cadre prescrit par le capital), qui instillent par endoctrinement la conscience de classe à cette dernière.

En tout état de cause, historiquement, c’est uniquement durant les périodes révolutionnaires des années 1848, 1871 en France, 1917 en Russie, et les années 1917-1923 en Europe que la classe ouvrière, en tant que classe constituée, autonome, coalisée en dehors des institutions politiques de représentation officielle, a mis en œuvre son programme spécifique au travers de la Commune de Paris et des Soviets russes. C’est uniquement dans la Commune et les Soviets qu’est apparue la négation de la valeur, et donc du salariat, la destruction du capital, de la propriété. En dehors de ces périodes historiques d’affirmation de sa conscience et de sa force politique directement matérialisées sur son terrain de classe, le prolétariat a toujours été réduit par les partis ouvriers institutionnels à participer passivement aux mascarades électorales, à partager les mêmes indigestes marmelades idéologiques bourgeoises.

Entre la pratique réelle de la Commune et des Soviets agissant sur leur propre terrain de classe et l’idéologie des organisations socialistes bâties sur sa défaite, il y a la même différence qu’entre le prolétariat en lutte et la classe ouvrière subsumée. Dans le socialisme des partis, il ne reste que l’affirmation de soi par le capital variable. La nature essentiellement contradictoire du prolétariat (affirmation de soi-négation de soi) disparaît.

La soumission à la logique politique bourgeoise a toujours été la règle des partis socialistes réformistes, par définition pléonastique, étant entendu que tout parti socialiste est par essence réformiste. Cette politique des partis institutionnels socialistes, autrefois puissants, a eu pour contenu programmatique de parfaire la domination du capital, non pas de l’abolir. Par leur participation au jeu politique bourgeois, les représentants des partis socialistes institutionnels, gestionnaires du capital, proposent toujours leurs bons offices pour gérer l’Etat capitaliste.

De manière générale, longtemps, la sphère politique dans laquelle ont évolué les partis socialistes ont servi à négocier l’amélioration (éphémère) de la condition ouvrière au sein du capitalisme, non à abolir l’exploitation et l’oppression des travailleurs.

Cette politique collaborationniste des partis socialistes a contribué amplement au maintien de la cohésion sociale globale et donc à la pérennisation du capitalisme. Par leur intégration au système politique, les gestionnaires du capital auront contribué ainsi à dévoyer le prolétariat de sa mission historique, à le détourner de l’action insurrectionnelle révolutionnaire.

La fonction des partis socialistes et communistes a toujours été de représenter, dans la sphère politique, le Travail dans un Etat dominé par le Capital, non de lutter contre le Capital et l’Etat pour émanciper le Travail. De là s’explique leur glorification du «droit légal», du respect de la légalité institutionnelle, ossature idéologique de la démocratie formelle bourgeoise reposant dans les faits sur les inégalités réelles.

La fonction politique fondamentale de ces partis officiels «ouvriers», bergers du capital, a toujours consisté à rassembler le troupeau prolétarien afin de le conserver et l’immobiliser dans les champs oppressifs du capital pour le contraindre à brouter à satiété les herbes narcotiques de l’aliénation.

De manière générale, cette emprise sur le prolétariat s’accomplit constamment aux moyens du racket, des cotisations et de la diffusion d’une idéologie réformiste. L’aliénation du prolétariat s’opère principalement par les organisations ouvrières officielles stipendiées par le capital.

Aussi, encadrée par les partis «ouvriers» institutionnels, la classe ouvrière est demeurée ligotée. Elle n’a jamais pu imposer son programme révolutionnaire d’émancipation. Il en a découlé que la politique des partis politiques ouvriers officiels a eu pour fonction de parfaire la cohérence capitaliste de la société, de contribuer à pacifier le mouvement du capital, à adoucir ses contradictions par la soumission et l’aliénation du prolétariat. Les organisations socialistes officielles stipendiées ont eu pour fonction d’organiser la politique de la négociation auprès de l’Etat des riches, aux fins d’obtenir des aménagements au sein de la société capitaliste. Ainsi, elles n’ont jamais eu pour mission politique de lutter contre le capital, encore moins pour la révolution, mais d’assurer la pérennisation du capitalisme afin de préserver leur carrière politicienne réformiste.

Quoi qu’il en soit, en tant que sphère du mode de production capitaliste, la politique a toujours su adapter ses formes en fonction du mouvement du capital. Aujourd’hui, au niveau politique, à l’ère de la domination réelle du capital, le capitalisme n’a plus besoin des services des partis socialistes et communistes pour assurer son contrôle sur la classe ouvrière. De là s’explique leur effondrement.

De fait, la politique constitue-t-elle une forme de «béquilles» institutionnelle dont le capital s’était servi au cours de sa phase ascensionnelle, mais qu’il a abandonnée une fois sa domination réelle sur toute la société établie, son contrôle totalitaire de toutes les sphères entièrement assuré.

De nos jours, la classe ouvrière n’est plus une force politique représentée au Parlement par ses partis (au reste, elle ne fut jamais représentée en tant que classe pour soi). Et pour cause. Dans cette phase contemporaine de domination réelle du capital, la société est à ce point subsumée sous le capital qu’il n’y a même pas la place pour un parti du Travail (le capital tend à détruire le travail, source pourtant de sa plus-value).

La classe ouvrière n’existe que comme capital variable, sujet d’exploitation et objet de manipulation par les syndicats qui œuvrent au service du capital. En effet, le syndicat est devenu un simple lobby marchandant des miettes de concessions salariales ou prestations sociales. Le syndicat a été réduit au simple rôle de lobby, au même titre que les lobbies des industries de l’armement aux Etats-Unis ou des organisations de consommateurs en Occident.

K. M.

(Suivra)

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