Le déclin des illusions
Par Dr A. Boumezrag – La France, autrefois grande puissance coloniale, s’est longtemps vue comme l’architecte d’un ordre mondial où ses relations avec l’Afrique occupaient une place centrale. La Françafrique, ce concept ambigu mêlant coopération et ingérence, a longtemps été la pierre angulaire de la diplomatie française sur le continent. Paris se croyait incontournable, jouant la carte de l’influence discrète tout en soutenant des régimes autoritaires. Mais le temps des illusions est révolu. L’Afrique a changé et, avec elle, le rapport de force. Aujourd’hui, la France, déclassée, semble prise dans les mailles d’une réalité géopolitique qu’elle n’a pas anticipée, entre désarroi diplomatique et petitesse d’esprit.
Pendant des décennies, la Françafrique a été un système dont la France se croyait maître. Un mélange de pragmatisme et de manipulation, où Paris entretenait ses réseaux d’influence au travers de chefs d’Etat corrompus, de contrats opaques et de soutien tacite à des régimes autoritaires. Le tout avec le prétexte d’assurer la stabilité de l’Afrique et la sécurité de ses intérêts. Mais, à force de jouer à la fois le rôle de bienfaiteur et de souverain omnipotent, la France a perdu la capacité de voir l’évolution du continent.
Aujourd’hui, ce modèle ne fonctionne plus. L’Afrique est devenue un acteur autonome sur la scène internationale. Ses économies croissantes, sa jeunesse dynamique et son ouverture au monde font d’elle un terrain d’opportunités où la France n’est plus indispensable. Si Paris cherche encore à entretenir une relation de «partenariat privilégié», de nombreux pays africains ont décidé de se tourner vers de nouveaux acteurs : la Chine, la Russie, et même des puissances émergentes comme la Turquie, viennent désormais tisser des liens solides. Le vieux mythe du «précarré» français s’effondre.
La petitesse d’esprit de la France se dévoile dans son incapacité à s’adapter à cette nouvelle réalité. Alors que le monde s’ouvre à une Afrique diversifiée, Paris, en quête de repères, se débat encore dans les carcans d’une Françafrique dépassée. La «Françafrique» n’est plus, mais la France continue d’y croire. Les interventions militaires au Sahel, où l’ancienne puissance coloniale déploie ses forces dans une guerre asymétrique contre le terrorisme, ne font que souligner la déconnexion de Paris avec les aspirations des peuples africains.
Tant que la France ne remettra pas en question son rôle paternaliste, elle continuera à se retrouver piégée dans des contradictions. Elle cherche à être le gardien des «valeurs républicaines» tout en soutenant, souvent dans l’ombre, des régimes autoritaires. Cette incohérence nourrit un sentiment de méfiance, et parfois de rejet, au sein des populations africaines, surtout parmi les jeunes générations, qui n’ont pas vécu la Françafrique postcoloniale. Leurs yeux sont tournés vers un futur où la France n’a plus le rôle qu’elle imaginait.
Ce que Paris oublie, c’est que l’Afrique, longtemps perçue comme une terre d’influence pour les anciennes puissances coloniales, a aujourd’hui les cartes en main. Les accords de coopération économiques et militaires ne suffisent plus. L’Afrique veut de l’indépendance, des partenariats équitables et une place sur la scène mondiale. Elle se forge une identité politique et économique nouvelle, loin de l’ombre des anciennes puissances. C’est ce que la France peine à comprendre : l’Afrique ne la voit plus comme un modèle, mais comme un vestige d’un passé révolu. Le continent s’engage désormais dans un processus d’émancipation totale.
La France, coincée dans sa logique de maintien d’influence, semble incapable de voir la rupture. La «Françafrique» était un produit de la guerre froide, un héritage qui n’a plus sa place dans un monde multipolaire. Le mécontentement croissant envers la présence française au Sahel, les manifestations contre les bases militaires et les appels à l’autodétermination dans les anciennes colonies en sont les symptômes. Ce déclin n’est pas simplement géopolitique, il est aussi moral : un échec à comprendre que l’Afrique veut se reconstruire sans l’influence d’anciennes puissances coloniales.
Le piège pour la France, c’est de s’accrocher à l’idée qu’elle peut rester un acteur clé en Afrique sans se remettre en question. Alors que les Etats-Unis, la Chine, et même la Russie redéfinissent leur politique africaine, Paris persiste dans son rôle d’ancien colonisateur, oubliant que l’Afrique ne se limite plus à la Françafrique. Le modèle français, fondé sur des réseaux et des intérêts cachés, a cédé la place à une diplomatie plus ouverte, plus transparente, plus alignée avec les ambitions des peuples africains.
Moscou, par exemple, est entré dans le vide laissé par la France avec une pragmatique brutalité, utilisant des contrats militaires et économiques pour développer des alliances avec des régimes africains en quête de stabilité. De son côté, Pékin a su tisser des liens solides en Afrique en investissant massivement dans les infrastructures et en proposant un partenariat sans arrière-pensée politique. Paris, quant à elle, semble perdue dans un vieux rêve d’hégémonie, aveugle à la montée de nouvelles puissances.
La Françafrique est morte et, avec elle, l’illusion de la France comme acteur incontournable en Afrique. L’ancienne puissance coloniale, déclassée sur son propre terrain, doit maintenant accepter la fin de son monopole et la réalité de la souveraineté africaine. Les illusions de grandeur ont laissé place à la petitesse d’esprit : la France, accrochée à ses vestiges du passé, refuse de voir que l’Afrique s’épanouit et se redéfinit sans elle. La clé de l’avenir réside dans l’humilité. Si la France veut retrouver une place respectée sur le continent, elle doit réinventer ses relations avec l’Afrique, non pas en tant que puissance dominante, mais en tant que véritable partenaire, respectueux des choix et des aspirations des peuples africains.
Ce n’est qu’en acceptant de sortir de l’ombre de la Françafrique qu’elle pourra espérer avoir une influence véritable et positive dans un monde qui, aujourd’hui, se construit sans elle, et parfois contre elle.
A. B.