Israël, Maroc, Kamel Daoud : différentes manifestations de la même abomination
L’actualité regorge d’événements qui, bien qu’ils paraissent déconnectés les uns des autres, sont en réalité différentes manifestations de la même abomination : le néocolonialisme. Trois exemples marquants permettent d’illustrer cette réalité. D’abord, l’agression coloniale perpétuée par le sionisme en Palestine, où un génocide décomplexé est infligé à un peuple dépossédé de sa terre et de sa dignité. Cette violence, servie avec des injonctions morales qui accusent d’antisémitisme toute compassion envers les Palestiniens, confisque le droit à l’indignation face à une injustice manifeste.
Ensuite, l’entreprise coloniale du Maroc au Sahara Occidental, où un Etat, devenu une officine néocoloniale par excellence, agit comme un colonisateur à son tour, mu par un complexe de colonisabilité. Cette entreprise est parée, dans les discours médiatiques, des atours d’un retour à une légitimité historique. Une ironie amère, lorsqu’on considère l’histoire réelle de cette région, qui montre que le Maroc n’a jamais été une nation digne et encore moins une histoire glorieuse, comme l’Algérie ou la Tunisie. Le Maroc, ce harki-Etat, semble plus préoccupé à se venger de l’histoire qui l’a oublié qu’à lui rendre justice.
Enfin, le prix Goncourt 2024 attribué à Kamel Daoud pour son roman Houris illustre une autre facette de ce néocolonialisme. Derrière une façade littéraire universelle se cache, pour certains, une réhabilitation subtile des logiques coloniales en Algérie. Par un discours intellectualisé et soigneusement adapté aux attentes occidentales, ce prix valide une entreprise qui, au lieu de combattre la domination, renforce la vision d’un monde où le regard du colonisateur reste la norme.
Ces événements, aussi disparates qu’ils puissent sembler, sont en réalité les manifestations d’une même dynamique : le néocolonialisme. Héritier direct du colonialisme du XIXe siècle et né au XXe siècle dans les salons impérialistes avec des figures comme Sykes, Picot et Lyautey, ce système s’est métamorphosé pour s’adapter aux réalités contemporaines. Il se perpétue aujourd’hui à travers les outils de la post-vérité, manipulant les faits et les perceptions pour maintenir la domination sur des peuples prétendument décolonisés.
Ce qui rend le néocolonialisme d’aujourd’hui encore plus pervers, c’est sa capacité à faire porter le crime par la victime d’hier. Dans cette forme «post-moderne» de domination, le génocide des Palestiniens est exécuté par les descendants des victimes de l’Holocauste ; une entreprise coloniale contre le Sahara Occidental est menée par un ancien colonisé devenu à son tour colonisateur et, enfin, Kamel Daoud, par son œuvre, réhabilite la figure du harki, mais sous des apparats moralisants, adaptant son discours aux attentes des anciens maîtres.
Les intellectuels algériens de l’ère coloniale : un héritage occulté
Cette triste réalité révèle non seulement la résilience de cette mentalité de domination psychotique, mais aussi une faillite flagrante dans la transmission de l’héritage riche des anticolonialistes algériens. Sinon, comment expliquer cette cécité généralisée, incapable de reconnaître Israël, le Maroc et Kamel Daoud comme des personnages identifiables et déjà disséqués par des analyses visionnaires ?
L’époque coloniale en Algérie a vu naître une génération d’intellectuels qui avaient brillamment exposé cette bête immonde qu’est le colonialisme. Figures comme Kateb Yacine, Frantz Fanon, Malek Bennabi et bien d’autres ont produit des œuvres monumentales. Celles-ci n’étaient pas de simples dénonciations de la violence coloniale : elles proposaient aussi des outils conceptuels puissants pour l’émancipation, tout en offrant une critique profonde des mécanismes de domination et d’aliénation
Kateb Yacine, par exemple, ne se contentait pas de mettre en lumière la déshumanisation du colonisé. Il allait plus loin en révélant que le colon, lui aussi, était une victime aliénée par le système colonial, privé de son humanité dans l’exercice même de sa domination. Frantz Fanon, dans Les Damnés de la Terre, décrivait avec une acuité saisissante comment la violence systémique du colonialisme détruisait l’esprit du colonisé tout en rongeant l’âme du colon. Malek Bennabi, quant à lui, développait le concept de «colonisabilité», expliquant que le colonialisme ne pouvait prospérer que dans des sociétés affaiblies de l’intérieur par des crises intellectuelles et sociales.
Malheureusement, cet héritage intellectuel d’une portée universelle reste largement méconnu, y compris parmi les Algériens eux-mêmes. La montée en puissance de figures comme Kamel Daoud ou Boualem Sansal, qui réhabilitent, consciemment ou inconsciemment, une logique de soumission au regard occidental, illustre cet échec cuisant de la transmission. Avec des œuvres telles que Meursault, contre-enquête ou Houris, Daoud semble inviter ses lecteurs à interpréter le monde à travers les prismes du colonisateur, ressuscitant un «indigénisme» dévoyé. Ce retour à une logique de soumission nourrit une haine de soi, un contraste tragique avec l’héritage profondément émancipateur des penseurs algériens de l’époque coloniale.
Dans un monde où le néocolonialisme s’affiche de plus en plus décomplexé, il est urgent de se réapproprier cet héritage intellectuel. Les travaux des grands penseurs algériens de l’époque coloniale ne sont pas seulement des témoignages du passé ; ils constituent des outils indispensables pour comprendre les mécanismes de domination actuels. Leur portée dépasse les frontières algériennes : ils offrent une grille de lecture universelle pour identifier et neutraliser les forces néocoloniales.
La réappropriation de cet héritage n’est pas un luxe intellectuel, mais une nécessité existentielle. Si nous continuons à ignorer les leçons de Kateb Yacine, Fanon, Bennabi et leurs contemporains, nous risquons d’être broyés par un projet néocolonial qui se déploie avec une efficacité redoutable. Ce projet, qu’il s’agisse de la destruction de la Palestine, de la colonisation du Sahara Occidental ou de la diabolisation de l’Algérie souveraine, repose sur l’aliénation des esprits et l’effacement des mémoires. Renouer avec cet héritage, c’est retrouver une boussole intellectuelle et morale pour lutter contre ces forces qui menacent de nous réduire à des spectateurs impuissants.
Merci donc de découvrir les œuvres des intellectuels suivants :
– Kateb Yacine : Nedjma, Le Polygone étoilé, pièces de théâtre engagées.
– Frantz Fanon : Peaux noires, masques blancs, Les Damnés de la Terre.
– Malek Bennabi : Les Conditions de la Renaissance, Colonisabilité.
– Mouloud Mammeri : La Colline oubliée, L’Opium et le Bâton, travaux sur la culture amazighe.
– Mohammed Dib : La Grande Maison, L’Incendie, Le Métier à tisser.
– Mouloud Feraoun : Le Fils du pauvre, Journal.
– Assia Djebar : Femmes d’Alger dans leur appartement, Les Enfants du Nouveau Monde.
– Mostefa Lacheraf : L’Algérie, nation et société.
Ces figures, par leurs œuvres et leur pensée, constituent une boussole essentielle pour comprendre, combattre et dépasser les mécanismes du néocolonialisme, tout en offrant un modèle de dignité et de justice universelle.
F. B.
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