Merci aux ennemis !
Par Kaddour Naïmi – En matière de liberté d’expression, voici quelques réflexions issues d’un travail de questionnement. Dans l’Athènes ancienne, un philosophe d’âge avancé, à la fin d’une discussion avec un jeune interlocuteur, admit son erreur et remercia. L’adolescent s’étonna : «Si j’avais eu raison, expliqua le vieillard, c’est vous qui auriez appris. Vu que c’est moi qui eus tort, j’ai gagné quelque chose de vous, d’où ma reconnaissance.»
Si l’on connaît correctement nos idées justes mais ignorons celles erronées, nous ne vaincrons pas la bataille culturelle. Si l’on connaît les idées erronées de l’adversaire, mais ignorons celles éventuellement justes, nous ne vaincrons pas la bataille culturelle.
Qui nous montrent nos erreurs ? Notre ego ? Pas certain. Nos amis ? Pas toujours. Nos flatteurs ? Jamais.
Restent nos adversaires : plus ils nous détestent, plus ils cherchent où se trouvent nos erreurs, et nous les jettent à la figure, parfois manipulées, tronquées pour laisser croire à leur stupidité ; si cela ne suffit pas, on ajoute la diffamation volontaire.
Cette dernière nous indique le degré de haine de nos adversaires. Utile à savoir. Répondre de la même manière, ce serait aboyer devant un chien qui aboie.
L’utile est l’argumentation des ennemis. S’ils détectent et dénoncent chez nous des idées ou comportements erronés, ils nous montrent nos carences, nous apprennent à les corriger.
Ce n’est pas en ignorant les microbes dans le corps que le médecin parvient à l’en débarrasser ; il doit les découvrir, sans haine : ce sentiment affaiblit ou annihile le raisonnement. Alors, en toute objectivité, le praticien trouve la méthode pour éliminer les intrus et redonner la santé au malade.
Interdire l’expression d’un opposant intellectuel, c’est reconnaître l’incapacité de ses pairs à démontrer l’erreur du premier mentionné et son intention nuisible. Cette incapacité permet aux citoyens de connaissance limitée d’intervenir : les uns vantent l’importance de cet intellectuel opposé, les autres insultent son infamie. Les deux aggravent le problème.
S’il est relativement aisé de révéler l’erreur de l’adversaire, comment découvrir l’intention nuisible ? Suivez l’argent, et, avec lui, la glorification médiatique.
Qui fournit le premier et assure la seconde ? On le sait : les idées et les actes dominants sont ceux de la classe dominante. L’un de ses moyens d’exister : ses chiens de garde.
Ceci dit, une nuance d’importance : il est difficile de détecter les intentions destructrices de celui qui se proclame l’«ami», le «défenseur» du peuple, de la démocratie, de la liberté, de la libération des femmes, de la «laïcité», etc. «Dieu, sauve-moi de mes amis ; de mes ennemis, je m’en charge.»
Il est plus facile de savoir qui est le vrai adversaire : il se déclare comme tel. Infiniment plus difficile reconnaître le tartuffe, le mercenaire : il se présente tout souriant, auréolé d’intellectualité, d’«opposition» héroïque, photographié en star hollywoodienne, cravaté sinon avec une chemise blanche ou une longue écharpe au cou, parfois des lunettes même s’il n’est pas myope, partout interviewé dans les médias les plus diffusés, chaque fois primé dans les institutions les plus réputées. Et le troupeau ignorant ou semi-lettré applaudit, affronte la file pour acheter le produit bien marketisé, en croyant acheter de la culture.
Constater est insuffisant : il faut proposer des solutions. La première est la constitution ou le renforcement de réseaux entre les vraies consciences libres, unies par la recherche de la vraie vérité en cette époque de manipulation goeblesienne, en liaison avec les peuples, pour neutraliser la barbarie génocidaire costumée et cravatée.
La seconde solution : créer des comités citoyens de base dans les quartiers, afin de compléter les contacts virtuels par des relations concrètes.
Ne devons-nous pas remercier toute personne qui, par égotisme médiatique et sa conséquence, la félonie mercantile, nous aide à découvrir nos faiblesses, à détecter le vrai ami et le réel ennemi du peuple, de la démocratie, des droits humains, de la liberté ? N’est-ce pas au soleil de la vérité, quel que soit son goût amer, que s’éliminent les Frankenstein et leurs laquais bien récompensés, qui se gorgent de la sueur et du sang des opprimés ?
K. N.
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