Israël marocain à l’ouest de l’Algérie : le plan de Theodor Hertzl ressuscité ?
Une contribution de Khlaed Boulaziz – La question de savoir si la naturalisation des juifs marocains constitue une résurgence du «plan du Maroc» de Theodor Herzl de 1903 appelle une réflexion ancrée à la fois dans la résonance événementielle et dans les angoisses contemporaines. Pour comprendre la gravité d’une telle proposition, il convient de parcourir les chemins complexes de l’histoire, où se mêlent les ambitions sionistes, le patrimoine marocain et la géopolitique contemporaine, de manière à susciter une méditation approfondie.
Les origines du soi-disant «plan du Maroc» naquirent dans l’esprit tourmenté de Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste génocidaire, qui avait conçu ce projet comme une voie secondaire pour l’établissement d’un foyer hébreu. Son «plan Ouganda» proposait d’installer les juifs en Afrique de l’Est, mais son regard s’est également tourné vers les contrées occidentales du Maroc, un pays qui abritait déjà une communauté juive tentaculaire.
En 1903, à la fin de sa vie, Herzl a rédigé une lettre vague mais déterminée, exposant son projet d’installer les juifs russes au Maroc. Ce projet, connu de peu de personnes, visait à offrir un refuge à ses coreligionnaires de l’Europe de l’Est, et Herzl voyait dans le Maroc une terre fertile, à la fois métaphoriquement et littéralement, pour l’établissement juif.
Jacob Haguel, le chef de l’Organisation sioniste mondiale, confirme que Herzl, toujours pragmatique, trouvait l’option marocaine bien plus réaliste que les terres lointaines et peut-être hostiles de l’Ouganda. Le Maroc, avec ses communautés juives et ses centres de vie judaïque établis, offrait une solution attrayante au dilemme sioniste de l’époque. Pour Herzl, homme pressé aux urgences de son temps et aux courants plus vastes de l’histoire, ce pays représentait une direction logique – une qui aurait pu s’épanouir en une alternative viable à la Palestine si les circonstances l’avaient permis.
Cependant, les ambitions de Herzl n’étaient pas nées dans un vide, ni n’étaient-elles uniques à son imagination. La notion d’installation juive au Maroc avait déjà trouvé des partisans parmi les frères Baruch et Jacob Moshe Toledano. Ces fils d’émigrants marocains, eux-mêmes sionistes fervents, avaient préparé le terrain pour un tel plan bien avant que l’attention de Herzl ne se tourne vers l’Afrique du Nord.
Baruch, en particulier, était en contact avec Herzl peu avant la mort prématurée de ce dernier, l’exhortant à considérer le Maroc comme un refuge pour le peuple juif. Cependant, avec la disparition de Herzl, ce projet a été archivé, aux côtés d’autres propositions sionistes oubliées pour des patries temporaires au Moyen-Orient, de l’Irak à la Syrie. De façon fascinante, bien que des territoires comme le Canada ou la Suisse n’aient jamais été sérieusement envisagés, une proposition antérieure de 1820 avait suggéré la création d’un territoire juif dans les terres inhabitées des États-Unis – un précurseur, peut-être, de la pensée sioniste.
Mais pourquoi, le lecteur pourrait-il se demander, cette évocation historique est-elle soulevée aujourd’hui ? Quelle est sa pertinence dans le contexte actuel ?
La semaine dernière, beaucoup de Marocains ont été surpris par une annonce du ministère chargé des relations avec le Parlement. Ce ministère a révélé avoir reçu une pétition législative plaidant pour la naturalisation de tous les descendants de juifs marocains. La pétition, entourée de mystère, cherche à restaurer les droits – constitutionnels, politiques, religieux, culturels, économiques et sociaux – des juifs qui ont autrefois vécu au Maroc et de leurs descendants. Elle exige l’intégration de ces descendants dans la société marocaine et appelle à une restructuration audacieuse de la loi marocaine pour accorder la citoyenneté à tous les juifs ayant précédemment renoncé à celle-ci, ainsi qu’à leurs descendants.
On ne peut ignorer les résonances historiques de cette pétition. La proposition va bien au-delà de simples ajustements législatifs ; elle appelle l’Etat à fournir toutes les ressources nécessaires à l’intégration des juifs marocains dans le tissu politique et économique de la nation. De plus, elle propose la création de départements gouvernementaux dédiés à cette cause et plaide pour que l’hébreu devienne une langue officielle de communication, aux côtés de l’arabe et de l’amazigh. Cette vision s’étend également à la sphère culturelle, insistant sur la protection des juifs marocains contre la discrimination ou l’hostilité, tout en collaborant avec d’autres nations pour sauvegarder leurs intérêts à l’étranger.
Le ministère, de manière discrète, a indiqué qu’il prendrait une décision sur la pétition dans un délai de quinze jours, conformément aux procédures légales. Cependant, pour de nombreux Marocains, cette proposition est non seulement déroutante, mais aussi profondément suspecte. Le gouvernement n’a rien révélé sur l’identité des pétitionnaires, et le secret entourant l’affaire incite à se demander s’il ne s’agit pas d’un test délibéré des sentiments du public marocain. Se pourrait-il que ce soit une tentative pour mesurer la réaction à un plan qui, s’il était mis en œuvre, changerait la composition même de la société marocaine ?
Le peuple marocain a déjà exprimé son opposition. La naturalisation de ces individus – dont beaucoup, rappelons-le, détiennent aujourd’hui la citoyenneté israélienne, une nation engagée dans les massacres contre les Palestiniens – serait perçue comme rien de moins qu’une traîtrise et un soutien à l’agenda sioniste déstabilisateur dans la région. Il s’agit d’une question de fierté nationale et de responsabilité historique que les forces vives du Maroc doivent défendre. Accorder la citoyenneté à ceux qui ont participé à la dépossession et à l’occupation du peuple palestinien reviendrait à profaner la mémoire de de leurs ancêtres, qui ont combattu avec bravoure pour défendre les terres sacrées de Jérusalem.
En effet, le spectre de la «malédiction de la huitième décennie» d’Israël plane lourdement dans l’imaginaire collectif de ceux qui étudient l’histoire du peuple juif. Tout au long de l’Antiquité, les entités politiques juives établies en Palestine se sont effondrées à la fin de leur huitième décennie. Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien, a souvent évoqué cette malédiction, un rappel que l’avenir d’Israël est loin d’être assuré. Il n’est donc pas déraisonnable de craindre la résurgence du «plan du Maroc» de Herzl. Si le gouvernement Akhannouch adopte cette proposition, nous pourrons un jour nous retrouver avec des figures israéliennes dans les plus hautes sphères du gouvernement marocain dans un kibboutz militaire à nos frontières – peut-être même un descendant de Netanyahou ou de Ben-Gvir en tant que Premier ministre.
Il ne s’agit pas de simples spéculations. La loi marocaine, dans son état actuel, déchoit de leur citoyenneté ceux qui l’ont reniée ou qui servent dans une armée étrangère. De nombreux juifs marocains qui ont émigré en Israël servent aujourd’hui dans l’armée israélienne, une force d’occupation engagée dans un génocide contre les Palestiniens. Pour le peuple marocain, cette pétition n’est rien de moins qu’une porte ouverte à la «sionisation» de leur terre, et ils ne doivent pas rester les bras croisés alors que cela se déroule.
Qu’on s’élève, indomptables et fiers, contre ces odieuses manigances de normalisation avec Israël, et qu’on repousse avec la vigueur des tempêtes cette abjecte requête de naturalisation des juifs marocains, il est impératif que le peuple, enflammé par l’ardeur du juste courroux, foudroie ce nouvel artifice d’Azoulay, architecte maudit de cette cabale néfaste. Lui, l’ombre macabre et froide, l’éminence noire, tisse, tel un funeste démiurge, les fils invisibles de la discorde, cherchant, depuis l’obscurité de son antre, à régner sur les destinées de cette partie du monde.
Pas plus la déchirante partition de l’Algérie sous l’impie dessein d’Alain Peyrefitte (1), à l’aube de son indépendance en 1961, que la moindre mise en œuvre d’un «plan du Maroc» ne verra le jour ici ! Aujourd’hui comme en l’an de grâce 1903, il n’y aura point de kibboutz militaire à nos frontières.
Les Amazighs, nobles sentinelles de cette terre millénaire, se dressent, imperturbables, et font le serment solennel que leur dignité, telle une promesse gravée dans l’éternité, ne sera jamais souillée.
K. B.
1) https://www.algeriepatriotique.com/2020/10/09/quand-le-general-de-gaulle-voulait-faire-de-lalgerie-un-israel-francais/
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