Les non-dits de Lavrov sur les BRICS : crise passagère ou éclatement définitif ?
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – Dans une récente conférence de presse à New York, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a évoqué l’élargissement de l’organisation des BRICS, mais pas dans le sens que la majorité des observateurs appréhendaient. Selon l’agence de presse TASS, il aurait déclaré, en marge de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies, qu’«en ce qui concerne les perspectives d’expansion des BRICS, à ce stade, tous les pays membres considèrent qu’il est prudent de ne pas prendre de nouvelles décisions pour le moment et d’ajuster le groupement afin d’en former une association de membres partageant les mêmes valeurs».
Suspension des nouvelles adhésions
Lors du prochain sommet des BRICS à Kazan, en Russie, du 22 au 24 octobre, il ne sera donc pas question de délibérer sur l’adhésion de nouveaux prétendants. D’après Lavrov, le focus sera seulement mis sur l’élaboration des critères qui détermineront l’adhésion de nouveaux membres à l’avenir. Selon lui, plus de 20 pays auraient déjà exprimé leur souhait de devenir membres à part entière et une dizaine d’autres souhaitent maintenir des relations permanentes de partenariat. Parmi les nouveaux pays intéressés par l’adhésion figureraient, semble-t-il, des pays comme l’Indonésie, la Malaisie et surtout la Turquie, dont le président du Parlement, Numan Kurtulmus, s’est rendu le 26 septembre à Moscou et a rencontré le président Vladimir Poutine. Déjà en juin 2024, ce dernier s’était réjoui de l’intention d’Ankara de rejoindre le groupement, en déclarant lors de la visite du ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan : «Nous saluons l’intérêt de la Turquie pour rejoindre les BRICS et soutenons fermement les pays qui souhaitent coopérer avec notre groupement.»
Conflits d’intérêts et déceptions
Le ministre russe confirme donc la rumeur relayée par une influenceuse russe au mois d’août 2024, qui évoquait une «pause» dans l’élargissement jusqu’à 2027. Les Russes semblent n’avoir pas apprécié le cafouillage qui a régné déjà pendant l’été 2023 et lors des préparatifs du prochain sommet à Kazan au cours du mois d’octobre courant. «Nous étions cinq, maintenant nous sommes dix. Bien entendu, cela nécessite un certain temps d’adaptation et une acceptation harmonieuse des nouveaux membres, conformément aux traditions que le quintette fondateur a développées au fil des années», a déclaré Lavrov dans un langage diplomatique qui signifie, en termes crus, qu’il y a des conflits graves au sein du groupement.
Ces conflits concernent, entre autres, le rôle de l’Arabie Saoudite et des Emirats, qui étaient supposés renflouer les caisses de la Nouvelle Banque de développement (NBD), outil financier stratégique des BRICS, censé être le fer de lance de la bataille de dédollarisation. Or, ces deux pays sont restés très réservés jusqu’à présent. En effet, le royaume des Al-Saoud n’a pas encore intégré la NBD, tandis que les Emirats, bien qu’actionnaires de la NBD depuis 2021, restent très avares financièrement, puisque leur engagement dans le capital de cette banque tourne autour de 1,1% (l’équivalent de 556 millions de dollars), alors que le pauvre Bangladesh détient, grâce à son engagement à hauteur de 942 millions de dollars, une participation de presque 2%.
Pour l’Algérie, le dossier est clos et la page est tournée
Il y a une semaine, El Moudjahid publiait un article qui paraissait à première vue un peu surprenant. Le journal a, en effet, jugé «nécessaire de répondre à des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux sur une prétendue candidature de l’Algérie aux BRICS». Donnant la parole à une «source gouvernementale très au fait de ce dossier», qui souhaitait rester anonyme, le doyen des médias algériens a catégoriquement nié cette information. L’article semblait étonnant, parce que la position de l’Algérie est connue et reste inchangée depuis un an. Elle n’avait donc pas besoin d’être de nouveau médiatisée. En effet, c’est le président de la République lui-même qui déclarait, début octobre 2023, devant des éditeurs de la presse nationale, qu’il abandonnait définitivement l’adhésion à cette organisation hybride. «Le dossier est clos et la page est tournée», avait-il décrété.
A la lumière des déclarations de Lavrov concernant la suspension des adhésions, l’article d’El-Moudjahid prend une autre dimension. L’Algérie savoure sa revanche sur l’organisation des BRICS, tout en leur rappelant leurs propres erreurs. En effet, comme l’affirme l’auteur de l’article paru dans ce média officiel, il y a dans la démarche de cette organisation «une incohérence flagrante, tant sur le fond que sur la forme», laquelle organisation «adopte une logique de sélection absurde, limitant aussi bien son impact que sa portée». L’éditorialiste d’El Moudjahid poursuit : «Au lieu de ratisser large et d’apporter des solutions globales, elle se contente d’une démarche restrictive. Cette contradiction n’affaiblit-elle pas sa crédibilité ?» Pour enfoncer le clou, il pose la question pertinente : «Comment ne pas douter des véritables intentions quand on sait que l’Algérie est de très loin mieux lotie que plusieurs pays admis à l’organisation» l’été 2023 ?
Geler l’adhésion à la Banque des BRICS
L’Algérie prend acte des tiraillements profonds et contreproductifs qui traversent les BRICS. Elle espère voir bientôt l’adoption de valeurs communes solides et immuables qui la guideront et la régiront. Et attend, par ailleurs, que les conditions transparentes et les règles de jeu valables pour tout le monde soient élaborées et fixées afin de se relancer dans la bataille du système mondial multipolaire. Son adhésion dans la Nouvelle Banque de développement – propriété des BRICS – me semble maintenant encore très prématurée. J’appelle le président de la République à la geler et à consacrer les 1,5 milliard de dollars prévus pour cette adhésion à la création d’un Fonds national de développement des projets de la diaspora algérienne (Fondial) dans les domaines technologiques, tels l’Intelligence artificielle, la défense, l’environnement, l’eau et les énergies renouvelables. L’analyse de ce sujet fera l’objet d’une contribution qui sera rédigée dès que les conditions le permettront.
Conclusion
L’organisation des BRICS est dans un mauvais état à cause de la logique de copinage et d’intérêts étroits que ses membres fondateurs – particulièrement l’Inde – ont appliquée. Elle a, ainsi, déçu les masses populaires en Afrique, en Asie et en Amérique latine, qui espéraient voir se concrétiser l’idée de la construction d’un système financier et bancaire mondial juste, comme alternative au système sous domination états-unienne de Breton Woods. Ce dernier, il faut l’avouer, reste encore pour le moment de loin plus performant que le système embryonnaire de la NBD.
Les BRICS payent le prix de leur propre myopie politique. Ce n’est pas la fin. Ce n’est que partie remise.
H.-N. B.
Ndlr : L’auteur a publié, le 26 septembre 2023, dans Algeriepatriotique une contribution sur le rejet de la candidature algérienne aux BRICS, que nos lecteurs peuvent consulter en cliquant sur le lien ci-après.
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