Saïd Bouamama : «Israël veut créer les conditions d’une coalition contre l’Iran»

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Les Américains veulent-ils rééditer le coup de l'Irak ? D. R.

Sociologue algérien et auteur de plusieurs ouvrages, Saïd Bouamama nous donne son analyse sur les buts réels de l’entité sioniste en Palestine et au Moyen-Orient. Pour le fondateur du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), l’Etat sioniste souhaite créer les conditions pour une coalition internationale contre l’Iran au nom d’une pseudo-lutte antiterroriste. Interview.

Algeriepatriotique : Près d’une année de génocide contre les populations de la Bande de Gaza et de Cisjordanie et dont nous sommes des témoins impuissants. Comment décririez-vous la situation sur le terrain ?

Saïd Bouamama : Le peuple palestinien subit depuis une longue année sa plus dure et plus sanglante épreuve depuis la Nakba de 1948. L’Etat sioniste a des buts officiels de guerre qui masquent ses buts réels. Si les premiers sont la libération des otages et la destruction du Hamas, les seconds se précisent chaque jour : il ne s’agit ni plus ni moins que de susciter un nouvel exode, en rendant la vie impossible à Gaza et en Cisjordanie, de pousser la population à prendre ses distances avec les organisations de résistance, de reconstruire Gaza et la Cisjordanie, selon des normes accroissant le contrôle de ces territoires et favorisant la colonisation. Malgré l’ampleur des moyens déployés avec le soutien de l’OTAN et en premier lieu des Etats-Unis, aucun de ces buts de guerre n’est atteint : malgré des départs importants, la plus grande partie des Palestiniens refusent de partir et reviennent dès que cela est possible, la résistance continue ses actions en dépit de ses pertes, le peuple palestinien continue à soutenir ses organisations de résistance, la solidarité populaire internationale n’a jamais été si importante, etc.

Des raids meurtriers sionistes sont menés au Liban juste après l’attentat en série exécuté à distance par les services secrets israéliens, lequel attentat a fait plusieurs morts et des milliers de blessés.  Allons-nous vers une conflagration générale de la région ?

L’intérêt de l’Etat sioniste est d’étendre le conflit pour susciter une intervention directe des pays occidentaux. Il souhaite ce faisant créer les conditions pour une coalition internationale contre l’Iran au nom d’une pseudo-«lutte antiterroriste». Un tel scénario lui permet d’espérer le retour d’une alliance «sunnite» anti-iranienne qui lui a, dans le passé, permis d’obtenir les «normalisations» avec de nombreux pays arabes, c’est-à-dire, en fait, l’abandon pur et simple du peuple palestinien. Malgré sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, l’Etat sioniste dispose d’une autonomie relative qu’il utilise pour contraindre l’allié états-unien à aller plus loin que ce que ses intérêts immédiats lui dictent. La guerre au Liban entre dans cette stratégie d’isolement et d’encerclement de l’Iran pour créer les conditions d’une guerre contre ce pays et, à terme, le balkaniser. Elle poursuit également un objectif d’empêcher toute résistance palestinienne à partir des Etats voisins soit par l’instauration d’un Etat fantoche pro-israélien dans le Sud-Liban, soit par son occupation et/ou son annexion directe. Au-delà des pays proches, la stratégie israélienne s’appuie et s’articule à celle des Etats-Unis visant à redessiner l’ensemble de la géographie politique régionale, selon une ligne visant à balkaniser les pays de la région pour mieux la contrôler. Les tactiques de cette stratégie sont connues : 1- susciter des guerres conduisant à une balkanisation de fait comme en Irak, en Lybie, en Syrie, etc. 2- initier des révolutions de couleur soit en suscitant artificiellement par le biais du «soft power» des guerres civiles, soit en tentant d’instrumentaliser des contestations sociales légitimes et réelles.

Comment expliquez-vous ce mépris du droit international par l’Etat apartheid d’Israël ?   

L’Etat d’Israël est depuis sa naissance une violation du droit international. Il a été créé artificiellement pour constituer un Etat vassal d’abord de la Grande-Bretagne, tant que celle-ci a été la puissance impérialiste hégémonique, et ensuite des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Un tel Etat vassal est nécessaire pour une double raison en interaction. La première est le contrôle de cette région stratégique, qui est le point de passage entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique et dont le sous-sol recèle une part importante des réserves en hydrocarbures. La seconde raison est d’empêcher la maturation du processus de création d’une nation arabe commune qui pourrait à terme avoir les moyens d’une indépendance réelle vis-à-vis des grandes puissances occidentales. C’est ce besoin d’un Etat vassal qui explique le soutien indéfectible des puissances occidentales à l’Etat sioniste hier comme aujourd’hui. C’est ce qui explique le viol du droit international dès l’instauration du mandat britannique en Palestine. En décidant arbitrairement d’inclure une déclaration privée [la Déclaration Balfour], dans un texte de droit international [le mandat de la SDN] les Etats occidentaux inauguraient le viol du droit international qui se reproduira ensuite à de multiples occasions. L’Etat sioniste est, bien entendu, conscient du rôle qu’il joue au service des puissances occidentales et sait qu’il peut en jouer pour violer le droit international en permanence en toute impunité sans jamais risquer d’être «lâché» par ses commanditaires.

Des observateurs estiment que seuls les Etats-Unis d’Amérique peuvent arrêter la furie meurtrière de l’Etat hébreu, le «machin» ONU étant devenu obsolète. Parle-t-on de ces mêmes Etats-Unis lesquels sont sous les bottes du lobby sioniste ?

Il existe, certes, un lobby sioniste puissant qui influe par de multiples moyens sur les orientations états-uniennes concernant le Moyen-Orient, en général, et la Palestine en particulier. Cependant, il ne faut pas se tromper sur le sens de la détermination. Ce sont les puissances occidentales qui ont permis la création artificielle de l’Etat sioniste et ce sont elles qui lui ont permis de maintenir un rapport de force assurant sa suprématie. En dépit du lobby sioniste, les intérêts immenses en jeu ne laissent aucun doute sur qui est le «seigneur» ou le «suzerain» et qui est le «vassal». Les Etats-Unis disposent en conséquence des moyens réels d’imposer à leur vassal leurs orientations. Ils ne le feront cependant qu’en fonction de leurs intérêts concrets. Tant que soutenir Israël leur est plus profitable que de ne pas le faire, ils continueront leur soutien indéfectible. Une telle situation souligne la responsabilité qui est la nôtre tant au niveau des peuples que des Etats. Seule une mobilisation internationale durable et massive, d’une part, et une pression sur les Etats-Unis de la part des Etats du «Sud Global» avec sanctions concrètes à l’appui, d’autre part, peuvent aboutir à un tel résultat. Nous en sommes encore très loin, comme en témoignent les interventions de certains pays arabes dans les guerres de balkanisation de ces deux dernières décennies et les normalisations avec l’Etat sioniste de l’Egypte au Maroc, de la Jordanie aux Emirats.

Le lobby judéo-sioniste en Occident a réussi à lier l’antisionisme à l’antisémitisme – critiquer Israël serait aussi condamnable que s’en prendre à la communauté juive – et lancer des campagnes tous azimuts afin de diaboliser les musulmans. Quel commentaire en faites-vous ?  

L’antisémitisme est une idéologie dont le terrain de naissance est l’Europe. C’est son existence qui a suscité la naissance du sionisme en réponse illusoire aux pogroms réguliers dans de nombreux pays européens. L’antisionisme, pour sa part, est d’une tout autre nature. Il est constitué par la réponse d’un peuple soumis à une colonisation de peuplement. L’antisémitisme relève du racisme alors que l’antisionisme relève du champ de la libération nationale. Amalgamer ces deux réalités, n’ayant aucun lien entre elles, relève de la bataille idéologique visant à légitimer l’Etat d’Israël. Un tel amalgame suppose également de développer la forme spécifique du racisme qu’est l’islamophobie. Celle-ci est, en effet, nécessaire pour légitimer le roman national sioniste présentant Israël comme point avancé de la pseudo-guerre de civilisation qui opposerait les «civilisés» et les «barbares», les Occidentaux porteurs de «démocratie» et les musulmans porteurs de sauvagerie. Pour ce faire, une chaîne d’amalgame est nécessaire : musulmans/«djihadistes»/terroristes, etc. Le caractère mensonger de cet amalgame a été affirmé dans tous les textes de la résistance palestinienne depuis ses tout premiers pas au sein même de l’Empire ottoman alors qu’elle ne s’affrontait pas encore à un Etat mais à l’immigration sioniste. Yasser Arafat l’a admirablement résumé à l’ONU en 1974 : «Si cette immigration des juifs en Palestine avait eu pour but de leur permettre de vivre à nos côtés, en jouissant des mêmes droits et en ayant les mêmes devoirs, nous leur aurions ouvert les portes, dans la mesure où notre sol pouvait les accueillir. Tel a été le cas pour les milliers d’Arméniens et de Circassiens qui vivent parmi nous en tant que frères et citoyens bénéficiant des mêmes droits. Mais que le but de cette émigration soit d’usurper notre terre, de nous disperser et de faire de nous des citoyens de deuxième catégorie, c’est là une chose que nul ne peut raisonnablement exiger de nous. C’est pour cela que, dès le début, notre révolution n’a pas été motivée par des facteurs raciaux ou religieux. Elle n’a jamais été dirigée contre l’homme juif en tant que tel, mais contre le sionisme raciste et l’agression flagrante.»

La énième tragédie que vivent les Palestiniens depuis le 7 octobre a pesé sur la conscience des populations mondiales et dévoilé le visage hideux de l’entité sioniste, la complicité des dirigeants occidentaux et la lâcheté des dirigeants arabes. Les peuples du monde ont-ils assez de poids pour abolir ce système sioniste qui les domine ?

L’histoire de l’humanité recèle une multitude d’exemples de luttes qui semblaient ingagnables, de rapports de force qui semblaient impossibles à changer, de dominations qui semblaient éternelles. Qui pouvait prédire la fin de l’esclavage ou la décolonisation quelques décennies avant qu’ils ne deviennent des réalités ? Une des lois de la dialectique est que toute réalité est en mouvement. Elle s’applique bien sûr à l’histoire humaine et à l’’histoire du peuple palestinien, en particulier. Que les peuples du monde se mobilisent massivement et durablement au côté du peuple palestinien, qu’ils imposent comme un des critères de choix de leurs gouvernements des positions fermes sur la question palestinienne, qu’ils exigent que cette question soit un des critères de leurs relations économiques avec les Etats-Unis et les Etats occidentaux, etc. et le rapport de forces sera radicalement transformé. Il en va de l’intérêt non seulement du peuple palestinien mais aussi de celui de tous les peuples arabes, de tous les pays du Sud Global et plus largement de l’intérêt de tous ceux qui aspirent à un monde de paix. Le peuple palestinien n’a, en ce qui le concerne, pas le choix. Il est objectivement dans une alternative d’airain : résister ou disparaître. Il ne peut donc que résister.

Que ce soit pour l’intervention militaire russe en Ukraine ou le génocide des Palestiniens par l’entité sioniste, les médias dominants occidentaux, notamment en France, ne cessent de manipuler leur opinion publique et de travestir la réalité. Pourquoi ?  

Les médias dominants occidentaux ne sont pas des entités planant au-dessus des affrontements sociaux et les analysant de manière objective. Il suffit de se rappeler les couvertures de la lutte de libération nationale algérienne pour se rappeler le caractère mythique de l’«objectivité journalistique». Ces médias sont également des machines économiques capitalistes fonctionnant à partir du critère du profit. Les lignes éditoriales sont prédéfinies sur chacune des grandes questions, en fonction de l’intérêt de la classe dominante. Concernant les pays occidentaux, ces intérêts sont précis : l’encerclement de la Russie en attendant de pouvoir la balkaniser et le contrôle du Moyen-Orient nécessitant le soutien à l’Etat sioniste. A cette base matérielle s’ajoute le poids du lobby sioniste managé depuis Tel-Aviv de manière particulièrement méthodique.

Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine

(Suivra)

Comment (6)

    Anonyme
    4 octobre 2024 - 21 h 06 min

    Vous avez complètement raison. Pour les ignorants, vous devrez savoir qu’environ 28% des médecins hospitaliers sont des algériens (statistiques données par les français). Rien que pendant les décennies noires 10 000 médecins algériens sont arrivés en France. Dans presque toutes les universités françaises on des maîtres de conférences et des professeurs.

    Luca
    4 octobre 2024 - 19 h 22 min

    Ça, va être dur à mon avis Mr, de reproduire le coup des armes de destruction biblique. Mais monter les chiite contre les sunites, oui ils vont essayer. C’est la fin d’un monde et non pas du monde, voilà ce qui se passe. Et la place de muh-hammad et de moise sera de plus en plus grande, jusqu’à l’extermination de croix et se la pyramide, donc de la débilité du bien

    Le Chat Botté
    4 octobre 2024 - 17 h 35 min

    «Israël veut créer les conditions d’une coalition contre l’Iran» vous titrez!
    Je ne sais pas si on lit les memes infos ou non.
    En effet depuis déja plus d’une décennie que l’état impérialisme avec la complicité des USA a leurs bottes + la GB, l’Allemagne , la France et bien sure d’autres résidues a leurs soldes font des pieds et des mains pour anénantir et détruire tout l’arsenal militaire Iranéen dans toute la région.
    Sinon comment pourait-on interpréter le va et vient incessant de Chitan-yahoo aux états-unis et chaque visite fait embraser toute la région sans que le reste du monde ne bouge le petit doigt.,leurs buts c’est de détruire une fois pour toute l’.arsenal nucléaire Iranéen. C’est e l’aveux meme de ce Chitan-yahoo qui l’avait déclaré a chaque visite aux USA au vu et au su tout le monde.
    Donc arrétons cette mascarade de remonter les chameliers du golf contre l’état Iranéen.
    En effet depuis déja longtemps que les chameliers d’orient sont a leur solde et ne bougent pas le petit doigt sans l’aval de leur parrain.

    1 Avis
    4 octobre 2024 - 17 h 32 min

    Très bon résume des Enjeux de Puissance RÉELS derrière ce qui se passe au Liban.
    “..La guerre au Liban entre dans cette stratégie d’isolement et d’encerclement de l’Iran pour créer les conditions d’une guerre contre ce pays et, à terme, le balkaniser…”
    .
    Dès le 07 Octobre 2023 , la 🎯 CIBLE de Tel Aviv était l’IRAN…l’IRAN et encore l’IRAN
    .
    Cet Acteur régional est le seul Contrepoids crédible à l’hégémonie totale de Tel Aviv sur un Proche Orient totalement vassalisé , ENTRAVÉ par la Dette , l’insécurité alimentaire, l’insécurité hydrique , les problèmes sociaux-économiques
    Des Problèmes et des Dépendances entretenues voire crées depuis des Années …dans une Vision STRATÉGIQUE de long Terme.
    Le 07 Oct. fut une Opportunité TACTIQUE a exploiter sur tous les Plans surtout avec des 🇺🇸 USA en période Électorale.
    .
    Il faut intégrer ces Éléments pour comprendre les Jeux en Coulisse de pays de la Région comme certains pays du Golfe dit “CCG” , EAU et l’Arabie Saoudite en Tête de File…
    Ces Pays peuvent Moneyer leur Soutien à la Meute Occidentale et rêver d’une Région “débarrassé” de 🇮🇷 l’Influence Iranienne , Ce qui entraînera encore plus de Troubles et d’Anarchie et une Vassalisation accélérée de ces Acteurs.
    Ou
    Prendre à contrepied les calculs de Tel Aviv
    .

    Abou Stroff
    4 octobre 2024 - 16 h 12 min

    «Israël veut créer les conditions d’une coalition contre l’Iran» souligne S. B..

    en effet je pense, qu’un des objectifs primordiaux de l’entité sioniste est de détruire l’Iran des mollahs qu’elle considère comme une menace réelle pour son existence et pour atteindre cet objectif, l’entité sioniste doit associer son « parrain », i. e. les Usa, et d’autres puissances impérialistes pour être sure de gagner la guerre.

    on peut même ajouter que l’objectif essentiel de l’entité sioniste est de dépecer (voir le plan Yinon) le monde arabo-musulman en petites entités basées sur la religion et ou l’ethnie, pour qu’elle (l’entité sioniste) s’inscrive dans la normalité. en effet, entourée de régimes basés sur la religion et/ou l’ethnie, l’entité sioniste, régime raciste basé sur la religion, n’apparaîtrait pas comme un anachronisme mais évoluerait comme une poisson dans l’eau.

    En outre, on peut avancer, comme le souligne S. B. qu’une des raisons du soutien inconditionnel de l’entité sioniste par les puissances impérialistes est que cette entité est le prolongement du Grand Capital dans la région du moyen-orient à laquelle ce dernier assigne le rôle de  contrôler « cette région stratégique, qui est le point de passage entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique et dont le sous-sol recèle une part importante des réserves en hydrocarbures. » 

    ceci étant dit, je pense que la seconde raison avancée par S. B concernant le soutien inconditionnel de l’entité sioniste par les puissances impérialistes, à savoir celui « d’empêcher la maturation du processus de création d’une nation arabe commune qui pourrait à terme avoir les moyens d’une indépendance réelle vis-à-vis des grandes puissances occidentales », relève d’un discours idéologique qui ne doit, en aucune cas, transparaître dans une analyse qui se veut scientifique.

    En effet, tout analyste sérieux sait que la « nation arabe » est une fiction idéologique qui ne repose sur aucune base objective et que cette notion de nation arabe est le produit d’intellectuels chrétiens (voir M. Afflak) qui voulait faciliter l’intégration de la « communauté » chrétienne dans un environnement essentiellement musulmans.

    Enfin, je pense que, étant donné la non-existence de la « nation arabe », l’entité sioniste ne peut ni accélérer, ni empêcher la maturation d’une fiction idéologique.

    Wa el fahem yefhem

    Matelot
    4 octobre 2024 - 14 h 33 min

    (…)
    Pourquoi réduire l l’immigration aux quartiers populaires Pauvres ??
    Les immigrés notamment Algeriens ont accès à la propriété ont un niveau de vie élevé paient leur impôts et taxes ont des postes importants leur enfants vont dans les grandes écoles et travaillent dans des grandes entreprises
    On n est plus en 70
    Il faut arrêter la caricature

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